mardi 6 décembre 2011

idées courtes #4

 

J’ai toujours aimé fréquenter les belles brumes.

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Cela m’ennuie que l’on confonde si souvent peinture et peinture.

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Sur les photographies, je suis toujours à mon inconvénient.

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Une toile ne s’achève qu’à la mort du peintre.

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J’écris penché et peins rouge.

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Dessiner, c’est confier son trait au papier.

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Un peintre annonce avec assurance : je fais la peinture que j’aurais aimé voir. Soit. Mais pourquoi la montre-t-il ?

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Tout vient de moi que d’autres m’ont donné.

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Au musée, l’autre jour, j’ai remarqué que l’intensité de mon regard sur une  toile avait empêché quelqu’un de passer devant moi, comme s’il allait se cogner dans un mur. J’ai alors consacré le reste de la visite à détourner les gens. Très bonne exposition.

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Le bon dessin est dans le papier, le mauvais est dessus.

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Certains artistes ont beaucoup de succès. On se souvient d’ailleurs de leur très bel atelier.

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Le vieux peintre notoire est mort. On pourrait penser que ses courtisans en sont pour leurs frais. Mais non, ils trouvent encore le moyen de flatter sa mémoire.

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La toile est un rectangle vicieux.

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Je préfère, et de loin, les purs aux puristes.

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Pleurer nu, c’est l’être un peu plus.

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Chaque toile pourrait s’intituler “avant de partir”. La dernière se nomme déjà “le fait accompli” et je ne l’ai pourtant pas terminée.

jeudi 17 novembre 2011

Bon sens ne saurait mentir

 

Imaginons que nous perdions le goût. Il faudrait alors réagir pour chercher ce que l’on peut encore  apprécier  en mettant un aliment en bouche : apprendre à décomposer les sensations et découvrir ce qui se cache derrière le goût premier, global et finalement superficiel de l’aliment. Le goût commun. Ainsi, dans la menthe prendre et savourer la fraîcheur, puisque la menthe ne vient pas, dans le vin chercher l’âpreté ou le sucré ou l’acidité ou le pétillant ou la chaleur de l’alcool, faute d’y trouver la framboise ou la cerise, ou le vin. Le doux, le gras, le piquant, l’amer, la température, l’épais, le fluide et tellement d’autres perceptions  qui forment le goût se proposent progressivement de pallier le manque. Faire appel à d’autres sens, et remarquer par exemple l’esthétique du plat en prenant le temps d’apprécier formes, couleurs, tons et composition de l’assiette, l’accord du contenu et du contenant, parfois même, pourquoi pas, une certaine sonorité. Le sans-goût se surprendra un jour, à force d'efforts, à parler de son handicap à ses compagnons de table pour leur faire connaître ses découvertes et ses plaisirs développés autrement. Il en arrivera à sélectionner mieux ceux avec qui il partagera ses repas, parce qu’ils participeront à l’accord général de ce moment qu’il voudra de qualité supérieure.  Si nous ne percevons plus ni le goût ni l’odeur du pain qui sort du four, il reste sa palette et la belle géographie rythmée de ses grignes, il reste le bruit au dehors du couteau qui l’entame,  celui au dedans des mâchoires qui le mordent, la tiédeur et le  moelleux de sa mie mêlés aux craquements rassurants de la surface. Enfin, il reste la mémoire de ce qui manque aujourd’hui, le goût d’ailleurs ou d’avant.

Imaginons de même que nous ayons au premier abord bien peu de goût pour une peinture : plutôt que de l’abandonner aussitôt,  pourquoi ne pas l’éprouver, et tenter de décrypter tout ce qui la compose, au delà de ce premier contact ? Ce tableau n’est pas fait seulement du simple appareil de la surface visible, offerte à tous. Il faut chercher ce que contient sa matière, ce qui fait sa couleur, le bruit qu’il fait dans le silence du mur, sa résonance dans l’espace qu’il occupe. Il faut prendre le temps de laisser venir les perceptions et la curiosité, s’infiltrer les souvenirs, tenter moins de comprendre que d’apprendre. Ne pas se précipiter sur un avis définitif. Considérer le premier regard comme un avant-goût. C’est l’art du discernement, de la différenciation des multiples sensations provoquées simultanément par l’œuvre. “On aime ou on n’aime pas”, dit le désespérant lieu commun qui permet ainsi de camper paresseusement sur son avis immédiat, et évite l’effort d’aller chercher plus loin, dans la nuance, dans l’ouverture, dans le fond. Le goût est fait d’intelligence, donc de temps de réflexion, d’analyse, d’effort. Le mauvais goût, c’est le goût superficiel et définitif. Est-on capable de reconnaître qu’une œuvre qu’on n’aime pas a priori mérite tout de même une attention ?

A l’instar de l’agueusie, quel mot pourrait-on inventer pour qualifier la perte ou le défaut du  goût artistique ?  Comment pourrait-on stimuler cette médiocrité sensitive qui n’induit que  superficialité ou fatalisme ?

Il faudrait donc apprendre à séparer tous les composants du goût de (pour) l’œuvre, et ainsi décider par soi-même si elle est d’art ou non, et si on l’aime ou non, à supposer qu’aimer ou ne pas aimer soit l’enjeu.

Une éducation du goût artistique individuel, n’est-ce pas ce qui devrait entrer dans tout enseignement des arts plastiques ? On y apprendrait à voir ce que tait la surface et ce que dit le fond, on y parlerait du premier regard et des suivants, des sentiments qui se révèlent lentement pour se prolonger dans le souvenir que l’œuvre laissera (de sa longueur en œil). On y parlerait moins du descriptif et davantage de l’inscrit, on y apprendrait la supposition au lieu de l’affirmation, le sens du goût et non le goût lui-même. On ne dit pas à un enfant : “goûte, c’est bon”, mais “goûte, tu me diras si tu aimes et pourquoi”. Qui ne s’est pas senti un jour très embarrassé de ne pas aimer ce que tout le monde autour de soi, critiques, public, amis, etc., aimait et imposait d’aimer, et de ne pas oser l’exprimer ? Enfin dans cette découverte du goût personnel artistique, on serait tenté d’entrer dans l’histoire de l’art (la mémoire de l’art) et sans doute de pratiquer un peu le dessin pour comprendre l’essence de la composition.

