mardi 16 février 2010

L'amateur (2) : celui qui aime


(suite de l'article du 15/02/2010)

...si l'on parle des ventes...
La question pour l'amateur-pratiquant est de savoir s'il souhaite à plus ou moins long terme, ou à un moment précis de son parcours personnel, faire de son art sa vie, ou non. Oui ? Alors il devrait, je crois, se conformer aux quelques règles simples attachées à cette profession. Car on fait bien profession d'artiste. Règles imposées par l'administration — car foin des règles de l'art, elles n'existent heureusement pas...— comme n'importe quel citoyen : par exemple s'acquitter des cotisations sociales obligatoires en cas de dépassement d'un certain seuil de bénéfices, ou simplement se faire identifier auprès des organismes habilités dès le premier euro perçu. Car enfin il faudrait savoir ! On voudrait faire l'artiste, exposer au milieu des autres, avoir son nom d'artiste parmi les autres, organiser des vernissages parce que l'on produit et vend ses créations personnelles, et on éviterait la partie cachée, non avouable, de l'activité, ses tracas administratifs, comptables, prosaïques... Mais à quel titre, s'il vous plaît ?

Si un amateur a des visées professionnelles (et pourquoi n'en aurait-il pas ? Les salons sont d'excellents tremplins), cela devrait être signalé au public, pourquoi pas par le prix de vente affiché ou disponible, et l'on serait ainsi au courant de son projet, on saurait qu'il est en train de faire le pas, de prendre une décision personnelle importante, et on irait sans doute creuser un peu plus son travail, on se demanderait ce qui le pousse, on chercherait à déceler dans ses œuvres l'implication, l'investissement personnels.
Si au contraire il est un amateur d'agrément, et entend le rester, pourquoi afficher un prix de vente ? Me fera-t-on croire qu'il prendra la peine d'aller remplir des paperasses pour être à jour de ses éventuelles obligations ou cotisations, s'il vend deux ou trois toiles dans l'année ? Là est le dysfonctionnement entretenu par bon nombre d'organisateurs de salons, qui en tant que diffuseurs ont, je crois, certaines responsabilités. Ne serait-ce que celle d'informer les exposants... ignorants. Mais cette attitude d'évitement (volontaire?) atteint malheureusement aussi les organisateurs d'expositions occasionnels (associations, municipalités, etc.) qui devraient, s'ils sont à l'origine de ventes, remplir également quelques paperasses, et régler quelques cotisations...
Connaître les textes et les fonctionnements de la vie administrative de l'artiste ? L'ennui est bien que bon nombre d'exposants amateurs qui font de l'art un passe-temps (ou pire, certains plus reconnus) continuent de les ignorer délibérément. Font les étonnés quand on leur parle de cotisation, de sécurité sociale, ou de caisse de retraite. Mais sait-on que les artistes tombent malades, s'accidentent, se soignent, rechutent, vieillissent ? Comment croit-on que cela fonctionne ? Sait-on le mal que fait la pratique amateur commerciale sauvage auprès des artistes dont la vie quotidienne est assez incertaine ? Les dégâts que provoque cette confusion générale ? La concurrence est déloyale parce que certains s'exonèrent (de leur propre chef !) de nombreuses charges qu'ils seraient en situation de supporter.
Mais on va me prendre là pour un donneur de leçons, et me soupçonner de mépriser l'amateur. Alors que c'est exactement le contraire : il est une pratique d'amateur foncièrement authentique et estimable qui consiste à prendre plaisir à découvrir ce monde illimité de l'art en tentant de le pratiquer pour soi. De le comprendre par l'intérieur. De s'ouvrir à l'art en mettant les mains dedans. Cet amateur qui de temps en temps montre timidement une toile ou une gravure ou une de ses sculptures dans une exposition locale, parce que, comme n'importe quel artiste, il a besoin du recul offert par le regard des autres. Cet amateur qui n'attend rien d'autre de cette exposition que des avis extérieurs ou des rencontres et confrontations avec autrui, et pourquoi pas avec des artistes, qui l'aideront dans ses recherches personnelles. Celui qui ne mettra pas sa toile en vente, parce qu'il a compris que son enrichissement ne sera pas là. C'est cette pratique-là que j'encourage (je ne fais rien d'autre dans mon atelier de la ville), que je défends, tout en déplorant absolument la pratique commerciale des amateurs (à la fois cupide et méprisante pour tous ces artistes professionnels ou en devenir qui misent leur vie entière sur leur art).
Pour l'amateur, c'est cette pratique à la fois désintéressée, curieuse et attentive à la condition de l'artiste qui ouvrira l'esprit, c'est elle qui permet de partir à la découverte de soi et des autres, qui permet de faire naître une certaine empathie envers les artistes, qui aide enfin à comprendre un peu mieux d'où viennent les œuvres finies, à imaginer tout ce qui a pu se passer avant que le peintre n'arrive à la surface de sa toile. C'est bien la pratique amateur vraie, exigeante, non pas basée sur la méprisable culture du résultat et de l'immédiateté, mais bien sur l'effort, les difficultés, les satisfactions et les joies naissant des moment vécus pendant le voyage créatif (et non pas de la destination) qui, en formant l'esprit critique, sera un moyen de résister à l'abrutissement pseudo-culturel ambiant. Celui qui laisse penser que cette pléthore d'amateurs très sûrs d'eux, aux ambitions déplacées, qui paradent dans ces innombrables expositions est signe d'enrichissement de la vie artistique. C'est tout le contraire.


lundi 15 février 2010

L'amateur (1) : purement et simplement

L'artiste amateur pratique son art à ses moments perdus. Pour l'artiste (tout court), les moments perdus sont au contraire ceux pendant lesquels il ne travaille pas son art.

