Un petit village au bord de Loire, dont on dit communément que “beaucoup de peintres y habitent” : en réalité, il y a dans cette commune beaucoup plus d’agriculteurs que de peintres, et il y a beaucoup plus de gens qui font de la peinture que de peintres… Il y réside tout de même un artiste connu, qui fait la gloire du village, et s’empresser de nombreux courtisans. Ce qui n’enlève rien à la qualité et à l’intérêt de son œuvre, incontestablement très importante.
Le conseil municipal précédent s’était promis de rendre hommage d’une manière ou d’une autre à cet artiste qui fait beaucoup pour le rayonnement du village. Plusieurs idées avaient été émises, dont celle de la création de vitraux pour l’église, refusée à l’époque par l’Inspecteur des Monuments Historiques. Celui-ci a toutefois suggéré de “mettre en place une opération de mise en valeur portant sur le porche d’entrée et la tribune qui le surmonte”. Le conseil récemment élu a pris la suite de la réflexion et a déposé un permis de construire pour installer à cet endroit un portail de la Paix, créé par l’artiste. (Au passage, il y a là pour moi un mystère : comment un homme aussi fin peut-il considérer que l’Eglise est la mieux placée pour recevoir en ses murs une œuvre sur ce thème, dont l’idée est selon ses propres termes de “dénoncer la guerre et la violence”, alors que cette même Eglise a été impliquée dans bon nombre de conflits des deux mille dernières années d’histoire, et responsable de la mort de quelques millions de personnes ? Mais après tout, l’artiste est par essence libre de sa création, de ses contradictions, et il n’y a pas d’art sans mystère…)
Ce portail sera donc édifié à l’intérieur de l’église. A l’entrée, mais bien à l’intérieur. Il sera par conséquent difficile, même si le maire et les conseillers s’en défendent, de ne pas l’associer à l’iconographie religieuse existante. L’artiste lui-même, dans un entretien récent, l’a nommé “retable”. Mais tout cela ne serait finalement pas bien grave si la municipalité n’avait pas prévu de consacrer 90000 euros à la réalisation de ce portail, allant me semble-t-il ainsi à l’encontre de la loi séparant l’Eglise de l’Etat, puisqu’il incombe a priori aux communes de ne financer que ce qui concerne l’entretien et la conservation des lieux de culte lui appartenant. Ici, on installe une œuvre d’art dans un lieu bien peu public, aucunement neutre en tous cas, qui oblige le visiteur à respirer l’air chrétien, qu’il le veuille ou non, alors que cette œuvre est en partie financée par le contribuable. A mon objection récente, le conseil municipal répond et “réaffirme qu’il s’agit d’une œuvre laïque”, sans connotation religieuse. Je veux bien le croire, mais la placer dans l’église lui confère immédiatement cette connotation qu’elle n’aurait pas eu dans un lieu véritablement public. Chacun devrait pouvoir aller l’apprécier dans un site parfaitement neutre, dont les heures d’ouvertures ou les visites ne seraient pas conditionnées par des offices religieux. Monsieur le Maire affirme, et confirme, que l’église est “ouverte à tous, sous la condition de respecter le silence pendant les offices célébrés”.
Il aurait peut-être fallu poser le problème juridiquement, comme cela a été fait il y a quelques années par un certain M. X dans une bourgade proche, à propos du projet (finalement assez similaire à celui exposé plus haut) d’achat et d’installation par la commune d’orgues dans une église n’en possédant pas. Procès perdu par la commune en premier jugement, puis en appel. On n’a pas pu faire n’importe quoi avec l’argent public, même sous couvert d’action culturelle.
Ici, dans le beau village au bord de Loire, fier de sa lumière et des artistes qu’elle attire, il est apparemment trop tard pour faire quelque chose. Le permis de construire a été déposé il y a plus d’un an, et ne peut plus être contesté.
Mon regret, dans cette histoire, est de n’avoir pas réagi à temps, et surtout d’avoir contribué à l’élection d’une équipe à qui je pensais pouvoir confier parmi d’autres tâches celle de préserver quelques valeurs importantes, dont la laïcité. Si j’avais encore quelques illusions sur la portée d’un vote local, elles sont aujourd’hui évaporées.
Mais pour nous consoler, nous avons dans le coin en ce moment une belle manifestation appelée “Art et Chapelles” (art et chapelles… une belle évidence) : sous le double couvert de valoriser le patrimoine et de promouvoir l’art contemporain (vous avez dit “chapelle” ?), ce qui permet d’obtenir des aides, l’Eglise, au moyen de quelques fidèles associations, fait sa réclame (mais on me dira que je suis de mauvaise foi, ce qui est certainement vrai). Certains artistes ne sont décidément pas regardants.
Cela va en tous cas dans le sens des vœux (pieux ?) du Maire du fameux petit village de Loire, qui espère que “les églises ne seront pas toujours affectées aux cultes, mais qu’elles deviendront à moyen terme des bâtiments culturels, la tendance étant déjà amorcée…”
Grâce à quelques petits arrangements entre Eglise et Etat ?