vendredi 29 décembre 2017

C'est à dire



Coupés du bleu brûlant d’un sable
Vert-gris sonore ou froissé, orangé moite, noir d’or, pourquoi pas
Viendront si l’on veut
Là où l’on n’attendait personne
Un violet liquide puis parfumé, une ocre ventée d’airs lointains, un rouge tiré au clair, sabré, coulant sur le dos, fait mine de ne pas savoir
La brèche
Mauvaise vie d’artiste ou vie d’artiste mauvais, ruisselant, au pinceau trouble, à la toile rouée qui gonfle les heures et pousse vers un avant sans cible dans des terres fatiguées
Cachons-nous sous le plissement des yeux rompus
Fendus
Tirons le jaune de la couverture à nous et laissons le froid saisir la chair des encres
Mais silence, faisons silence, peignons silence, composons, arrangeons silence, assez de fracas et de papier nu, habillons dedans, couvrons-nous des chahuts de la couleur et des énigmes
Si nous le pouvons

vendredi 8 décembre 2017

idées courtes # 25



Edward Hopper, pour peindre en 1963 sa toile Sun in an empty room, aurait-il lu l'aphorisme de Lichtenberg J 330, écrit vers 1790 ?

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Je viens d’un milieu défavorisé : mon père était médecin militaire et fervent catholique.

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Au diable les faux verts.

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Regarder un tableau ? Non, chercher à l’élucider, plutôt.

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J’attends d’une peinture qu’elle ne soit pas attendue.

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Un lieu commun sur le travail du peintre : il faut savoir s’arrêter. Plus généralement, et on en parle moins, il faut savoir continuer.

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Une supposée idole fabriquée par les médias meurt comme tout le monde. Les journaux imbéciles titrent indécemment : « La France pleure ». Pas moi, je suis sec, j’ai donné ailleurs, quand cela valait la peine.

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Pendant les travaux le tableau reste ouvert.

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Un chanteur transpirant meurt. Je suis triste. D’entendre ce vacarme obscène, de constater que nos vies seraient donc si vides qu’il nous faudrait les remplir par l’idolâtrie.

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Je parle à peu près correctement le français, je m’arrange avec l’espagnol, je baragouine l’anglais. En revanche, je maîtrise parfaitement le silence.

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Les rescapés d’une catastrophe remercient leur dieu de les avoir épargnés. Ils ne pensent pas à lui reprocher de l’avoir provoquée.

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Visite d’atelier : âmes sensibles bienvenues. 

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dimanche 19 novembre 2017

idées courtes #24



Dessiner, peindre ? Tout remettre à plat.

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Pour la sécurité routière, une journée classée noire ne laisse rien présager de bon. A l’atelier, mes journées noires sont celles de l’encre et semblent  toujours prometteuses. Ce qui ne les empêche pas d’être les plus dangereuses, elles aussi.

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Cent fois l’ombrage sur le métier.

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Je dois m’arranger désormais avec ce paradoxe : être à la fois agueusique et homme de goût.

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Pratiquer l’art de peindre pour ne rien dire.

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La violence monte partout, jusqu’au langage courant. Pour preuve l’emploi immodéré de l’expression « du coup ».

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Certaines choses nous parlent, d’autres nous hurlent. 


Peindre sans doute pour donner une forme au présent.

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Exposer l’art-thérapie, n’est-ce pas violer le secret médical ?

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Derrida ne m’a jamais arraché le moindre sourire.


Le peintre, petit producteur, subit des pressions pour fixer son prix en le tirant à la baisse : trop élevé selon les critères du galeriste, ce qui rendrait la toile  plus difficile à vendre. Calculons rapidement que pour une toile vendue 2000 euros, par exemple, l’artiste en retirera, au bout des comptes (prélèvement des commissions, charges sociales, impôts, matériaux, transport, fonctionnement de l’atelier — oui, les artistes, s’ils le peuvent, se chauffent, s’éclairent, se lavent les mains et les pinceaux, etc.) au maximum 700. Le galeriste insiste : 2000 euros, c’est trop, le prix ne passe pas auprès des clients, affirme-t-il. Il faudrait baisser à 1500, ce qui rapporterait  au mieux 500 à l’artiste. Certains vont accepter par nécessité, ayant besoin au moins de rentrer dans leur frais réels (mais où est passé le travail dans tout cela ?), d’autres non (plus prétentieux ? plus exigeants ? moins soumis ?), refusant de réduire leur tâche à peau de chagrin.

Conclusion vicieuse : pour vendre dignement, il faut avoir les moyens.


Le comble de la vanité : prêcher un convaincu dans le désert.

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Acheter des tableaux pour teinter sa vie ou pour blanchir de l’argent crasseux ?

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Il était sûr d’obtenir un bon dessin sans avoir à souffrir d’un effort. Voyant son dessin mauvais, il souffrit. 

