lundi 28 septembre 2015

Prétention sans nom


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Tous ceux qui n’auront pas visité ou pu visiter l’exposition “Signes particuliers” seront passés à côté de l’occasion de voir une sélection rigoureuse de presque 90 pièces, soit une vingtaine d’études ou d’encres et 70 peintures dont plus de la moitié dernières-nées, à peine sèches et parfaitement inédites. Ceux qui n’iront pas, pensant déjà connaître le travail de l’artiste, se priveront de constater et de se faire un avis sur l’évolution des palettes, des accords colorés et du trait, la modification profonde des formes et des matières utilisées. Ceux qui se souvenaient de monochromies baignant dans les rouges et les ocres et persuadés qu’il s’y complairait ne verront donc pas les nouveaux accords polychromes verts et violacés, d’orange et de mauve ou bien les toiles blanches seulement écrites d’encre, et resteront sur leurs idées préconçues. Ceux qui croyaient à un enlisement des formes ou des sujets sur la durée ne verront pas les nouvelles peintures s’essayer à des explorations plus picturales encore, voulant proposer davantage de contemplation, avec des espaces colorés plus nuancés, allégés et ouverts, en cela qu’ils ne veulent imposer ni lecture formelle commune, ni goût commun. Ils ne verront pas non plus les recherches autour de l’écriture et de la calligraphie évoluant vers un graphisme plus acéré, plus labyrinthique aussi parfois, qui épaissit peut-être l’énigme. Ils ne percevront pas de visu la variété des formats, certains dépassant 2 m d’envergure, y compris ceux de certaines études réalisées à l’échelle 1 de la toile en cours. Pas plus qu’ils ne percevront les références à l’art oriental, parfois sigillaire, qui mènent à des combinaisons et compositions complexes d’écritures et de  cadres multiples, aux transparences réelles ou illusoires, tentatives pour créer une perspective palimpsestique orientée vers l’intérieur du tableau, proposant une ouverture non par les bords mais bien par dedans.
Ceux qui ne feront pas le déplacement tout en se demandant comment l’artiste pourrait occuper cet espace immense et magnifique que sont les Anciennes écuries des ardoisières de Trélazé, sans remplir à tout prix en suspendant quelques raclures d’atelier, ne pourront donc pas  juger d’un accrochage dont l’intention muséale, la respiration, l’éclairage, la distribution des volumes en fonction des périodes ou des orientations de la recherche ont voulu créer  un accord avec l’identité du lieu.
Et s’ils se demandent comment travaille l’artiste et si, aussitôt l’idée venue, celui-ci se jette sur la toile, ils ne verront pas le choix d’études présentées dans un petit espace dédié, qui montrent combien l’idée s’élabore, se construit, progresse, recule, hésite, et que rien n’est jamais sûr.  Ils ne comprendront pas comment, même si l’œuvre passe pour intellectuelle (ce qui n’est pas une tare !), elle se concrétise par un rigoureux travail manuel, ouvrier, physique, très physique parfois qui équilibre la démarche (l’artiste ne supporte pas les philosophes et autres penseurs qui ne savent pas planter un clou). Ceux qui n’auront pas pu ou voulu visiter l’exposition ne profiteront pas sur place de la projection d’un petit film permettant justement d’entrer dans l’atelier pendant la “fabrique” d’une toile, depuis la première idée jusqu’au dénouement final. Il ne percevront pas, puisque les toiles exposées sont choisies dans la production des dix dernières années, comment le peintre avance chaque jour en tentant de se surprendre, de ne pas se répéter en tenant tout de même son cap et que (même si entre la première et la dernière toile de l’exposition la différence est criante), c’est cette solitude acharnée de l’artiste, retournant chaque jour à l’atelier,  même (surtout) quand rien ne va, qui fera unité et cohérence du parcours.

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Il y a les occupés, les absents, les éloignés, les malades, les morts, les étourdis, les indifférents. Ils sont bien excusés. Mais il y a également certains professionnels, acteurs de l’art, institutionnels, certains médias, aussi, qui ont bien sûr été avisés et relancés, mais qui ne bougeront pas, tout  figés qu’ils sont dans leurs aheurtements  ou dans leur paresse, leur ennui, leur a priori (effectivement, “Signes particuliers”, ce n’est que de la peinture, ou encore de la peinture, et plus encore : une certaine peinture).

