mercredi 26 septembre 2012

Journal d’exposition (1)


Samedi
Hier soir vernissage, ce  moment de contradiction bien identifié, souvent évoqué, entre le pensum et l’excitation, entre la joie de re(ce)voir beaucoup d’amis et  le regret, parce que trop de monde, de ne pouvoir les accueillir comme on aimerait, c’est à dire avec le temps de parler, de converser, de retrouver, de renouer. Saluer, embrasser chacun et l’abandonner aussitôt pour aller vers l’autre est à chaque fois un cas de conscience. On papillonne, survole chaque présence, on vit mal ce moment qui  nous touche par tant d’amitié.
D’un seul coup,  la salle s’est remplie à ras portes, j’ai senti alors que je pouvais souffler, me relâcher, après ces dernières semaines d’incertitude. J’ai pu alors calmement et à haute voix dire les mots que j’avais préparés en bienvenue à mes visiteurs et en introduction à ce que je montre. En  voici le (presque) verbatim :

“La dernière exposition personnelle ici, dans la région, remonte à bientôt trois ans (c'était à Villevêque, invité par la galerie 377), et à précisément trois ans pour mon précédent passage dans cette salle. Ces expositions évoquaient une correspondance avec le poète Francis Ponge, non pas épistolaire, mais dans le sens d'une analogie entre nos façons de travailler. J'avais à l'époque parlé  au vernissage pendant presque 20 minutes (voir article du blog ici). Rassurez-vous, je serai moins long ce soir. Un peu moins long… J'aurais pourtant beaucoup à dire, beaucoup à redire sur l'art, le fait d'exposer, la condition de l'artiste, etc. Je n'épinglerai personne, ou presque personne. Non pas que j'ai perdu mon mordant, mon sens critique, ou mes coups de colère, mais parce que je souhaite davantage recentrer votre attention sur ce que je montre.
Cette exposition présente la presque totalité d'un travail de deux ans, des deux dernières années. Un travail irrégulier, interrompu, repris, empêché, repris encore. Un travail accidenté, en quelque sorte. Ces 6 derniers mois, pourtant, j'ai retrouvé l'atelier à temps plein, parce que la peinture s'est imposée. Aujourd'hui, je peins, donc je suis. Alors j'expose.
Je vais vous parler un peu (toujours sur la réserve) de ma peinture, à mots couverts, en essayant de vous donner des pistes pour l'aborder, mais en vous laissant libres d'emprunter les vôtres propres. Je vais me servir de certains titres pour vous donner une idée de ma tournure d'esprit. Car chaque toile est le reflet d'un moment de peinture, chaque fois unique, et c'est ce que mes titres veulent suggérer. Je revendique donc clairement l'importance du titre. Ce qui n'est pas nommé a, me semble-t-il, du mal à exister... A ce propos, j'ai remarqué que, sauf erreur,  seul l'art plastique se permet de proposer des œuvres "sans titre". Peut-on imaginer un livre, une musique, un film sans titre ? Ou alors une toile ne serait qu'un chapitre d'un ensemble ? Je ne crois pas. Une toile est un tout, même à l'intérieur d'une série.
Cette grande toile s'appelle "pour ne rien dire". Cela signifie peut-être que je préfère donc peindre plutôt que discourir sur ce que je veux peindre. Et pourtant c'est un peu ce que je fais en ce moment... Cela signifie aussi peut-être que peindre, ce n'est pas délivrer un message, mais seulement faire, donc être. Cela c'est le titre. Pour ce qui est de l'image elle-même, je vous la laisse.
“Aide-mémoire”, autre titre, illustre une idée que je défends depuis toujours : le tableau, c'est le souvenir de la peinture. Autrement dit, c'est ce qui reste quand on a fini de peindre. En revoyant cette toile, je devrais donc retrouver des souvenirs de peinture et des moments qui l'ont accompagnée, peut-être aussi de ce qui l'a provoquée. Par conséquent chaque toile pourrait s'appeler ainsi. L'image d'“aide-mémoire”, je préfère vous la laisser aussi.
“Chose promise/chose due” évoque peut-être la distance entre intention et résultat. Mais beaucoup d'autres interrogations sur la dualité, le contraire, le contradictoire, l'équilibre, l'entre deux. Ce qui concerne évidemment toutes les toiles, qui pourraient donc porter toutes ce titre.
“Vers l'avant” (l'exposition a failli s'intituler ainsi), est-ce que cela veut dire vers le passé (avant), ou vers l'avenir, en avançant? La toile se fait, se construit, se façonne entre passé et futur. Elle est présente, elle n'est rien d'autre que le point d'équilibre qui tient le peintre debout.
Ces quelques exemples choisis  montrent ces dualités permanentes qui font la peinture, qui font la personnalité de chaque toile. Il n'y a pas ici de peinture de clientèle, de peinture à la manivelle, de travail à la chaîne).
De ces double-jeux que je tente de représenter dans mon travail, en voici plusieurs :
le temps dans l'atelier et celui hors l'atelier,
le double-jeu technique entre les tons de l'encre et les teintes de l'huile, entre le papier et la toile,
celui du geste : le trait et le tachisme libres de l'encre contre le calme et la lenteur de l'huile,
