Madame l’Adjointe au Maire d’Angers Déléguée à la Culture Collective,
je viens de prendre connaissance de l’appel à projets* pour la manifestation “Art d’ici” en 2013, et souhaite vous faire part de mes réflexions à ce sujet. Réflexions que j’avais par ailleurs déjà confiées à une représentante de la Municipalité venue visiter en votre nom ma dernière exposition personnelle angevine, en septembre dernier. Je lui disais à l’époque mon étonnement et ma déception de voir privilégiés, pour la manifestation de 2012, exclusivement des projets collectifs, essentiellement associatifs, censés, selon la communication abondante liée à la dite manifestation, représenter l’art d’ici, c’est à dire du territoire d’Angers. J'avais tenté d'expliquer que pour certains artistes, et de tous temps, le travail de création ne pouvait être envisagé autrement que solitaire, individuel, isolé, et qu’il était étrange de vouloir faire croire au public que la meilleure représentation de l’art passait nécessairement par l’association, le regroupement, le mélange ou l’accouplement des artistes. Cette personne, fort à l’écoute, semblait m’entendre et comprendre toutes les difficultés que les artistes véritablement indépendants rencontrent, mais admettait que les choix politiques n’allaient effectivement pas dans ce sens... Elle promettait cependant de vous rapporter la teneur de notre conversation.
Je vous avoue donc que la première lecture de l’appel de cette année m’a laissé espérer un changement : car on y parle bien de ces artistes indépendants. Oui, on y a pensé, c’est donc une catégorie bien réelle, identifiée (mais alors il y aurait, par conséquent, des artistes dépendants ?…). La déception n’a pas tardé : aussitôt après les avoir reconnus, on leur demande d’inviter d’autres artistes pour monter un projet finalement collectif. Nous y revoilà : il faut faire rentrer dans le rang ces brebis déviantes et marginales en leur promettant si elles se parlent, s’invitent, s’acoquinent, projettent, se draguent, se fréquentent, s’hypocrisent pour l’occasion, de considérer leur effort et de les peut-être exposer, en leur donnant des moyens municipaux… Au prix seulement de ces rapprochements elles représenteront l’art d’ici. Ce qui contredit me semble-t-il un des objectifs annoncés de votre manifestation qui est de “favoriser la diversité de formes et de modes d’expression artistique”.
Bien sûr, je pourrais adhérer à une association, me mettre en cheville avec quelques artistes et imaginer avec eux un vague projet qui pourrait entrer dans un lieu de la ville. Mais, voyez-vous, je n’y arrive pas. Je ne sais pas faire, je ne suis pas comme ça. Je travaille seul, projette seul, et préfère concentrer mes efforts dans cette autonomie et sur les projets individuels qu’elle fait naître qui, eux aussi, ont besoin d’être montrés. Et croyez bien que je ne parle pas en mon nom particulier : nous sommes nombreux dans cette indépendance. Ceci dit, je n'aurais aucune raison de refuser de m'associer à un projet s'il était proche de ma sensibilité. Etudierai toute proposition. Aujourd'hui pourtant, la question reste entière : pourquoi ne pas ouvrir "l'art d'ici" à des projets individuels ?
Madame l’Adjointe au Maire d’Angers Déléguée aux Evènements Culturels Collectifs, pouvez-vous comprendre qu’ici, dans votre territoire, vivent et travaillent depuis de longues années des artistes qui ne peuvent trouver leur essence, leur salut, le sens de leur création que dans une attitude libre de tout conditionnement, de tout mariage d’intérêt, que seule la solitude leur permet d’avancer, que de leur intraitable indépendance dépend la sincérité de leur œuvre ? Pouvez-vous imaginer que pour certains le travail artistique ne puisse pas se réaliser autrement que dans cet inconditionnement absolu ? Cela enlève-t-il une quelconque valeur à ce travail ? Cela le rend-il moins montrable, moins intéressant, et surtout moins d’“ici”? Cela mérite-t-il donc d’être moins encouragé ? Voire d’être méprisé ? C’est ce que je comprends dans votre appel (mais je ne demande qu’à être contredit, rassuré) et dans la communication associée et j’en suis parfaitement désolé. Alors je vous le demande : que proposez-vous à ces artistes-là, aux solitaires indécrottables et incapables de faire mieux ?