L’annuelle semaine du goût ne parle que de la bouche, elle ferait bien de penser à l’œil. Mais me voilà bien amer.

vendredi 11 novembre 2011

Vrai du faux

 

Pour faire suite à l’article précédent (“pas volé”), et pour en terminer sur ce sujet (j’espère, à moins d’un nouvel énervement), je me demande quelles mouches piquent donc ces gens qui se font fort aujourd’hui  d’enseigner le dessin ou la peinture sous prétexte qu’ils ont pu exposer une ou deux images dans la première foire aux tableaux venue, et qu’ils se sentent alors peintres ?  Autant de charlatans qui pensent sans doute profiter du vaste courant de loisirs créatifs auquel on associe malheureusement la peinture, en ouvrant des cours d’aquarelle par-ci, des leçons de pastel par-là, et des ateliers d’art abstrait dans tous les coins. Tout ça évidemment dans une ambiance “conviviale et ludique”, comme il se doit.

A leur décharge, rien sur le contenu, le savoir, la pédagogie n’encadre  l’installation en tant qu’enseignant indépendant, sauf quelques critères administratifs, et il est donc très facile de se déclarer comme tel (c’est d’ailleurs ce que j’ai fait, il y bien des années, comme l’on fait et le feront bon nombre d’artistes, de tout temps). Ajoutons à cela les nombreuses associations de loisirs bien peu regardantes sur la formation des vacataires qu’elles emploient pour dispenser des cours d’arts plastiques.

Je suis sidéré : tous les “élèves” de ces imposteurs sont-ils tellement crédules ou innocents  qu’ils ne cherchent pas à en savoir plus sur la légitimité de l’enseignant ? Ils acceptent de  travailler sous la houlette d’un peintre autoproclamé dont ils n’auront jamais vu un travail d’ensemble cohérent, représentatif d’une personnalité. L’esprit critique général s’est-il tellement appauvri  que l’on ne s’aperçoit pas de la parfaite indigence des productions de certains de ces animateurs d’ateliers ? Reconnaissons que ce cercle est vicieux : pour avoir ce discernement, il faudrait être un tant soit peu formé…

Chaque personne choisissant d’étudier dans mon atelier peut connaître mon travail de peintre. Du simple bon sens puisque rien d’autre dans notre statut ne peut asseoir notre légitimité. Il me semble qu'un enseigné doit connaître le parcours, la formation et l’œuvre de l’enseignant, et cela dans bien des disciplines, même loin de l’art.

Peut-on transmettre la peinture si l’on ne peint pas, l’art si on ne crée pas ? On ne pourra que donner des pistes techniques, des modèles, des consignes établies par d’autres, mais on ne pourra rien dire de l’acte créatif, évoquer ses troubles,  ses mystères, ses déséquilibres. Peut-on enseigner le peindre si l’on patauge dans les lieux communs ? Comment dire le risque si l’on n’en prend pas soi-même ? On transmet mieux un vécu qu’une rumeur, un qu’en-dira-t-on ou une supposition…

Quelques uns s’engouffrent par cupidité dans une profession non réglementée, qui accueille donc sans ciller vrais et faux artistes, vrais et faux pédagogues, sans que personne ne cherche véritablement à les distinguer. Porté et transmis par  ces pseudo-enseignants-artistes, le goût pour la facilité et le déjà-vu se répand alors dangereusement. Grâce à eux, la médiocrité et la confusion artistiques ont de beaux jours devant elles.

dimanche 6 novembre 2011

Pas volé

L’artiste est redevable envers ceux qui sont à l’origine de sa décision de pratiquer son art, de la manière de l’aborder, de le vivre. Il est sous influence, il vient de quelque part, il est fils ou fille de. Son parcours est jalonné de rencontres décisives, formatrices, directrices, déterminantes. Rencontres humaines, rencontres avec des œuvres, avec des traces laissées.

Il m’a toujours paru  indispensable et naturel de ne rien taire de mon parcours et de ma formation artistique. Il m’a toujours semblé que la moindre des choses était de citer mes maîtres, mes professeurs, mes influences, mes tuteurs artistiques, mais aussi mes proches, amours, famille, amis, soutiens, tous ceux qui ont une responsabilité dans ce que je crée aujourd’hui. Un besoin de marquer une reconnaissance, faute de mieux. Dans mon atelier des champs, seul devant la toile ou au dessus de la feuille, je convoque à chaque moment tous ceux grâce à qui je suis au travail aujourd'hui, grâce à qui cette peinture est ici et maintenant ce qu’elle est. Tous ceux qui sont au fond de moi, visibles ou invisibles. Vivants toujours.

Dans mon atelier de la ville, depuis vingt-cinq ans maintenant, des centaines de personnes sont entrées avec l’envie de se nourrir, sont restées plus ou moins longtemps selon qu’elles trouvaient la nourriture plus ou moins à leur goût, et sont sorties un jour pour continuer seules, ou avec d’autres.  Tous ces gens, que font-ils ensuite de cette formation ?

Certains ont abandonné. J’espère simplement qu’ils regardent maintenant les œuvres d’art avec un œil un peu plus assuré ou plus critique, cet œil qui lors des  séances a tenté de conduire une main qui voulait peindre et dessiner et qui, de là, a un peu mieux compris, senti,  ce qui se passe sous la surface. 

D’autres pratiquent, cherchent, travaillent, exposent, tantôt en  amateurs (je renvoie à ce sujet vers deux articles :  “purement et simplement”   et “celui qui aime”), tantôt avec  des visées ou des chemins artistiques plus professionnels, plus ambitieux.

