Artiste soi-même, on devrait s'inspirer des autres artistes comme on s'inspire d'un paysage, en ne le copiant pas, mais en partant de l'émotion qu'il suscite pour composer sa propre image au moyen de sa propre expression. Ayant été récemment le sujet d'un emprunt éhonté, il me semble opportun de marquer ici la distinction entre influence et plagiat, ou entre inspiration et imitation, voire singerie.
La désertification des idées, la stérilité créatrice poussent à des palliatifs discutables, qui s'apparentent parfois à du vol à l'arraché. En passant, l'air de rien, on s'approprie sans vergogne aucune ce qu'un artiste a pu mettre des années à construire, à atteindre, au prix d'un travail tendu, de recherches, de tentatives, découragements, efforts, etc. En passant, l'air de rien, voilà qu'un.e artiste? vient se servir et cherche, par dessus le marché, à en tirer profit, gloriole, cela sans aucun hommage, aucune référence au créateur spolié, en acceptant tout naturellement les flatteries de ses congénères qui ne se doutent de rien et certainement barbouillent un tant soit peu de leur côté, en allant voler ailleurs. Une bande organisée.
Où se situe la frontière entre influence et copie ? Chaque artiste doit répondre dans son travail même, c'est une histoire d'honnêteté, de rapport et d'entente avec soi-même. Comment le spectateur, de son côté, aborde-t-il cette question ? Tout dépend de sa connaissance de l'art, histoire et actualité, et bien entendu du niveau de son esprit critique, de sa propension à gober ou non tout ce qu'on lui présente comme étant une œuvre.
Certaines peintures de Picasso et de Braque à la naissance du cubisme étaient indifférenciables, tout comme certaines toiles de Derain, Matisse ou Marquet à la période fauve ; seule la signature permet de les attribuer. Mais quoi de plus normal ? Aucun plagiat là-dedans : ils travaillaient ensemble, cherchaient ensemble et partageaient leur découvertes. Ensuite, ils se sont engagés dans leur propre voie.
Certaines peintures de Picasso et de Braque à la naissance du cubisme étaient indifférenciables, tout comme certaines toiles de Derain, Matisse ou Marquet à la période fauve ; seule la signature permet de les attribuer. Mais quoi de plus normal ? Aucun plagiat là-dedans : ils travaillaient ensemble, cherchaient ensemble et partageaient leur découvertes. Ensuite, ils se sont engagés dans leur propre voie.
Deux façons de remplir l'absence d'idée : plagier un artiste, ou adhérer à un groupe dont tous les membres feraient la même chose, par exemple (mais il y en a bien d'autres) ce courant actuel de peinture (dite) abstraite, en forme de morceaux de ciels, pleine de matières ostentatoires, une sorte de monde flottant sur des couleurs tapageuses à la structure (quand elle existe) et aux accords faciles, dont il est de fait impossible de reconnaître l'unicité de chaque toile, pas plus que l'unicité de chaque peintre. Cela se veut onirique, poétique, mystique, psychologiquement positif, un peu symboliste, proche des astres, lénifiant, alors on accompagne de titres ad hoc (lumières célestes, mélodies et symphonies en tous genres, etc.). C'est seulement décoratif, quand cela n'est pas trop mou. Peinture pour magasin de meubles, dans le meilleur des cas. On se met ainsi sous la protection d'un lieu commun répété à l'envi. Cela se voudrait une série, ce n'est qu'un travail à la manivelle, un formatage sans intérêt dépourvu de la moindre mise en danger ou remise en cause.
Les Cathédrales de Monet représentent selon moi l'exemple d'une véritable série : à l'intérieur d'une recherche et d'une intention globales, chaque toile est extraordinairement marquante, et vit parfaitement seule. On reconnaît le peintre tout en identifiant et goûtant isolément chaque peinture, qui n'a pas besoin des autres pour rester en mémoire. La série complète n'en est que renforcée.
Combien de peintres connaît-on uniquement par ce qu'ils font (sous entendu : leur peinture est reconnaissable aussitôt par les systèmes, les éléments de langage plastique, en quelque sorte) sans que le souvenir puisse en extraire nommément une seule toile, tout simplement parce qu'il est impossible d'en retenir une ? Il ne reste qu'une généralité. En résumé, entre les artistes auxquels on peut associer aussitôt une ou plusieurs œuvres, et ceux auxquels on ne peut associer qu'un ensemble, du vague, une manière que certains ont l'audace d'appeler un style, mon choix est fait.
Selon les avocats des suiveurs, on pourrait accuser de plagiat tous les peintres venus après le premier qui aurait travaillé à l'huile, car ils lui auraient volé sa technique. Le problème n'est pas là, il s'agit plutôt de la façon d’utiliser les techniques, patrimoine commun, à des fins personnelles, c'est-à-dire à la production d'images sensibles, et là, le bât se met à blesser.
Selon les avocats des suiveurs, on pourrait accuser de plagiat tous les peintres venus après le premier qui aurait travaillé à l'huile, car ils lui auraient volé sa technique. Le problème n'est pas là, il s'agit plutôt de la façon d’utiliser les techniques, patrimoine commun, à des fins personnelles, c'est-à-dire à la production d'images sensibles, et là, le bât se met à blesser.
Le suivi et le suiveur, grand sujet de l'histoire de l'art. Affaire de filiation, mais aussi d'emprunts de tous ordres, plus ou moins honnêtes, assumés ou non.
Le sentiment du suivi : orgueil, fierté ? Indifférence ? Ou bien dépit, blessure ? Proust se rassure : "si un autre me ressemble, c'est donc que j'étais quelqu'un".
Le sentiment du suiveur : admiration ? Profit ? Déni ?
Si dans cette histoire le suivi prend l'essentiel des risques (tentatives, impasses, reculades, etc.), le suiveur court celui de se voir reprocher un jour un vol qualifié.
Et si comme avance La Bruyère "tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent", l'affaire se joue dans le comment ce tout peut être dit.
Peindre avec la parole d'un.e autre, et la faire sienne, misère.
Et si comme avance La Bruyère "tout est dit, et l'on vient trop tard depuis plus de sept mille ans qu'il y a des hommes et qui pensent", l'affaire se joue dans le comment ce tout peut être dit.
Peindre avec la parole d'un.e autre, et la faire sienne, misère.