(Autre question soulevée par cette initiative : plusieurs membres des associations intéressées sont artistes amateurs, ce qui augmente encore la confusion dans le public à ce sujet, sans parler des quelques problèmes administratifs que cela pourrait poser. Loin de moi l’idée de dénigrer le travail amateur, j’ai tendance au contraire à l’encourager, mais faut-il le diffuser en même temps ? D’autant que d’autres manifestations municipales comme “Mon voisin l’artiste” s’en chargent déjà, et à la même période…).
Je m’aperçois aussi qu’en 2013, cette manifestation d’art collectif officiel occupera cette fois l’actualité artistique locale du 25 septembre au 11 novembre, soit une semaine de plus encore qu’en 2012, soit quelques jours à peine après le festival de rue non moins officiel qui envahit les colonnes des journaux, les vitrines et les médias dès la rentrée et soit juste après les incontournables journées du patrimoine. La presse “d’ici,” toujours très réactive quand ils s’agit de relayer les évènements officiels, ainsi que tous les supports de communication seront donc monopolisés un peu plus par le pouvoir culturel municipal, au détriment bien sûr des éventuelles initiatives créatives indépendantes, de plus en plus noyées dans le flot des manifestations culturelles prépayées ou subventionnées (Municipales, Régionales, Générales ou Nationales).
Madame l’Adjointe au Maire d’Angers Chargée du Regroupement Artistique, je sollicite par la présente (tout en vous priant de prendre cette démarche non pas comme une revendication amère, mais plutôt comme un véritable geste artistique contemporain) le droit d’exister tout seul aux yeux des responsables culturels de mon territoire, mais d’exister tout de même, et je souhaite porter à votre connaissance une nouvelle fois mon travail et mon projet artistique. J’imagine en effet que votre prédécesseur, que j’avais rencontré avec un dossier préparé à l’époque pour le hall du Grand Théâtre, lieu souvent dédié aux expositions, a dû le glisser assez vite à la poubelle, mon parcours ne m’ayant pas (ou si peu que c’en est négligeable) conduit vers les Beaux-Arts d’Angers, ce qui à l’époque de ma demande était de son propre aveu rédhibitoire pour y exposer : lieu réservé, comme tant d’autres, aux étudiants ou anciens étudiants ou enseignants ou anciens enseignants de la prestigieuse école. Mon projet artistique, voyez-vous, n’est rien d’autre que de poursuivre honnêtement mon chemin pictural, il n’est pas pour l’occasion d’en inventer un autre bien artificiel avec des (faux) amis artistes de passage pour espérer obtenir l’octroi d’une salle locale et une grosse promotion associée. J’osais espérer qu’une véritable politique culturelle aurait davantage pris en compte les sensibilités individuelles de la région. En toute indépendance.
Il se peut qu’en réponse, vous avanciez l’argument de la salle municipale (la vieille tour près du Musée) mise à la disposition des artistes pour des expositions personnelles. Je vous répondrais, pour l’avoir occupée par deux fois il y a 25 ans, qu’elle est minuscule et sombre, et que la prise en charge des modalités d’exposition et de communication n’a rien à voir avec les lieux de “l’art d’ici”.
Car voyez-vous, ce n’est pas parce que l’on travaille seul que l’on est indifférent aux aides publiques existantes, surtout lorsque l’on est un peu attentif à la façon dont elles sont octroyées.
Les budgets culturels étant partout en baisse, il faut trouver des parades : on peut imaginer et comprendre que se reporter sur les associations et les collectifs permette d’alléger substantiellement les charges et les coûts d’organisation. Peut-être est-ce une des raisons de l'orientation choisie ?
N'aurait-il pas été finalement préférable d'adresser cet appel aux artistes plastiques plutôt qu'aux plasticiens (mais à peu de choses près…). Car il faut faire preuve d'une vraie malléabilité pour, tout à coup, lorsqu’on besogne depuis toujours dans son coin d’atelier silencieux, se mettre à fréquenter, à batifoler collectivement pour monter un projet. Vous ne nous demandez là rien d’autre que de sortir de l’état sauvage.
Pour qu’on ne morde plus ?
*lien vers l’appel à projets