Parmi tous ceux-là, certains m’ont fait l’amitié (je le prends ainsi) de me citer parmi les rencontres ayant participé à leur parcours. J’en ressens une grande fierté, pourquoi s’en cacher ? Fierté d’avoir aidé à un cheminement, à une réflexion, à une ouverture, fierté d’une contribution. Mais d’autres gardent un silence absolu sur leur passage (parfois long, pourtant) à l’atelier de la ville. Etrange silence, alors que la marque est  inscrite soit dans l’œuvre, soit dans le discours, ou dans la posture…  Je pense à ces aquarellistes de clientèle (ah, tiens? on y met un  peu de collage, maintenant… c’est normal, c’est ce qui marche, en ce moment), ou à ces peintres au statut indéterminé qui écument les salons en accompagnant leur œuvres de biographies ronflantes mais incomplètes ou arrangées.  Si j’ajoute ceux ou celles (les mêmes ?) qui sont venus voler quelques manières d’enseigner, glaner quelques conseils pratiques (plus administratifs qu’artistiques), emprunter quelques idées de sujets ou d’approches pédagogiques, tout cela avant d’ouvrir ensuite un cours directement inspiré, ou au contraire dans lequel on préfère flatter  le “client” dans le sens du pinceau, où l’on met en avant le ludique avant l’effort, le spontané avant l’étude, le hasard avant l’intention, je ne parviens pas à rester muet. Car la réaction, le  contrepied, l’opposition naissent aussi d’une empreinte et la prolongent à leur manière, a contrario. Mais cette empreinte existe bien. Dans tous les cas, plus que de la reconnaissance, j’aurais apprécié  un peu d’honnêteté. En art, le vol est recommandé, (mais) il faut l’avouer.

Ces suiveurs ont-ils aujourd’hui la conscience tranquille ? Ils s’en arrangeront, mais quoi qu’ils fassent, leur travail leur ressemble : il ment par omission.

mercredi 31 août 2011

Idées courtes, quelques autres

 

Un matin d’hiver, je suis entré très tôt dans l’atelier, en laissant la lune allumée.

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Vivre de sa peinture ? Peut-être. En mourir ? C'est plus sûr.

Je rêve d’être insomniaque.

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Dessiner, c'est  observer. Pour mieux observer, il est conseillé de dessiner. On n'en sortira donc jamais.

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Finir une lettre par : "embrasse-toi pour moi".

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Tous ces gens, ils ne croient pas si mal dire.

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Angoissé lourd, hypocondriaque taré, alcoolique léger, un peu à la masse, revient à la charge, une once de talent (reste à prouver), des tonnes de questions : tout bien pesé, une vie de peintre. 

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Le regard appuyé et la main levée (dessiner).

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Note d’atelier : mes bols d’acrylique empilés ressemblent à des crépidules.

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En toile de fond des arrière-pensées. Autant dire très loin.

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Tic verbal de peintre : “voyez ce que je veux dire”.

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Je lis très peu de romans. Je n'aime pas beaucoup que l'on me raconte des histoires.

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Vivre de sa peinture ? Pourquoi pas.  Vivre sa peinture ? Pour sûr.

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Tous les matins, pour commencer, je vais à l'atelier revoir le travail de la veille : l'œil est à jeun.

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On ne termine pas une toile. On l’accomplit.

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Souvenir de connivence : quand à l’atelier je passais la journée dans l’encre, je devais le soir, pour rentrer à la maison, montrer patte noire.

dimanche 21 août 2011

Sous les yeux

 Dedans. La pensée insaisissable, celle qui passe  insolemment du vacarme au fracas, qui se perd dans l’effroyable confusion des temps, qui glisse sans prévenir du silence d’aujourd'hui aux hurlements d’hier, la pensée qui tente au même moment de se faufiler vers un avenir vague et tremblant à la teinte aussi incertaine que les gris des brumes d’hiver, celle qui cherche à tirer malgré tout quelques plaisirs ou satisfactions d’un présent sans consistance, pensée indomptable et hantée qui, remontant la mémoire, bute dans des images cassées ou trempées de chagrin,  cette pensée incohérente, chaotique et envahissante est capable d’aspirer soudain toute expression du regard et d’y laisser seulement une fixité désespérante.

Dehors. Le regard animé, celui qui rencontre une image, qui voyage de la couleur à la forme en cherchant les rythmes et les accords, qui de loin brouille le détail et examine l’ensemble, ce regard curieux qui s’approche pour apprécier la peau, son grain, sa vie, le regard sensible qui glisse sur les lignes en les caressant, celui qui s’éblouit dans la couleur, qui se complaît dans les tons et la lumière infinis de l’encre, qui sait encore s’étonner, ce regard singulier s’enfonce quelquefois si profondément dans la peinture qu’il trouve la force  de presser sur la pensée infectée pour la soulager entièrement du pus de sa folie.  En ces moments si rares,   moments de peinture vécus dans le travail de la toile ou dans l’attention  portée sur l’art des autres, s’ouvre un chemin plus simple où l’esprit se vide et l’œil s’emplit. Un moment de repos.

vendredi 5 août 2011

Le jour d’à côté

 

Un jour,  j’entrai dans l’atelier vers 9 h et en ressortis dix heures plus tard.

La veille, je n’y avais fait que de la figuration, acte de  présence insensible, avec des  tentatives répétées et vite avortées pour écrire quelques encres, composer et tacher quelques papiers. Entrer, sortir, revenir, repartir, faute de mieux.  Travail aussi décousu que celui des 363 jours précédents, à quelques exceptions près. Tiraillement permanent tissé d’allers et retours incessants entre maison et atelier, entre besoin impérieux de travailler, de faire, de pratiquer les gestes, de sentir les outils, les matières, les supports, et nécessité de fuir. Je me rassurais  en constatant que je savais encore tendre la toile, étendre le papier, me pencher vers lui, le maculer, puis surveiller son séchage et la transformation de l’encre (bon sang, ce qu’elle éclaircit !) enfin venir avec l’huile et mes émulsions former des peaux sur la peau, chacune laissant l’autre exister. Constat triste et douloureux :  je savais effectivement faire tous ces gestes artisanaux, mais bien peu d’images dignes d’intérêt en émergeaient. Je n’y étais pas.

Ce jour-là j’entre dans  l’atelier vers 9 h et aussitôt je suis happé par des idées, plongé dans des bains de gris, des masses de couleurs et des images nouvelles. Rien à voir, donc, avec les 364 jours précédents où pendant la journée je me forçais à mettre en œuvre  mes manières personnelles (calligraphie des textes et des images, jus acryliques déversés, assemblage des feuillets,  pointage de la toile sur le châssis et marouflage du papier), alors que la nuit je m’apercevais qu’il était  possible de pleurer en dormant.

