dimanche 11 octobre 2009

ARTICLE PREMIER

Tout m’énerve
Le titre de Georges Picard (Ed. Corti), était bien prometteur. J’achète souvent des livres sur un coup de titre. Là, aussitôt commencé, aussitôt déçu. Ce livre m’a énervé, précisément parce qu’il ne l’était peut-être pas assez, et que l’excellent titre me semblait gâché. Je me suis alors promis d’écrire mon propre « tout m’énerve », sans savoir précisément sous quelle forme. Depuis, j’accumule les notes, tellement l’air ambiant est irritant.

Ma dernière expérience d’exposition, avec sa fabrique, son histoire, ses rebondissements, a fait déborder le vase de mes énervements, et m’a décidé à exprimer mes humeurs, en resserrant mes sujets sur le monde de l’art.
La légitimité : mot important, notion importante. Cela m’énerve que l’on ne s’interroge pas davantage sur la légitimité de certains à intervenir ou décider ou agir, ou occuper certains postes dans tel ou tel domaine.
Sans doute en m’attribuant une certaine légitimité (mais chacun jugera de son bien-fondé) à parler de ce domaine, familiarisé (expérimenté?) par trente ans de fréquentation et de pratique, je ne parlerai donc que du monde dans lequel j’évolue. Plus exactement : auquel j’ai affaire. Car en vérité, je ne me sens pas faire véritablement partie de ce milieu.

(Je ne fais d’ailleurs partie d’aucun milieu, solitaire sur les bords.)

J’arrête immédiatement ceux qui voudraient réagir à certains de mes articles futurs édités dans ce blog en me qualifiant d’aigri, ou de peintre raté, de jaloux, de frustré ou de prétentieux, en me diagnostiquant un complexe de persécution, ou je ne sais quoi d’autre.
(Les critiques sont-ils des artistes ratés ? A ce compte-là, un artiste ne peut plus formuler une quelconque critique sans risquer de mettre en péril sa fonction même, et c’est d’ailleurs bien ce sur quoi comptent les militants de l’ « art contemporain » : instiller chez les auteurs la peur d’être trop critique et de se voir aussitôt exclu du réseau. Mais j’y reviendrai plus tard)
Tous ceux qui me connaissent savent que la ligne de mon parcours est tracée entre travail et tentative de rester sincère et intègre. Donc, ça n’est pas à moi de m’autoproclamer artiste. C’est un fait, je peins, grave, écris, enseigne, expose, publie, mais tout cela fait-il un artiste ? A d’autres de répondre. A chacun de répondre, à sa manière, avec ce qu’il est. Il se trouve que je vis de mon travail (de mon art ?), fort correctement, dans un bel atelier, et que tout ce que j’ai construit, je le dois exclusivement à la peinture et à mon travail. Pas aux subventions. J’en tire d’ailleurs une certaine fierté. Il se trouve que la peinture et ses dérivés occupent mon esprit totalement, l’encombrent souvent, et que je ne peux pas lutter contre ça. Suis-je un artiste ?
Il se trouve aussi que ma dernière exposition, qui a déclenché l’expression de mes humeurs, a fort bien marché. Pourquoi s’en cacher ? Elle n’est pas, par conséquent, la cause d’une amertume, d’une animosité, d’un ressentiment que l’on pourrait déceler en me lisant. Elle a simplement cristallisé un certain nombre de questions que j’ai déjà soulevées, dans mes livres et dans quelques articles de presse.
Alors, vous trouvez ce blog discutable ? Tant mieux, il est destiné à faire discuter.

La périodicité de parution de ces articles sera très aléatoire. On n’a pas de coup de gueule ou de cœur sur commande. Les premiers articles seront très rapprochés. Ensuite, une quinzaine de jours entre chaque serait un bon rythme, mais je préfère ne rien fixer. Installez ce blog soit dans vos favoris, soit dans vos détestés, et revenez pourquoi pas de temps en temps, histoire de vous énerver un peu…