l'écriture avec la peinture,
la solitude du peintre et celle de l'homme, est-ce qu'elles sont les mêmes ?
Ambiguïté de l'image, de ce qui est représenté, figuratif ou non ? Des taches ou des formes ? L'écriture est-elle figurative ? Et vous en trouverez sans doute, j'espère, bien d'autres.
A moi, en travaillant au milieu de tous ces tiraillements, de toutes ces contradictions, de tenter de trouver ce moment instable qui me dit qu'il faut arrêter (la toile, pas de peindre!). Rien n'est moins sûr.
[Remerciements d’usage et personnels]
Remerciements également, c'est bien naturel, à la Municipalité qui a décidément raison de dédier une aussi belle salle aux expositions. Merci à Monsieur le Maire  et aux élus de leur présence, j'espère ne pas faire honte au lieu en venant l'habiter 15 jours. Puis-je, l'occasion faisant le larron, me permettre toutefois une remarque, une interrogation ? Ne faudrait-il pas un peu plus d'exigence sur les choix d'attribution de la salle, à la fois sur le contenu, et aussi sur la légitimité disons... administrative des artistes qui y exposent et surtout qui y vendent ? Mais je n'insiste pas, je risquerais de passer pour un militant, ce que je ne suis pas, ou pour un donneur de leçons ou encore pour un prétentieux, ce que je suis sans doute... Une autre question : ne faudrait-il pas également plus d'exigence sur la rédaction des articles du journal municipal ? Je ne sais pas qui commet les articles sur les expositions, mais on peut se demander s'il est bien utile d'envoyer un dossier de presse au service communication...
Remerciement enfin et surtout à la peinture, qui me transmet une force, une énergie que je ne soupçonnais pas. J'ose espérer que c'est ce mouvement, cette dynamique qui se propage dans mes dernières toiles, plutôt que le reflet d'un état d'âme particulier ou un éventuel message... La semaine dernière, je suis allé visiter la magnifique exposition consacrée à Rebeyrolle à Chambord. J’ai retenu cette phrase de lui : “il faut une joie de peindre, on ne peut pas parler pas de choses graves avec un air abattu”.
Après les remerciements, deux digressions :
l'une : puis-je vous confier que l'art, c'est ma lâcheté personnelle et assumée ? Même si je ne lâche rien.
L'autre : ceux qui me connaissent savent que je m'énerve ou m’anime pour un oui pour un non, surtout s'il s'agit d'art. Je profite donc de l’auditoire attentif que vous êtes : vous savez peut-être que le salon “triptyque” n'aura pas lieu cette année, et qu'il est remplacé par une manifestation artistique dédiée à l'art d'Angers ou attaché à Angers, manifestation qui s'appellerait l'art d'ici, si mes oreilles fonctionnent bien. Etrangement, on (le service culturel de la Ville d’Angers) a demandé aux seules associations de participer à ce projet. Alors, il faudrait forcément faire partie d'une association ou être introduit par l'une d'elles pour avoir une chance de faire partie de l'art d'ici. Autrement dit, apparemment pas de salut pour l'artiste indépendant, pour celui qui préfère rester distant des troupeaux et des tendances, des milieux, des confréries et des chapelles.
En art pourtant, selon moi, la solitude fait la force. Je trouve dommage que les initiateurs de tels projets ne partagent pas cette idée.
Enfin, je me demande si l'on ne confond pas trop souvent manifestation culturelle et culture. Mais attendons de voir qui manque à l'appel de l'art d'ici. Et bien sûr, je ne demande qu'à être contredit.
Pour terminer, je souhaite revenir à mon travail et aux dualités qui le composent : il y en a une importante, tout particulièrement à l'occasion de l'exposition, c'est celle, une fois la peinture abandonnée, c'est à dire exposée, existant entre le peintre et le spectateur. J'explique souvent à mes élèves que le peintre fait des efforts insensés, en partant du fond de la toile, de rien, du blanc, de l'air, de l'idée, pour monter progressivement jusqu'à la surface du tableau, pour se hisser jusqu'au regard du spectateur. Le spectateur lui, doit faire le chemin et l'effort inverses : il part de la surface, et s'il le souhaite, si la toile l'appelle, il entre dedans, gratte, creuse, et tente d'aller au fond.
Tout ce que je souhaite ce soir, et pendant la durée de cette exposition, c'est que la correspondance se fasse à la croisée de ces efforts et de ces chemins, et qu'il y ait rencontre.”

Noir de monde donc, ce vernissage, si bien que de très nombreux invités sont repartis en se promettant de revenir un autre jour pour voir les toiles plus au calme.  
Du monde, soit, mais presse absente. Interrogées bientôt, les rédactions des journaux d’ici auront sans doute des bonnes raisons pour ne s’être pas déplacées, elles ont  toujours des bonnes raisons. J’aurais pourtant aimé que des rédacteurs ou correspondants ressentent cette ambiance, et voient le travail exposé avant de décider de faire ou non un papier. Mais il faut sans doute payer le prix de l’indépendance.