Ce jour-là, pendant le séchage de la colle, j’accumulais les encres en faisant revenir des idées perdues du fin fond des carnets de croquis. Décidément, rien à voir avec les mois  précédents, pendant lesquels je passais des heures à feuilleter ces notes avec l’espoir de retrouver un moyen de peindre : la plupart des encres issues de ces efforts finissaient brûlées dans le poêle ou au fond du jardin. Jours interminables où le fond de ma pensée ne parvenait pas à se fixer,  vase douteuse remuée par des courants incontrôlables, contraires, divisés, déchaînés parfois. Une pensée mouvante et poisseuse qui faisait s’enfoncer le travail dans un temps mensonger, stérile et délétère, où les nuits sont sans rêves et les jours envahis de cauchemars. 

Les semaines d’avant ce jour-là, c’était une appréhension sidérante —mémoire de la peur et peur de la mémoire conjuguées— qui me faisait commencer puis interrompre, encore et encore.

Ce jour-là, si redouté, j’ai peint à la fois contre cette peur et contre l’oubli, cela sans aucune préméditation. Les encres n’ont pas été brûlées, l’huile colorée est venue doucement voiler les papiers marouflés. Des images, nombreuses, ont pris sens et corps pour la première fois depuis des mois et des mois. Sans prévenir. Je ne suis pas sorti de l’atelier, sauf pour manger un morceau. J’ai quitté les lieux le soir, tard, à regret, épuisé mais plein d’une satisfaction dont je ne connaissais plus la saveur : celle de m’être senti davantage vivant que survivant. Comme accompagné.  Jamais il n’a été aussi clair que ne penser à rien d’autre qu’à la peinture au moment de faire est l’unique moyen d’être.

Oui, peindre, c’est cela : être et faire en même temps.

samedi 9 juillet 2011

Double sens

vers l'avantVers l’avant

encre sur papier de riz marouflé sur carton marouflé sur toile. Env 40 x 30 cm, 2011

Pour que la peinture retrouve sa place, son évidence, sa fluidité dans mon temps personnel, il me faut aller vers l’avant. C’est-à-dire autant vers des projets que vers des souvenirs. Aller vers l’avant, c’est à la fois se retourner, regarder la vie passée, puiser dans ses richesses et ses troubles, dans ses questions non résolues et, puisqu'il faut avancer, réengager la réflexion, s’arracher à l’immobilité. C’est parler toujours aux absents, aux manquants, aux perdus, aux déchirures, afin qu’ils m’accompagnent vers un horizon et des points de fuite moins figés. Que les fantômes me proposent des chemins. C’est se secouer de ses frissons, envisager, espérer la découverte, projeter et se projeter. D’un côté ou de l’autre, dans un sens ou dans un autre, c’est une violence.

Aller vers l’avant, c’est désembuer sa vision, à nouveau plisser les yeux, s’ils sont secs, pour tenter de mieux percevoir l’ensemble, les contours, les couleurs, et peut-être rire. Il faudrait remettre l’horizon en mouvement, pour à nouveau ne jamais le rejoindre, comme avant, quand nos curiosités emportaient tout sur leur passage. Il faut, tu dois, tu devrais, il faudrait… Tu parles ! Malgré des tentatives pour suivre ces conseils d’amis, cette foutue ligne bouge à peine, à grand peine, elle barre le passage, et le temps reste une immense faute de concordance.

Aller vers l’avant, c’est ne rien oublier de son histoire, l’observer encore d’un peu plus près. Regarder vers avant.

C’est peindre à nouveau, du nouveau, reprendre les toiles interrompues, c’est peindre de mémoire, pour mémoire, en mémoire. Véritable antinomie qui sous-tend les idées, les intentions et le travail, Vers l’avant est aujourd’hui le titre d’une encre récente que je ne cèderai jamais à personne. Ce sera peut-être aussi celui d’une prochaine exposition, celle qui me fera sortir de l’atelier, mais avec d’infinies précautions, en regardant dans toutes les directions avant d’oser traverser.

Hier, un terreau pour demain.

mardi 21 juin 2011

De peu

Le Petit et le Grand Palais se regardent, de chaque côté de l’avenue Winston Churchill, chacun arborant son immense  étendard tendu sur la façade : Anish Kapoor d’un côté, Jean-Louis Forain de l’autre. En ce vendredi de fin de mai, une longue file d’attente devant le Grand s’oppose aux marches  désertes et à  la porte grande ouverte du Petit. Tellement habitué aux cohues et files indiennes qui serpentent devant les expositions parisiennes, je m’inquiète de ne voir aucun troupeau devant le bâtiment où je me rends. Il est vrai que la promotion pour Kapoor a été plus appuyée, vantant la monumentalité, le spectaculaire de l’œuvre exposée, un défi technique, spectaculaire, une “expérience qu’il faut vivre”, etc. Plein d’a priori, j’ai choisi de ne pas aller vivre cette expérience, qui m’évoque  une attraction de foire, aussi impressionnante et sensorielle soit-elle,  plutôt qu’une œuvre d’art. Tant mieux pour Kapoor si Monumenta lui a donné les moyens financiers et techniques pour construire et installer ce “dispositif” (voir le dossier de presse). Je préfère aller raser les murs de l’exposition  Forain, pour me plonger dans ses petits formats, là où la prouesse technique et le sensationnel ne sont  pas ce qui frappe prioritairement. Et surtout, quel plaisir de ne pas faire partie de ces foules qu’on canalise, encadre, et aide à penser (Monumenta propose de voir le Leviathan de Kapoor en s’accompagnant de “médiateurs spécialisés, dont les connaissances et les talents de pédagogues multiplient les possibilités d’accès et de compréhension de l’œuvre”.)

J’ai goûté longuement, dans un espace calme, les dessins, gravures et peintures de Forain, particulièrement ému par son art de la suggestion, de l’évocation. Il parvient à mettre en avant une scène en suggérant à l’arrière le contexte dans un rythme de touches impressionnant. L’art du mouvement et de la justesse :  la touche, donc, parfois extraordinaire de liberté, jamais ostentatoire, la mise en scène et le cadrage, qui  sait jouer parfaitement sur l’aller et retour entre proche et lointain, qui sait distribuer les centres d’intérêt.  Le choix de l’échelle juste, adaptée au sujet,  le contraire du tape à l’œil. Au bout du compte,  une exposition sur la sensibilité, sur la simplicité (apparente) et sur l’honnêteté.