Il ne sera pas participatif. Non pas pour me protéger ou pour ne pas assumer ce que j’y dis. Je ne me cache pas, on peut toujours m’écrire. Il s’agit plutôt d’éviter des réactions à chaud dans lesquelles la liberté affichée des espaces de commentaires n’amène bien souvent que des dérives, inutiles à mes yeux. Mes articles seront, je le souhaite, plus interrogatifs que polémiques. Dérangeants, j’espère ; on pourra les qualifier de provocateurs, parfois, d’offensifs. Je me propose ainsi de parler des « dessous » de l’art, au niveau local, souvent, plus largement quelquefois, de formuler quelques comptes-rendus critiques d’expositions, celles que j’aurais eu ou pris le temps de voir, sans que cela gêne mon travail, de parler de mes confrères, consœurs, fonctionnement des lieux d’exposition, des responsabilités, etc. Bref, naviguer à l’humeur, au coup de cœur, et ne pas me priver de louer ou de tirer à vue. Pourquoi les artistes se taisent-ils autant ?
Certains penseront peut-être : « il se tire une balle dans le pied ». Non, ça, c’est fait depuis longtemps. Je veux juste marquer mon territoire, qui doit rester indépendant, mais surtout pas neutre. La neutralité me semble terriblement dangereuse.
La provocation est un des sujets favoris des sectateurs de l’art contemporain (locution que je raccourcirai dorénavant par l’acronyme AC, car elle reviendra souvent). Si certains de ses acteurs locaux se sentaient touchés par mes provocations, ce retour d’ascenseur m’amuserait assez.
D’autres diront peut-être que je suis dans la plainte, que je me pose comme victime, ou comme justicier. On pensera ce qu’on veut. Le lecteur avisé comprendra vite que je cherche simplement à mettre au jour quelques inégalités de traitement, des absurdités, des dysfonctionnements d’un système bureaucratique, fonctionnarisé, mais mené par une idéologie, qui pénètre profondément le tissu local et que le public de l’art ne connait pas nécessairement. En résumé, il s’agit de montrer que le (supposé) monde de l’art est tenu et géré par un réseau serré, qui verrouille les lieux d’expositions, mais aussi, plus en amont qui s’infiltre pernicieusement dans le système éducatif. A l’opposé, un monde plus associatif, un monde d’amateurs, de travailleurs au noir, de « salons de peinture », comme on dit encore, de lieux communs, où le meilleur côtoie le pire, dont les acteurs n’arrangent pas l’image de la peinture et de l’art en général. Pour cela, il suffit de prendre des exemples de proximité, vérifiables facilement. Que faire au milieu de tout ça ? RESISTER. Comment ? En continuant à creuser son travail, bien sûr, sans dévier, sans concession. Mais aussi avec les moyens du bord, les mots par exemple, et leur diffusion, facilitée peut-être aujourd’hui par internet et les blogs (quoique l’on puisse facilement se perdre dans cette confusion indescriptible). J’aimerais dire ce qui ne se dit pas toujours clairement, poser des questions que j'espère pertinentes aux quelques lecteurs qui suivraient ce blog, évoquer la condition de l’artiste (mais en suis-je un ?), sa position. C’est vrai, je trouve la plupart des artistes trop silencieux. Est-ce par peur de voir des portes se fermer, ou de ne pas les voir s’ouvrir ? Les artistes ne se mouillent pas (les aquarellistes encore moins !) Mais je sais pour avoir conversé souvent, que beaucoup ressentent des formes d’injustice en ce qui concerne la reconnaissance de leur travail. Je n’ai pas dit APPRÉCIATION de leur travail, notion trop subjective, chargée d’affects, je dis bien RECONNAISSANCE. Les responsables de la culture devraient bien apprendre à (ou accepter de) définir la légitimité artistique de tel ou tel travail, et jeter aux ordures la grille imposée par les théoriciens officiels.

Interroger est le verbe favori des acteurs de l’AC. Lisez bien tous les commentaires consacrés aux artistes contemporains, tous interrogent quelque chose (le monde, la société, la place de ceci ou de cela, la cité, l’urbanité, l’argent, la mort, la violence, le corps, l’image, etc.).
A mon tour d’interroger. Quand je vous dis que je suis un contemporain refoulé ! Je provoque, et interroge. Ce blog ne serait-il pas tous comptes faits un acte artistique qui me hisserait vraiment à la hauteur des enjeux contemporains ? Je reconnais que mon médium, toutefois, est peut-être un peu désuet, historique : ce sont des mots, sortes d’éléments sonores ou graphiques chargés de sens que l’homme utilise depuis des millénaires pour exprimer des idées. Un peu dépassé, non ?

Je vous souhaite bonne lecture, et bon énervement.