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vendredi 27 octobre 2017

idées courtes #23



Propositions aux logisticiens des expositions : instaurer couloirs d’attente et horaires réservés aux fous furieux de l’image numérique qui photographient les bras tendus et au pas de course chaque toile puis immédiatement son cartel (« on regardera ça à la maison »), sans jeter le moindre coup d’œil direct à l’œuvre et en bousculant sans vergogne les pauvres types dans mon genre qui aimeraient profiter calmement d’un temps de conversation silencieuse avec la peinture et son auteur. Ou bien, à l’instar d’un vestiaire obligatoire pour les porteurs de sacs à dos, imposer le dépôt des téléphones, tablettes ou appareils photo avant toute visite. Il se pourrait que non seulement le calme revienne, mais que les files d’attente diminuent considérablement.

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L’artiste a les mains dedans, le philosophe la tête ailleurs.

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Conversation : interrompre son interlocuteur, c’est avoir la prétentieuse certitude que ce que l’on a à dire a plus d’importance que la parole offerte. Pour ma part, je pencherais pour l’alternance, le va et vient, avec une inclination supplémentaire pour réserver un silence ponctué entre l’un et l’autre, entre le va et le vient, une courte marche de l’esprit d’escalier, un temps vivant de réflexion pour un meilleur rebond des mots : conversation.

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Du minimum vital au minimum létal, une existence fragile.

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— Vous pêchez quoi ?
— De la solitude et du silence, et jusqu’à maintenant ça mordait.

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Se sent-on mieux dans sa peau lorsqu’elle est tatouée ?
 
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Conversation : interrompre son interlocuteur, c’est avoir la prétentieuse certitude que ce que l’on a à dire a plus d’importance que la parole offerte. Avouons que c’est parfois le cas.

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Je viens de commencer la lecture d’un livre qui ne m’est pas tombé des mains. Je l’ai jeté par terre.

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— À quoi penses-tu ?
— Ce à quoi je pense m’appartient, figure-toi, et je ne suis pas prêteur.

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Un gros bavard, ou l’adipeux qui (pourtant) parle beaucoup.

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Dans un appartement de location, la tapisserie de la salle de bain était rehaussée d’une frise de mots peints au pochoir, aux couleurs légères, sur un rythme dansant : douceur, plaisir, sourire, sérénité, amour, bonheur, calme, détente, rêve, joie, quiétude, amitié. Ils se répétaient aléatoirement tout autour de la pièce sans que l’œil ne puisse jamais les éviter. Malgré la brièveté du séjour, ma mémoire les a fixés et depuis ils me hantent, ne me lâchent plus, ni la nuit ni le jour. Je suis devenu nerveux, agité, violent, tendu, agressif, angoissé, j’ai perdu mes amours et mes amis, ces mots hurlent et s’entrechoquent dans mes cauchemars.
Je viens de laisser sur le site Airbnb un commentaire pour alerter les internautes voyageurs.  

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En matière de comportement d’ours mal léché, j’ai trouvé mon maître : Cézanne. Mais si nous parlions peinture ?

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La cigale cymbalise, l’alouette grisolle, le bouc béguète, et le chat-huant nous vilipende.

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À moi, peintre anosmique définitif, le droguiste ne sachant pas propose du white spirit sans odeur.

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Plusieurs groupes d’écoliers dans une grande exposition : bruit, cris, galopades, brouhaha aigu, les enseignants qui tentent de se faire entendre en haussant le ton, etc. Le tout augmenté et massifié par la résonance de l’espace.
Pourquoi, avant d’expliquer le cubisme aux enfants, oublie-t-on de leur apprendre le silence de la peinture ?

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—Pas de souci ! répond le peintre.
(Mais d’où sort-il, celui là ?)

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Entendu : « faut voir à l’usure »

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Pour revenir aux insupportables et dangereux photographieurs numériques, compulsifs et surnuméraires encombrant les expositions, se comportant comme s’ils étaient seuls au monde, davantage fascinés par le bidule hi-tech qu’ils ont en main(s) (dont la carte-mémoire n’avalera que la surface et qu’ils ne digèreront sans doute jamais) que par la pauvre toile pendue devant eux, il semble que le « concentré de technologie » qu’ils tiennent à bout de bras en s’y accrochant désespérément les vide de leur propre faculté de concentration devant la réalité de la peinture et du monde qu’elle propose d’ouvrir.
Se rendent-ils compte que, dans leur objet transitionnel, ils n’emporteront jamais l’âme de l’œuvre ?

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Lucidité : même le plus sombre de nos existences devient très clair.

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On me montre, pour avis, une photographie d’un portrait peint d’après une photographie.

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Le geste ridicule joint à la parole et figurant les guillemets (doigts crochus en mouvement vertical de chaque côté de la tête qui profère l’ineptie), est un signe de plus de l’anglicisation galopante. Car, pour être ici typographiquement correct, il faudrait en l’air dessiner des chevrons.

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Mon automne m’ennuie.

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Peindre ? Peut-être pour comprendre ce que n’est pas la peinture.