Un regret, terminer la visite par un texte de Plantu (reproduit dans le catalogue),  qui est sans doute le pire des dessinateurs, celui qui au contraire  de Forain ne sait pas évoquer, ne sait pas suggérer, ne sait pas non-dire. Pour ne pas risquer une éventuelle incompréhension de ses images (ah, ces lecteurs, quels idiots !), il  bourre ses dessins de flèches, de pancartes, d’écriteaux, d’étiquettes, de badges. Le plus lourd des dessinateurs de presse qui loue le plus fin. Dispensable.

Pour en revenir à l’opposition des deux expositions, elle soulève des questions auxquelles chacun essaiera de répondre à sa façon :  quels moyens  pour l’œuvre  d'art ? Les grands moyens font-ils les grandes œuvres ?  Sommes astronomiques, haute technologie, monumentalité allant parfois jusqu’à la démesure, qui donne de tels moyens aux artistes ? A l’opposé, les artistes aux moyens raisonnables qui font avec ce qu’ils ont, et qui vont exploiter leur inventivité pour faire  sortir ce qui doit sortir, même si  chacun doit penser, au fond : donnez-moi les moyens, et vous verrez. Ceux dont l’atelier est aussi leur séjour-cuisine, ceux qui dans leur vie quotidienne d’artiste, se débrouillent. Les moyens modestes ont l’avantage de stimuler l’invention, l’astuce, la création. Mais les grands moyens ont l’avantage de rendre plus visible…

Les deux expositions, finalement, ne s’opposent pas :  dans l’une ou dans l’autre, on est à la fête foraine.

dimanche 15 mai 2011

Au dernier moment

Bien forcé d’abandonner : le modèle et l’idée ont disparu, plus rien à regarder. Il tente de prolonger son travail par l’observation de ses souvenirs,  là-bas, au fond, derrière l’écran de l’immédiat, mais ils s’épuisent bientôt. Alors comme dans la vie, il regrette de n’avoir pas pu aller plus loin lorsqu’il pouvait encore poser son regard, de n’avoir pas su faire plus attention. Il le regrettera toujours et  vivra dans ce manque et cette sensation d’in-fini. De non fini.

Soit, on abandonne dessin, toile, ou modèle, mais pas son sujet.  On retourne compulsivement à l’idée fixe. On n’efface rien et on recommence. La peinture (quand on ne lui ment pas, évidemment) se fond tellement dans l’existence qu’elle en est une allusion permanente,  par conséquent toujours contemporaine.

Comme elle, la vie sera inévitablement inachevée, laissée, lâchée en route. Dessin, vie, peinture : à peine engagés,  et déjà provisoires.

Pareil à la vie, le tableau est un jour ou l’autre interrompu, parfois progressivement, comme si on devait  s’y préparer, ou bien plus brutalement, sèchement, par surprise, en un fragment de seconde,  nous laissant en tous cas désemparés, aux prises avec notre mémoire qui nous rappelle le chemin sinueux fait côte à côte, cette mémoire qui nous aidera pourtant à formuler d’autres peintures, cette mémoire qui refuse aussi qu’on en gomme les pires images.

En art, il faut apprendre à rebondir sur les accidents, sur les échecs ou les désastres. S’en servir. Les provoquer, parfois.
Vivre est tout un art.

Chaque moment pourrait être le dernier : la peinture semble incompréhensible autant que le vécu — ou le contraire — chacun semblable à une esquisse qui contiendrait le tout dès son commencement et jusqu’à l’aboutissement.  Plus exactement, qui contiendrait un tout, qui deviendra un autre tout dès l’instant suivant. De là, l’œuvre est peut-être  accomplie alors même qu’on l’abandonne, n’importe quand. Faut-il s’en persuader pour vivre mieux ?

Qui, du peintre ou de la toile, construit l’autre, puis abandonne l’autre ?

mardi 12 avril 2011

L’aquarelle, ça fait de l’effet

Salon de la peinture à l’eau, exposition nationale de la société française  d’aquarelle (excusez du peu, j’aurais peut-être dû majusculer), le temps est à l’humidité, dans la région, en  ce moment.
Il y a comme un courant, un flot grandissant de peintres aquarellistes, certains “de renom”, voire de “renom international”, ce qui impressionne beaucoup le public. Ils se regroupent, se sociétisent, s’invitent, s’accrochent, s’encadrent, s’exposent, salonnent, s’éditent, s’affichent, se vernissagent, se congratulent, s’accoladent. Ils enseignent, s’enseignent,  s’entourent de disciples, se stagent, se montrent, ils démontrent, ils démonstrationnent. Ils s’articlent, se magazinent, se récompensent, s’adorent. Ils s’acoquinent et se reproduisent. Ils ne tarissent pas (ce serait un comble) de louanges pour l’eau et ses bienfaits, c’est naturel et ça va bien aux teintes.  Ils sont coulants, filants, quasi-liquides, apprécient que leurs formes et compositions insuffisantes ou approximatives soient englouties dans leurs éclatantes projections et dans leurs flaques pigmentées. Ils sont pleins de douceur et de gentils sentiments, ils peignent beaucoup de coquelicots, de vélos contre les vieilles fenêtres fleuries des villages classés, des sous-bois ombragés, des jardins tout droit sortis des catalogues de Jardiland, de jolis portraits figés par une photographie préalable, des animaux mignons tout  plein, chevaux ou chats décoratifs sans odeur et petit chiens toilettés auxquels ils ont évidemment demandé de poser sagement devant leur papier tendu, pardon, devant leur appareil photo. Mais ils se disent novateurs… Ils prétendent, ils savent, ils techniquent, ils professent, ils connaissent leur métier, leur spécialité. Ils célèbrent limpidité, sensibilité et élégance de l’aquarelle, et font des images niaises, usées, impersonnelles et creuses. Ils se recueillent, s’inclinent devant la majesté de leur art, ils ont leurs rites, leurs offices (devant leur papier, ils paraissent très absorbés…). Ils manient l’injonction paradoxale (“sois spontané, l’aquarelle se charge de tout !”). Ils noient leur manque d’idées dans le trop-plein de couleurs, et dissolvent la faiblesse du dessin dans une eau hasardeuse autant que providentielle. L’absence de sens des images se retranche derrière la cérémonie.  Ils déclament des formules laissant entendre que l’aquarelle est l’acmé de l’art pictural, qu’on y atteint des sommets dont on ne redescend plus. Les plus abstraits éclaboussent, crachent, aspergent, diffusent, détrempent, épongent, inondent, absorbent, tachent, auréolent —quelle audace— espérant que les effets du hasard leur donneront raison.  Ils utilisent des superbes pinceaux, souvent chinois — c’est très tendance — parfois traceurs, (c’est le pinceau qui trace, pas la main, c’est bien connu).
Où est l’art, dans ces mondanités et ces singeries ? Que l’on me dise ce qui est créatif, surprenant, original, personnel, intéressant dans ces images répétitives qui dégoulinent pour la parade.
On reproche souvent aux agriculteurs de gaspiller l’eau, a-t-on pensé aux aquarellistes  ?
Les meilleurs utilisateurs de l’aquarelle, dignes d’un réel intérêt, sont ceux qui n’en font pas une spécialité, car alors elle est nourrie des autres approches picturales,  graphiques, esthétiques ou réflexives. Une technique n’est pas une fin en soi, elle est au service de la fin. La fin, c’est la peinture, celle qui ne ment pas sur ses intentions.
L’aquarelle seule, à force d’être vulgarisée, en devient vulgaire.