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Tous ceux qui  ne feront pas le déplacement vers mes “Signes particuliers”, mais qui ne manqueront sous aucun prétexte le salon annuel de l’amicale des peintres du week-end et des jours fériés, ne se pencheront pas vers les cartels qui accompagnent les toiles pour y lire des titres aussi étranges que “impossible et calme”, “le bruit qui court” ou “ni figure, ni marine, ni paysage”.
Tous ceux pour qui seul compte le j’aime/j’aime pas définitif ne feront jamais l’effort de prendre un temps pour tenter d’entrer chez moi ou chez d’autres. Mais prenons les choses du bon côté : cela laisse de la place aux curieux.
Tous ceux qui préfèrent à l’exposition vivante la reproduction, le papier, le virtuel, les écrans, les rumeurs et les à-propos perdent une occasion de “flairer” la peinture, de la toucher s’ils le souhaitent, d’en parler ou d’y penser en connaissance de cause.
Tous ceux qui ne se déplaceront pas pour des mauvaises raisons ou qui ne verront dans ce billet, écrit par l’artiste lui-même, que le seul et premier degré d’une immense prétention (l’artiste, son double, et la troisième personne, quelle belle idée !) n’ont évidemment pas saisi grand chose au propos qui est simplement de dire que la peinture, quelle qu’elle soit, devrait être appréciée pour ce qu’elle est, et surtout, surtout, jugée sur pièce. C’est un des grands principes  de l’exposition.

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“Signes particuliers”, peinture 2005-2015, anciennes écuries des ardoisières, Trélazé (49), jusqu’au 4 octobre.

dimanche 20 septembre 2015

Deux poids, deux mesures


Il n’aura pas fait de bruit, même en partant. La presse est jusqu’à maintenant plutôt avare d’articles sur ce grand artiste silencieux qu’était Fred Deux. Elle préfère titrer gros sur Kapoor, ses provocations et ses revirements, ce que ses provocations provoquent, etc. Et puis il est à  Versailles, au grand jour, pas au fin profond du pays, comme du côté d’Issoudun. Deux démarches artistiques opposées : l’une, celle de Kapoor, reposant sur l’impact qu’aura son œuvre sur les spectateurs, évoluant en pleine lumière médiatique, avec des moyens énormes, dans des milieux officiels et internationaux, s’entourant d’assistants, de techniques lourdes, alignant les chiffres des performances, du poids et de la taille de l’œuvre, des 500 tonnes de ceci, 1000 tonnes de cela, des grues et des plaques de roulement, tout la démesure des moyens de fabrication et d’installation. L’autre, celle de Deux, introspective, lente, besogneuse, obsessionnelle peut-être, partant de quelques taches sur un papier que le crayon ou la plume vont habiter (à propos, si l’on se mettait à compter les traits, on serait sidéré, autant que par les tonnes de Kapoor), tisser, pour peindre par le dessin un chemin vers l’intérieur. Du monumental au second degré. Un travail tourné en soi, ne se préoccupant jamais du futur regard de l’autre, sauf de celui de sa compagne, artiste elle aussi, indissociable.  Je suis persuadé que son œuvre sera plus impérissable que celle de Kapoor, qu’elle s’installera plus solidement dans le temps.  Peut-être parce qu’elle nous concerne davantage, qu’elle va toucher au fond de chacun, qu’elle est teintée d’une humanité hantée et assombrie de ses couleurs intenses. Les simples papiers griffés serrés tramés sur les masses colorées restent en moi définitivement. Pas besoin de police pour protéger l’œuvre, le temps s’en chargera. Ce que me laissera l’intervention de Kapoor à Versailles, c’est le tapage et rien d’autre.   Parions aussi que lorsque Kapoor cassera sa pipe, la presse en fera aussi ses choux et ses titres gras. Le contraire du trait de Deux.