Pas vu l'exposition de Boltanski au Grand Palais. Pas besoin, on m'a tout raconté : tout a été dit et montré dans les médias, on a eu tous les détails, Boltanski prépare son l'installation, Boltanski installe son installation, Boltanski dirige les opérations (les anciens étudiants des Beaux-Arts, aux ordres, disposent les centaines de vêtements au sol, le maître vient en personne en arranger deux ou trois, création in situ). On sait tout sur le poids des fripes (en tonnes), sur la hauteur de la pyramide et de la grue (en mètres), sur la surface des allées et des carrés d'habits étalés, sur le nombre de dents de la pince de la grue, sur la couleur des dents de la pince de la grue... On sait l'intensité de la lumière ambiante, le nombre des néons, la hauteur à laquelle ils sont disposés. On connaît la température qu'il y fera. On nous a expliqué le dispositif, le mécanisme, et on nous a bien indiqué la marche à suivre au cas où on irait visiter l'exposition. On sait par avance ce que l'on verra, ce que l'on devra comprendre, on nous prévient de ce que l'on ressentira. On sait enfin ce que l'on entendra (une bande son aidera les plus insensibles d'entre nous à verser une larme). A l'appui : photos, reportages, documentaires, entretiens avec l'artiste... Nous sommes dans la promotion telle que je la vomis. Tous les médias se sont prêtés (vendus ?) à ce racolage.
Pas eu envie de participer à cette démesure, d'être comptabilisé dans le flot des visiteurs, d'être mêlé à tous ces chiffres.
Pourquoi ai-je eu l'impression, en recevant toutes ces informations, d'une disproportion entre les moyens (au fait, il nous manque un chiffre : le coût de l'évènement) impressionnants (pour impressionner ?) et le propos annoncé ? Pourquoi, en lisant dans les entretiens de Boltanski ce qu'il évoque de son enfance "bizarre", qui serait en partie responsable, à la source, de son travail actuel, pourquoi ai-je aussitôt pensé à Fred Deux ? Il y a des associations d'idées qui mènent à des oppositions... Pourquoi n'ai-je pu m'empêcher de faire le rapprochement entre la présentation outrancièrement spectaculaire du Grand Palais, à l'appréciation pré-imposée par tant de médiatisation, et le travail solitaire, en creux, en douce, en profondeur, discret et entêté, riche et renouvelé, de Deux, qui parvient, avec (seulement, simplement) quelques crayons, quelques papiers, et tellement de sincères déchirements personnels (mais comment peut-on chiffrer cela ?), à évoquer, sans aucune complaisance, un monde inquiet, angoissé, rongé. Un monde qui nous renvoie aux plus enfouies de nos inquiétudes. Un monde poétique et silencieusement violent qui, à le lire (c'est aussi un bel écrivain, cf. "Continuum" ou "Terre mère"), est né, lui aussi, d'une enfance "bizarre"...
La monumentalité chez lui est bien dans le fourmillement , le grouillement de son dessin, dans l'honnêteté et dans l'intégrité. On est bien loin des lieux communs ("l'homme est éphémère, menacé, etc.") lus et vus un peu partout dans le tapage fait autour de Boltanski, où l'on confond monumentalité et démesure.
Bien décidé, donc, à continuer de me méfier des manifestations artistiques surmédiatisées, mais en me gardant de les éviter par principe. On se souvient de la très importante couverture médiatique de la récente (actuelle) rétrospective de Soulages : on n'y a pourtant jamais lu ou vu une description aussi clinique du contenu de l'exposition telle que celle assénée avec Boltanski aujourd'hui. De plus, la plupart des articles étaient critiques, pas complaisants, et nous laissaient à notre propre découverte.
Bien décidé surtout à continuer de lire les entrefilets des journaux. C'est là que j'y avais déniché, il y a quelques mois, l'annonce d'une exposition de Fred Deux et de Cécile Reims, à la Halle Saint Pierre. M'y étais précipité. En suis revenu retourné. Aurais voulu y retourner. N'en suis pas revenu.