vendredi 1 avril 2011

Avant tout, le dessin


En 1996 paraissait un opuscule savoureux signé par Sophie Herszkowitcz, intitulé “Pétition à l’académie des Beaux-Arts pour les étudiants que l’on empêche de dessiner” (Ed. Sulliver). Elle y décrivait parfaitement le travail d’élimination du dessin engagé à l’époque par les institutions diffusant l’art contemporain (dont les écoles des Beaux-Arts qui, ne l’oublions pas, forment les professeurs d’arts plastiques), travail consistant à culpabiliser ou humilier quiconque se fourvoierait dans cette branche si technique, si historique, si archaïque et dépassée qu’est le dessin.
Aujourd’hui les même institutions, toujours opportunistes,   semblent vouloir réhabiliter la discipline, en mettant en avant un courant de dessin contemporain. Pour cela : salons (récemment le Drawing now, à Paris), foires internationales, acquisitions officielles par FRAC et FNAC, subventions à artistes, etc.
Entretemps, certains irréductibles n’ont jamais cessé de dessiner ou de transmettre le dessin, non pour faire une œuvre conservatoire, mais bien parce qu’ils ressentaient profondément la nécessité de l’utiliser dans la pratique de leur art, qu’il en était l’un des ressorts vitaux. 
Le dessin, c’est la contemplation, l’observation, l’imprégnation, la compréhension et la connaissance du monde.  Le dessin, c’est l’apprentissage de la structure, du système osseux et des réseaux nerveux et veineux qui constituent l’anatomie d’une œuvre vivante, au fond.  C’est l’écriture, le dit et le non-dit, l’exprimé et le supposé, c’est le suspens, le mystère.
C’est aussi une manière unique de vivre le temps.
(Le dessin m’a sauvé bien souvent du désastre. Il m’a aidé, et continue de le faire, devant la toile, devant la vie, devant la mort.) 
Le dessin est par nature intemporel. Lorsqu’une feuille semble datée, c’est un peu sa fin annoncée. Voilà bien le problème de ce dessin auto-proclamé contemporain : il veut se dater lui-même, il fait tout ce qu’il peut  pour prendre une place dans l’histoire en collant à l’époque comme une glu poisseuse, au prix d’efforts qui le rendent visuellement artificiel et mensonger. Il veut être innovant absolument, alors qu’il lui suffirait d’être honnête.
Les décideurs de l’art contemporain ne changeront donc jamais ! Ils décrètent un jour que le dessin est mort, que trop de technique tue la créativité, donc la création. Le jour d’après, ils annoncent que le dessin est ressuscité, mais qu’il doit être contemporain pour exister : il doit  donc (rien de nouveau dans le vocabulaire) “interroger” ou encore “questionner”, se débarrasser de ses supports conventionnels (beaucoup de dessins muraux), ou en occuper d’autres plus improbables,  il doit “convoquer” d’autres disciplines “émergentes”, et s’intégrer dans des “dispositifs”. Il s’inspire de l’urbanité, de la bande dessinée, de l’actualité, du dessin de presse, il est souvent très anecdotique, linéaire et particulièrement froid, déshumanisé, ne laissant pas venir facilement l’expression de la main. Il est parfois terriblement enfantin,  immature.   Il emploie abusivement le discours, pour tenter de pallier sa vacuité (vacuité assez prévisible, bon nombre de jeunes artistes d’aujourd’hui présentés comme dessinateurs ayant été enseignés par une génération de professeurs qui eux-mêmes n’ont pas ou peu été formés aux techniques du dessin ; pas étonnant qu’il semble vidé de sa substance).
Mais très habilement, on associe, lors de ces réunions consacrées au dessin contemporain, quelques artistes dont l’art graphique est incontestable, pour donner une crédibilité à ces manifestations…
Dessiner, c’est apprendre l’effort, le recommencement, c’est savoir faire travailler sa main, son l’œil et son mental dans un équilibre dont la précarité et l’incertitude font l’art.
Dessiner, c’est se comprendre soi, et comprendre l’autre. Dessiner, c’est s’ouvrir. C’est apprendre l’exigence, la persévérance, c’est à la fois chercher, construire, entretenir, finir.
Loin  de moi l’intention d’associer le dessin à une imagerie nécessairement figurative :  dessiner, c’est regarder, organiser et former, même s’il s’agit d’intentions ou de sujets dits abstraits ou non figuratifs, même (encore plus) s’il s’agit de la seule couleur, ou de la seule matière. Savoir dessiner, ce n’est pas (seulement) savoir construire une perspective savante, conduire un contour autour d’une forme ou évoquer le modelé d’un sein, c’est aussi savoir bâtir et rythmer sa composition par un réseau de lignes cachées, enfoncées dans l’œuvre. C’est encore laisser sa trace, son empreinte, son geste. Y laisser sa main, sa peau.
Il ne devrait être ni classique, ni académique, ni contemporain, il devrait être au dessus de tout ça, et en dessous de tout travail artistique. L’artiste, par le dessin, a toujours cherché les linéaments du monde.