Entre "l'amateur-spectateur-éclairé" (celui qui visite les expositions, lit journaux, catalogues et écrits sur l'art, se tient au courant de l'évolution de l'art, qui acquiert parfois une œuvre sur un coup de cœur), "l'amateur-collectionneur" (comme son nom l'indique, celui qui achète des œuvres en quantité non négligeable, et qui se présente sous deux formes principales : le collectionneur amoureux de l'art, ou le collectionneur amoureux de l'argent), et "l'amateur-pratiquant" (celui qui peint, dessine, sculpte, ou grave, etc. pendant ses loisirs, à ses moments perdus, donc), il est bien évident que l'identité individuelle de l'amateur peut être (est souvent) issue d'un mélange de diverses parts de ces catégories ou comportements, qui par ailleurs peuvent évoluer : un amateur-spectateur peut devenir collectionneur, ou pratiquant...
C'est cette dernière catégorie qui retient ici mon attention. Les fonctionnements, les manières de vivre avec son art, pour un amateur, sont sujets à grandes confusions pour le public, entre la pratique amateur, semi-amateur (semi-professionnelle ?), ou professionnelle. Comment un visiteur des expositions de groupe (individuelles, aussi) peut-il s'y retrouver dans ce mélange incroyable de lieux communs et d'inventions, de plagiats éhontés et de filiations naturelles, et dans des niveaux de prix difficilement compréhensibles ? Confusion aussi pour certains amateurs qui ne savent pas où se situer ni comment mener leurs éventuels projets de professionnalisation, confusion enfin, et surtout irritation pour les artistes professionnels qui acceptent mal ce qui leur semble être une concurrence déloyale, quand ils constatent les disparités, les inégalités de charges et d'obligations pesant sur eux et sur les amateurs...
Ces réflexions me sont venues au fil de nombreuses conversations et échanges animés autour des salons, des pratiques amateurs, des revendications des artistes professionnels, et il m'a paru nécessaire de clarifier ma position à ce propos.

Pour essayer de s'y retrouver je propose de séparer la pratique de l'art de la monstration de son art. Ce sont deux temps aussi distincts qu'indissociables, et ceci n'a rien à voir avec l'amateurisme. C'est un fait pour tous les créateurs.

Parlons pratique : un sportif amateur ne transpire-t-il pas ? Pourquoi l'artiste amateur éviterait-il les efforts et les difficultés nécessaires à la création ? Sous prétexte de loisir, faudrait-il passer sur les inévitables découragements, souffrances parfois, et ne pratiquer son art que "pour le plaisir", en appliquant quelques recettes toutes prêtes à donner des images faciles et superficielles ? (Je ne le crois pas, et pour ma part, je tente, en enseignant, de transmettre autant les joies et les satisfactions de la création que ses énormes difficultés, tâtonnements, impasses, obstacles, piétinements, etc.). Il n'y a aucune raison pour que l'amateur ignore ce qu'est véritablement le travail artistique, il ne faut pas lui mentir. C'est finalement une question d'honnêteté. Et le véritable amateur sera celui qui aura compris cela, accepté cela. Pourquoi n'aurait-on pas dans ses loisirs la même exigence que dans le reste de sa vie ? Alors, assez de ces faux artistes qui ont pour seule ambition de fabriquer sans effort une œuvre qu'on aura déjà certainement vue quelques milliers de fois, et d'aussitôt vouloir l'exposer parce que, quand on a fait une peinture sur toile, qu'une gravure est sortie de la presse, ou qu'une terre est cuite, ça y est, on est artiste et il est temps d'aller se faire mousser. Tant de (faux) peintres font plus d'efforts pour exposer que pour peindre...

