Le petit musée de Pont-Aven a
repris connaissance en début d’été, après plusieurs années d’évanouissement
pour cause de travaux. Modernisé, agrandi, réorganisé, il propose pour
l’occasion une exposition consacrée à la dynastie des Rouart, assortie d’une
campagne promotionnelle importante, avec encarts dans la plupart des
publications artistiques, affiche accrocheuse, entre Nabis et ligne claire, aux
aplats jaune et bleus soigneusement associés. Il s’agit de montrer trois
personnages de la même famille, sur trois générations, le père, un fils et un
petit-fils, grands bourgeois et intellectuels argentés, collectionneurs
avertis, dont on vante pour l’occasion les grands mérites artistiques et l’unicité
de cette transmission du talent au travers d’une lignée. Mais enfin, qui
prétend qu’ils sont des artistes ?
Ce que j’ai vu (car la belle
affiche m’a séduit et poussé au déplacement), ce sont effectivement beaucoup de
tableaux, mais bien peu de peinture. Un amusement oui, un délassement, un passe-temps
de nantis qui, proches d’artistes (Degas, Manet, Morisot), ont pratiqué
gentiment et fort honnêtement un amateurisme d’influences, aux sujets banals,
usés, bourgeois, et à la facture assez plate, sans réel tempérament,
impersonnelle, mais le tout sans prétention autre que celle de se faire plaisir.
Quelques « jolis » dessins d’Augustin, peut-être le plus peintre des
trois, mais rien qui ne justifie une telle retape, une telle tribune, le titre
ronflant de l’exposition qui évoque un « réalisme magique », rien qui
ne démontre le prétendu talent de ces soi-disant artistes.
Mais au fait : qui a donc décidé
que ces Rouart, père, fils et petit-fils, étaient peintres, dans le sens profond du terme ? Eux-mêmes ?
Leur famille, leurs descendants ? Le public ? Les commissaires
d’exposition ?
Malgré la piètre qualité des
œuvres, au demeurant fort bien accrochées, cette présentation a le mérite de
poser — sans le vouloir — la question de la légitimité des artistes, du
bien-fondé de certains actes et évènements attachés à l’art et aux créateurs.
Question réveillée hasardeusement
par le récent courrier reçu d’une autre soi-disant,
qui s’annonce artiste, journaliste et historienne d’art. Tout cela à la fois.
Qui me demande, non sans un certain culot, puisqu’elle connaît bien ma double
activité plus que trentenaire de peintre (mais qui affirme que je suis peintre ?)
et d’enseignant, de transmettre son projet à mes connaissances et par
conséquent, entre autres, à mes chers
élèves.
Une soi-disant artiste donc, qui propose par chez moi des cours de dessin et peinture. S’étant depuis
toujours présentée comme « petite-fille de » (d’un peintre de la
région à la facture fort honorable, au très bon dessin, aux compositions
irréprochables, mais aux sujets et au traitement installés, bien-pensants, de
salon, sans accroc et n’engageant à pas grand-chose, très apprécié de la
bourgeoisie et de la notabilité locale, ce qui lui vaut encore aujourd’hui,
alors qu’il ne fréquente plus ce monde, quelques faveurs rétrospectives qui
permettent d’en apprécier l’imagerie un peu datée), elle vit sur cette
notoriété grand-paternelle en n’hésitant pas à l’exploiter pour en faire une
légitimité personnelle. Et aujourd’hui, pour ouvrir un cours de peinture, elle
devient sans vergogne elle-même artiste-peintre, mais oui, sur les traces de son illustre grand-père.
Moi, bec et ongles acérés, lui
écris en retour mon étonnement, n’ayant jamais vu aucun de ses travaux d’art,
et lui demande sur un ton innocent où l’on peut admirer ses œuvres, sachant que
l’Internet n’en laisse rien entrevoir, à moins d’un pseudonyme que je ne
connais pas. A ce jour, pas de réponse, même après relance. Me voilà donc bien
embarrassé pour la recommander, ne sachant rien de sa production…
Je ne redirai pas ce que
j’écrivais dans un précédent article, intitulé « vrai du faux » (ICI). Mais,
au-delà de l’anecdote personnelle, constatant qu’après trente-cinq ans de
confrontation et de conversation avec la peinture, moi qui ai définitivement du
mal à me qualifier d’artiste, qui tente de transmettre le plus sincèrement
possible le malaise, la poisse de la peinture et ses contradictions, mais aussi
tout ce qu’elle apporte, ce qu’elle élève en celui qui la pratique ou qui la
regarde, tout en me demandant, en prononçant chaque mot et en avançant chaque
idée, si j’en ai le droit, relativement à mon travail personnel, je suis une
fois encore stupéfié par l’aplomb de certains de mes co-humains, qui toute
honte avalée cul-sec, se proclament haut et fort et du jour au lendemain artiste-peintre
dès lors qu’ils touchent un pinceau et se targuent aussitôt d’enseigner. J’ose
espérer que ceux à qui ces soi-disant
s’adressent auront l’exigence de chercher à savoir à qui ils ont réellement
affaire, quelle est la pratique et le parcours de l’enseignant (dessin,
peinture, histoire de l’art ?) et ne se contenteront pas du statut de « petite-fille
de », d’artiste autoproclamé ou de carte de visite tapageuse pour lui
confier leur ignorance, leur soif d’apprendre et la charge de l’étancher.
Les Rouart ont eu l’élégance de
ne pas enseigner.