mercredi 23 février 2011

Ecran total

Regarder vraiment une peinture, c’est être en contact physique avec elle, c’est recevoir son sujet mais aussi parcourir ses aspérités, ses reliefs, c’est cheminer entre propos et matière, entre l’image et son épiderme.
Pour goûter une peinture il faut être en sa présence, libre d’avancer ou de reculer, et ainsi d’apprécier tantôt de très près le grain de la toile (reconnaître les feuils successifs à leurs ajustements irréguliers, déceler la division de la couleur à en frissonner, s’étonner de l’épaisseur, de la fluidité, de la transparence ou de l’opacité de la matière, parfois de l’absence de matière), tantôt de très loin l’unité, l’harmonie, la structure, enfin à mi-chemin son ensemble, la fusion entre sujet et matérialité, et y découvrir la légère instabilité qui signera l’équilibre artistique.

Un récent article du Monde, dans les pages Culture du 15/2/11, nous fait l’éloge du site googleartproject.com, qui nous permet aujourd’hui en quelques clics (pardon pour ce lieu commun) d’aller voir virtuellement certaines œuvres dans le musée qui les abrite, avec une définition incroyable (7 milliards de pixels) et de s’en approcher comme avec une loupe. Ce qui, insiste le journaliste, évite de se déplacer jusqu’au musée possédant l’œuvre (National Gallery, Thyssen, etc.). L’auteur de l’article semble ravi de pouvoir regarder les toiles depuis son ordinateur, “confortablement assis dans son fauteuil”. Tout juste convient-il, à la fin de son papier, que “se frotter à l’original reste indispensable”, mais pour une simple raison de format, tout en regrettant que certaines œuvres ne soient pas encore accessibles sur ce site...

Rien donc sur la peau, la matière quasi-organique, le toucher de l’œil du spectateur en présence de l’œuvre originale, vivante, respirante. Rien sur la géographie de la peinture, sur la vision directe, et donc véritable, des rapports colorés et de la touche, rien sur la place que prend le visiteur vis à vis de la toile, à la suite de l’artiste, dans ses pas, dans son approche et son recul.

Rien surtout sur les dangers de cette rencontre immatérielle. L’écran, qui ment sur le format, sur la couleur, sur le contraste, formate progressivement l’art, en annulant son humanité. J’ai bien peur par exemple que cet emploi de plus en plus répandu du numérique n’amène progressivement les enseignants, souvent en grande difficulté dès qu’il s’agit d’accompagner des élèves dans les lieux d’art (transports, encadrement, sécurité, moyens, temps disponible, etc.), à leur proposer faute de mieux, cette nouvelle vision des œuvres, et les contraigne à transmettre malgré eux l’habitude de ne plus utiliser que ce support, comme s’il était une manière désormais naturelle de regarder l’art.

H. B. évoque néanmoins rapidement, à la fin de son article, la confrontation directe avec l’œuvre, “sensation inégalable”, dit-il sans toutefois préciser davantage sa pensée…

Nous touchons à une contradiction imposée aujourd’hui par l’Internet et le développement du numérique : chaque artiste se doit, pour exister, de proposer des images sur un site, en étant parfaitement conscient qu’il manquera au spectateur “l’hic et nunc de l’œuvre d’art - l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve." (Walter Benjamin)

C’est effectivement, je crois, uniquement en présence de l’œuvre originale que l’on comprendra ce que Bazaine voulait dire en parlant de peinture illimitée.

lundi 14 février 2011

Quinze idées courtes

 

En premier lieu, le dessinateur doit observer le silence.

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Rien de pire qu'un peintre sauvant les apparences.

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Une situation fréquente : l’artiste en décomposition.

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Pis que peindre.

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Ma parole, je me tais de plus en plus.

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En art, la solitude fait la force.  

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L’encre, expression d’un caractère bien trempé.

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Il y a du Ponge chez Cueco, lorsqu’il s’arrête sur la pomme de terre.

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Où se situe le cal du peintre ?

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Dans les moments d’écriture, je mets les brouillons au propre.
Dans mes temps de peinture, je les mets au figuré.

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Il faudrait payer les faux-peintres avec de la fausse monnaie.

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Tantôt pleine, tantôt déliée, la lune.

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Ça me coûte d'être obligé de vendre.

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Malade de peinture, je suis obligé de garder l'atelier.

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"A chaque jour suffit sa peine” : si, par accident, le soleil ne se couche plus, alors le chagrin tend à l'infini.

dimanche 23 janvier 2011

Signe de vie*

DSCF8175 Quelques bienveillants jugent opportun de vous expliquer votre propre peinture, tout persuadés qu’ils sont d’en comprendre le sens. Ainsi, récemment, plusieurs personnes ayant vu mes dernières tentatives — des encres sur papier marouflé sur toile — ont cru bon de m’assurer qu’il était normal de peindre aussi noir maintenant, tout affecté que je suis.

Dans une réponse crispée j’ai pu donner le change et m’en suis amusé, mais au fond j’étais attristé de constater à quel point, encore une fois, les conventions ont la vie dure (elles).

L’encre accompagne mon travail depuis le début : à chaque écueil, à chaque conflit, à chaque difficulté relationnelle avec la peinture (contrecoup d’une exposition, doutes, égarements, etc.) elle est là pour me faire reprendre pied. Elle est la source, l’amie fidèle, elle repose les questions fondamentales, de la forme à la valeur, du contrôle à l’abandon, de l’intention à l’intuition, de la conscience à l’instinct, elle revient sans détour sur le rapport peintre/matière/idée. Elle est franche, exigeante, ne pardonne rien. Elle ne ment jamais.