L'amateur, et c'est bien normal, cherche quelquefois à exposer. Souvent, même, si l'on en juge par le nombre de salons leur permettant un accrochage. Il y a une réelle demande. Rien de répréhensible, aucune raison de le blâmer, cet acte est indispensable dans le travail : comment savoir, sinon, si l'image passe la barrière d'un autre regard ? Il faut confier l'œuvre aux autres, pour en savoir plus, pour en savoir autrement. Mais il faudrait aussi avoir l'esprit d'autocritique assez affuté pour estimer que montrer est envisageable...
Il est en tous cas très important que des lieux d'exposition accueillant les amateurs existent.
Je n'ai donc rien a priori contre les salons, au contraire. Ils ont une fonction d'utilité publique et reconnue : ils permettent à des amateurs, purs, et simples, de montrer leur travail, ils proposent à des amateurs plus chevronnés de tenter une présentation un peu plus ambitieuse, et de se confronter à des artistes plus professionnels, enfin, pourquoi pas, à des professionnels d'exposer sans grands risques. Mais ils permettent aussi malheureusement à des amateurs moins purs et moins simples de flatter un ego construit sur bien peu, des amateurs moins "aimants", qui trouvent là essentiellement un moyen de profit.
Les salons ont aussi l'avantage, en mélangeant tout et tout le monde, de montrer que, en termes de qualité des œuvres, certains amateurs n'ont rien à envier à des professionnels, ou qu'au contraire certains professionnels devraient s'inquiéter de la petite forme de leur talent. Mais n'y aurait-il pas un retour de bâton à ce mélange étrange ? A part l'amateur (pur, et simple) qui s'y retrouvera à coup sûr, puisqu'il bénéficiera de la vitrine de l'exposition et du voisinage d'artistes plus connus, la confusion ne sera-t-elle pas préjudiciable pour les autres ? Et le problème se complique si l'on parle des ventes...

(publication de la 2ème partie demain)

vendredi 5 février 2010

Promotion monumentale


Pas vu l'exposition de Boltanski au Grand Palais. Pas besoin, on m'a tout raconté : tout a été dit et montré dans les médias, on a eu tous les détails, Boltanski prépare son l'installation, Boltanski installe son installation, Boltanski dirige les opérations (les anciens étudiants des Beaux-Arts, aux ordres, disposent les centaines de vêtements au sol, le maître vient en personne en arranger deux ou trois, création in situ). On sait tout sur le poids des fripes (en tonnes), sur la hauteur de la pyramide et de la grue (en mètres), sur la surface des allées et des carrés d'habits étalés, sur le nombre de dents de la pince de la grue, sur la couleur des dents de la pince de la grue... On sait l'intensité de la lumière ambiante, le nombre des néons, la hauteur à laquelle ils sont disposés. On connaît la température qu'il y fera. On nous a expliqué le dispositif, le mécanisme, et on nous a bien indiqué la marche à suivre au cas où on irait visiter l'exposition. On sait par avance ce que l'on verra, ce que l'on devra comprendre, on nous prévient de ce que l'on ressentira. On sait enfin ce que l'on entendra (une bande son aidera les plus insensibles d'entre nous à verser une larme). A l'appui : photos, reportages, documentaires, entretiens avec l'artiste... Nous sommes dans la promotion telle que je la vomis. Tous les médias se sont prêtés (vendus ?) à ce racolage.
Pas eu envie de participer à cette démesure, d'être comptabilisé dans le flot des visiteurs, d'être mêlé à tous ces chiffres.

Pourquoi ai-je eu l'impression, en recevant toutes ces informations, d'une disproportion entre les moyens (au fait, il nous manque un chiffre : le coût de l'évènement) impressionnants (pour impressionner ?) et le propos annoncé ? Pourquoi, en lisant dans les entretiens de Boltanski ce qu'il évoque de son enfance "bizarre", qui serait en partie responsable, à la source, de son travail actuel, pourquoi ai-je aussitôt pensé à Fred Deux ? Il y a des associations d'idées qui mènent à des oppositions... Pourquoi n'ai-je pu m'empêcher de faire le rapprochement entre la présentation outrancièrement spectaculaire du Grand Palais, à l'appréciation pré-imposée par tant de médiatisation, et le travail solitaire, en creux, en douce, en profondeur, discret et entêté, riche et renouvelé, de Deux, qui parvient, avec (seulement, simplement) quelques crayons, quelques papiers, et tellement de sincères déchirements personnels (mais comment peut-on chiffrer cela ?), à évoquer, sans aucune complaisance, un monde inquiet, angoissé, rongé. Un monde qui nous renvoie aux plus enfouies de nos inquiétudes. Un monde poétique et silencieusement violent qui, à le lire (c'est aussi un bel écrivain, cf. "Continuum" ou "Terre mère"), est né, lui aussi, d'une enfance "bizarre"...
La monumentalité chez lui est bien dans le fourmillement , le grouillement de son dessin, dans l'honnêteté et dans l'intégrité. On est bien loin des lieux communs ("l'homme est éphémère, menacé, etc.") lus et vus un peu partout dans le tapage fait autour de Boltanski, où l'on confond monumentalité et démesure.

Bien décidé, donc, à continuer de me méfier des manifestations artistiques surmédiatisées, mais en me gardant de les éviter par principe. On se souvient de la très importante couverture médiatique de la récente (actuelle) rétrospective de Soulages : on n'y a pourtant jamais lu ou vu une description aussi clinique du contenu de l'exposition telle que celle assénée avec Boltanski aujourd'hui. De plus, la plupart des articles étaient critiques, pas complaisants, et nous laissaient à notre propre découverte.

Bien décidé surtout à continuer de lire les entrefilets des journaux. C'est là que j'y avais déniché, il y a quelques mois, l'annonce d'une exposition de Fred Deux et de Cécile Reims, à la Halle Saint Pierre. M'y étais précipité. En suis revenu retourné. Aurais voulu y retourner. N'en suis pas revenu.