Se placer sous le ciel nuageux et
s’y attarder pour le dessiner ou le peindre est sans doute à la fois une
épreuve et un excellent moyen pour saisir la temporalité de la peinture, l’enjeu
de la durée qu’elle représente et sa représentation même. Expérience simple, unique
et tellement déroutante que celle de s’asseoir avec son carnet à l’aplomb d’un
ciel si chargé qu’il en paraîtrait vertical, de regarder profondément et de
commencer une ébauche. On baisse bien vite les yeux vers la page pour suivre
son trait et sa touche, puis on les relève pour reprendre l’observation. Et là,
plus rien n’existe de la seconde d’avant, plus rien comme tel. On s’aperçoit
que le monde avance, que le temps passe. Il alors faut réagir ou abandonner.
Reprendre pied, saisir un élément du nouveau ciel qui pourrait s’accrocher à
l’ébauche, et l’y accrocher ; ou bien fuir, décamper, éviter (d’aucuns en
feraient un cliché pour copier l’image plus tard, et s’éloigner ainsi de la
peinture dans un confort sans effort). Non,
courage ! On exécute le nouvel agencement du ciel, concentré sur sa page,
et on relève une nouvelle fois le regard. Et cela recommence, plus rien n’est
là, on est à des lieues des facilités de l’atelier où l’on impose au modèle de
se soumettre à l’immobilité… À chaque nouveau regard porté sur les formes, les volumes, les masses, les couleurs, les
rythmes, c’est un nouvel égarement, une perte, l’obligation d’un vague recollement,
tant bien que mal, une solitude devant le ciel que l’on veut garder mais que le
vent et la lumière modifient sans discontinuer, implacablement. Et le peintre,
pauvre fou ou idiot ou les deux, qui tenterait d’arrêter ce moment. Aussi vain
qu’un fortin de sable devant la marée montante. Alors il renoncerait, non pas à
représenter son ciel, mais à figer une image définitive. Il tenterait une autre
voie : celle du mouvement et du temps, celle qui lui ferait accepter de
prendre des bouts d’observations pris ça et là et ailleurs, de les associer
dans son image et d’y ajouter de lui pour que ça tienne, pour que s’installent
équilibre et cohérence. Il renoncerait à l’imagerie pour créer un ciel
synthétique, plastique, mouvant, issu de plusieurs moments conjugués mais qui
dirait bien plus que le ciel : qui dirait le temps, ce qu’il modifie dans la
nature et en nous, l’instabilité des éléments et celle du peintre qui, en fin
de compte, donnera à sa peinture son statut de peinture, grâce aux va-et-vient entre
tentatives et abandons, entre engagements et changements de voies, grâce aux
modifications perpétuelles apportées au cours du travail pour un meilleur équilibre,
aux mouvements de colères, d’énergies contradictoires et de réactions. Tout
cela s’imprime et s’exprime dans l’image pour qu’elle devienne la représentation
d’un temps du ciel, ou du temps d’un ciel, et non pas d’un ciel seulement. C’est
quand on percevra dans la touche ou le trait les mouvements du peintre luttant
contre l’incertitude et l’insatisfaction pour arriver à ses fins de ciel, quand
on constatera que ces mouvements perdurent alors que le peintre a cessé de
peindre et qu’il s’est éloigné de sa toile, que le ciel sera peinture et temps
de la peinture. Au-delà encore, c’est lorsque chaque peinture, quelle qu’elle
soit, quel que soit son sujet, bien loin du ciel, dira ce temps et ce mouvement
d’avancée du temps que le peintre poursuit comme il peut, qu’elle sera
peinture. Pas avant.
mercredi 17 mai 2017
Inscription à :
Articles (Atom)