Noir/mort/deuil : l’encre, ses gris, ses noirs, et les blancs qu’elle laisse n’ont rien à voir avec ça. Ils sont bien la vie, alors que l’on persiste à entretenir cet amalgame funeste. L’encre traduit le geste vivant, les variations de ses gris n’en finissent pas de respirer, sa fluidité, sa légèreté lui façonnent une chair palpitante, son indélébilité faisant perdurer ce souffle sans jamais l’altérer.

Au fond, le papier est plus mortel que l’encre.

Cette symbolique noir/mort a donc été une aubaine pour certains afin qu’il trouvent précipitamment des mots et qu’ils se sortent tant bien que mal de cette embarrassante rencontre avec un peintre survivant, abîmé, endommagé. C’est parfaitement compréhensible, le malaise provoque parfois une sorte d'empressement maladroit.  Il faudrait donc parler à tout prix devant la mort, devant la détresse, devant la peinture, devant l’art, expliquer, parler, parler…

(Il est pourtant bon de se taire, parfois : j’ai reçu une carte imbécile m’affirmant : “on est bien peu de chose”. Il faudrait envisager une loi contre les lieux communs).

Elle m’agace, cette connotation du noir qui tend à la superstition (encore un mauvais coup du christianisme),  autant à craindre que signes et thèmes astraux, numérologie, et toutes sortes de croyances accompagnées des interprétations les plus farfelues. Autant d’attitudes magico-religieuses qui véhiculent peur, culpabilité et illusions, qui dénaturent notre regard et nos actes. C’est l’expression même de la peinture, et non le médium, qui peut éventuellement évoquer la mort ou la peine, même dans la plus colorée des palettes. Ce n’est pas le noir de l’encre, dont les degrés sont qualifiés par les Chinois de “couleurs”.

Peindre en noir n’est ni une posture, ni une manière artistique de porter le deuil, n’en déplaise à certains que ça aurait arrangés, “histoire de causer”. C’est une manière de retrouver la peinture, en recommençant par le fond.

Le noir de l’encre serait alors le symbole de l’espoir.

 

*”signe de vie”, encre de Chine sur papier de riz marouflé sur toiles assemblées,     70 x 30 cm, décembre 2010

mercredi 19 janvier 2011

Bonne figure

Les mêmes qui me reprochaient hier des indignations contre la médiocrité, la bêtise, les abus de pouvoir (et j’en passe) constatés dans le milieu artistique,  indignations exprimées dans ce blog ou ailleurs, courent peut-être aujourd’hui pour acheter le petit livre d’Hessel, et le mettre en évidence sur la table du salon ou l’offrir à des amis, pensant ainsi faire montre d’un acte de résistance  “parce que c’est salutaire”, ont dit les médias. Ce qui l’aurait été, c’est de s’indigner avant qu’on nous somme de le faire. Je m’indigne donc devant cette indignation de masse soudaine et artificielle, de bon ton.

Je m’énervais l’autre jour au Prado en écoutant ces visiteurs qui s’extasiaient devant le réalisme de “l’Adoration des Mages” ou du “Triomphe de l’Eucharistie” de Rubens. Mais non, voyons ! Ces toiles religieuses et mythologiques n’ont rien, mais vraiment rien de réaliste. Elles ne font que singer, utiliser la réalité pour illustrer une fiction (ou plutôt un mensonge, diraient certains, dont je suis, indignés par les religions), ce qui est davantage un des aspects  de l‘art figuratif : celui qui “prend les formes du monde visible, nettement identifiables, comme matériau”. Ici comme matériau de propagande, d’illustration de vieilles légendes, plus ou moins dangereuses. 

Pour ma part, je serais plutôt tenté de qualifier ces peintures d’abstraites (surréalistes, éventuellement) : elles  représentent des idées, des pensées, des croyances, des dogmes. Pas la réalité. Michel Seuphor disait : “J'appelle art abstrait tout art qui ne contient aucun rappel, aucune évocation de la réalité observée, que cette réalité soit, ou ne soit pas le point de départ de l'artiste”.

Parce qu’elle s’inspire plus ou moins consciemment de couleurs, de formes, de compositions ou de rythmes que chacun peut trouver dans la nature, une toile d’Hartung, de Rothko ou de Degottex est plus figurative, en tous cas moins abstraite que n’importe quelle peinture mythologique ou religieuse).

“Guernica”, de Picasso, admirée une heure plus tôt dans le musée d’en face, est une toile réaliste. Terriblement réaliste.

Réalisme : “volonté de représenter la nature telle qu’elle est”. Rubens a montré des hommes  tels qu’ils sont,  mais où a-t-il pu voir le “Grand jugement dernier” pour le représenter aussi fidèlement ?

Figuratif : “art qui s’attache à représenter les formes du monde visible, ou bien qui s’attache à donner une représentation plastique reproduisant exactement l’apparence des objets représentés”. Rubens a donc bien connu Cupidon, Vénus, Saint-Ceci ou Sainte-Cela et tant d’autres personnages légendaires et peut ainsi les montrer dans leur exacte apparence…

Mais l’athée que je suis est évidemment de mauvaise foi. Il continuera donc de penser que lorsque Rubens fait le portrait de ses contemporains, il est purement figuratif (et réaliste) et quand il peint “l’Immaculée Conception”,  il est abstrait, rien là-dedans ne me rappelant la réalité de la nature.  Avouons pourtant que dans les deux cas, sa manière est extraordinaire, et les très nombreuses œuvres actuellement au Prado sont réellement admirables techniquement. Je les ai prises comme une inégalable leçon de peinture. En ce qui concerne les sujets, c’est une autre histoire… Le prosélytisme pratiqué par les artistes, même s’il est lié au statut des peintres à cette époque,  m’indignera toujours. M’indigne tout ce talent —de Rubens, du Greco, et de tant d’autres croisés au Prado, et dans tellement d’autres musées— mis au service de la propagation de tant de mensonges.

Aujourd’hui, l’époque est donc à l’indignation, à ce qu’on dit. Ça me va, la mienne est à fleur de peau.  Je doute pourtant que les mots d’Hessel aient une vraie portée, qu’ils rendent soudain indignés  des gens qui ne l’étaient pas avant de les lire, qu’ils les poussent à dire à voix haute leur révolte, si toutefois elle apparaissait. Le plus étonnant, dans son texte, n’est pas son indignation. C’est qu’il garde espoir.