Il n’était plus un artiste dans la région qui n’avait rencontré ou visité le vieil homme et son atelier, qui n’avait pas supposément travaillé avec lui, ou collaboré à une de ses expositions ou un de ses projets, ou qui ne l’avait pas accueilli à son vernissage. Par voie de conséquence, il n’était plus un artiste dans la région qui ne tenait pas à faire savoir à un large entourage qu’un peintre de renom international s’intéressait à lui. Le vieil homme, pour sa part, distribuait habilement les recommandations ou les attentions aux jeunes artistes, se faisait une place de maître, de patriarche et de référence, sachant parfaitement entretenir et développer sa réputation.
Il goûtait apparemment cette situation. Il gardait en permanence, sous son propos affable et séducteur, une sorte d’arrière-pensée à la fois entendue et détachée sur tous ces flagorneurs. Mais il les laissait venir, faire et dire : il aimait finalement les courbettes et les gesticulations de ces courtisans empressés. Chaque visiteur repartait satisfait de chez le vieux peintre, avec une anecdote ou un bon mot à répandre. Ainsi, il s’agissait d’un troc mondain dont l’enjeu était la notoriété : l’un nourrissait une renommée déjà établie en facilitant les abords de son personnage, l’autre pensait établir la sienne en se flattant ouvertement d’avoir été aussi intime avec ce grand artiste, ne fut-ce qu’un quart d’heure.