dimanche 7 octobre 2012

journal d’exposition (12 et fin)


deuxième jeudi

Scène touchante de cette petite fille de 8 ou 9 ans venue avec sa classe l’autre jour qui entre aujourd’hui avec maman et frère après l’école,  leur offrant une visite guidée et commentée de toute l’exposition. Le papa sera entraîné le lendemain.

Vivre à la colle avec ses propres toiles durant 15 jours met de la distance entre elles et soi.  Il faut toutefois se méfier de ce recul,  un recul tel qu’il serait facile de tomber en arrière et de se casser le dos. Ce serait un trop bon prétexte pour ne pas retourner à l’atelier. 

deuxième vendredi

"Il y a un sens de visite ?” me demandent nombre de visiteurs en entrant.  Me plais à répondre : “Non, tout ça n’a aucun sens”.

Un groupe est entré pour admirer… le bâtiment, une ancienne grange à dîme dont la commune est très fière. Tout accaparés qu’ils étaient par la charpente et la restauration, ils n’ont absolument pas remarqué qu’il y avait là quelques dizaines de toiles accrochées. Humilité, je t’avais un peu oubliée. 

troisièmes samedi et dimanche

Au milieu de tous ces gens au milieu de mes toiles, j’ai le trac du prochain retour à l’atelier. Du retour au travail, au mutisme ou au soliloque, après avoir tant parlé aux autres, conversé, expliqué, suggéré, répondu, montré, dit et surtout non-dit. Début d’une hibernation laborieuse, recommencement d’un silence coloré et plein de taches. Une hâte, une excitation, et une peur des retrouvailles. Vingt jours sans peinture et le manque est là, teinté de l’appréhension de ce changement brutal d’activité.

De nombreuses personnes se rappellent la très prochaine clôture et se dépêchent de venir. Ils m’empêchent d’écrire mon journal, et c’est tant mieux.


Toutes les remarques recueillies sur les sentiments provoqués par mes toiles sont autant de dérangements indispensables, qui me touchent à cœur. C’est bien ce que je cherche avant tout par l’exposition. Que les visiteurs me mettent devant le fait accompli par leur propre émotion, ce qu’ils lisent dans les toiles, ce qu’ils perçoivent dans les taches, les tons, les formes, les couleurs, l’expression de la touche et des accords. J’ai beau me défendre de toute intention avouée, ils ont sans doute raison, tous autant qu’ils sont, tous tels qu’ils sont, dans ce qu’ils reconnaissent d’eux-mêmes et de moi devant les toiles et les encres. Et malgré les déceptions médiatiques, loin des coups de griffes contre quelques mal élevés, il me restera ces échanges de regards sur mes surfaces peintes, ressenties paradoxalement et à juste titre —quelle prétention— comme profondes, enfermant des histoires autrement dites que par les mots, des temps de peinture consacrés autant à la mémoire qu’aux souvenirs à inventer.