vendredi 14 décembre 2012

idées courtes #6

 

Chaque matin, l’œil doit reprendre pied dans la toile.

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L’atelier comme une fabrique de silence.

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Viens de terminer un dessin au brou de mémoire.

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Peindre, donc renoncer.

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Il faut chaque jour aller à l'atelier, n’est-ce pas ? Même pour y faire semblant.

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On parle de lui parce qu'il expose. On ne parle pas de ce qu'il expose. Mauvais signe.

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Œil voit, cerveau regarde. Main suit.

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Quand un faux-cul s’assoit à ma table, je lui propose une fausse chaise.

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Magnifique sensation de poser le pinceau sur un germe d’ idée.

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On n’est pas artiste intentionnellement.

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Récolté de nombreuses réactions après les portes ouvertes organisées récemment chez des artistes, associés pour l’occasion. Les visiteurs sont unanimes : ce T., quel magnifique atelier il a !

Oui, mais rien sur sa peinture.

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L’autre soir, dîner en société, fort obligé. Je crois m’être assis sur une fausse chaise.

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Gris de Payne et rouge de malheur.

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Peut-être s’agit-il simplement de poser la couleur sur l’instant pour le révéler, d’arrêter l’œil sur le temps pour le représenter,

d’observer le silence pour le peindre

et en offrir l’image à nos absents.

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La copie d’une toile n’apprendra rien sur le chemin parcouru par le peintre pour atteindre  la surface.

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Assurément dubitatif .

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Aucune peinture n’est assez opaque pour recouvrir les catastrophes.

mercredi 14 novembre 2012

En toute prétention

 

Les paroles prononcées lors du vernissage de ma dernière exposition font encore des vagues, deux mois plus tard, dans le petit monde du barbouillage angevin (voir article ici). Ce soir-là, au milieu d’un long exposé destiné à donner un historique et des propositions de lectures de mon propre barbouillage,  j’avais fait  part publiquement mais en quelques mots seulement de mes interrogations concernant les modalités d’attribution de l’espace, questionnant (gentiment) les choix artistiques de la commission municipale en charge de la programmation. Malheureusement, certains n’ont retenu que cela, alors que l’essentiel était bien ailleurs.  Ce billet fournira donc à ceux-là davantage de grain à moudre dans leur moulin à paroles. A priori, le fonctionnement est le suivant : l’artiste souhaitant exposer dans ce lieu (très beau au demeurant) doit adresser un dossier de candidature,  sachant que la salle est octroyée, moyennant finances, par périodes de 10 jours et que l’artiste prend également à sa charge les frais d’installation, d’affichage, de publicité, de vernissage, d’assurance, de gardiennage.  La commission se réunit de temps  en temps pour statuer d’exposer untel ou untel, et établir le calendrier des locations. Premier point : y a-t-il  dans cette commission quelqu’un pour veiller, à partir de leur dossier, au statut des exposants, et pour informer les candidats ignorants (volontairement ?) de l’existence des textes légaux concernant la pratique amateur  et la vente d’œuvres ?   Deuxième point : cette municipalité cherche apparemment à donner une réputation à ce lieu (sinon pourquoi une telle commission ?) ce qui est fort louable, mais aussi j’imagine, et cela se comprend, à rentabiliser les investissements. Je confiais d’ailleurs (gentiment) aux élus présents ce soir-là “espérer ne pas faire honte au lieu en venant l'habiter 15 jours”.  Rechercher la qualité et récolter un peu de finances : cette ambivalence est peut-être une explication de la sélection discutable des exposants, dont certains à mon avis (j’ai bien le droit d’avoir un avis) tirent le niveau plutôt vers le bas ou n’ont pas la légitimité (c’est avéré) pour prétendre vendre leurs œuvres. On aimerait savoir qui siège dans ce groupe de travail, et si un tel collège sait s’entourer de conseillers compétents. Je crois qu’une réputation se fait au prix de l’exigence (je n’ai pas dit : de l’élitisme). Troisième point : dans cette programmation figurent certains artistes (le mot est fort)  invités par la municipalité, bénéficiant sans doute du privilège de la naissance ou de la résidence dans la bourgade (cela ne donne pas nécessairement le talent), ce qui, j’imagine, les dispense de tous les frais cités plus haut et de voir leur dossier passer devant cette fameuse commission. Et on en profite pour se faire remettre des prix bidons par des copains, comme cela se fait partout et depuis toujours, sous l’œil bienveillant d’une presse locale… empressée. Peu importe donc si ce qu’ils exposent est à la peinture ce que ma cuisine est à la gastronomie. Et si d’un côté mes gentilles petites questions (perfides, dit-on)   font parler certains, d’un autre ces piètres expositions font enfler une rumeur évoquant une programmation inégale dans une belle salle sous-employée… Chacun entend les bruits qu’il veut, n’est-ce pas ?  Alors oui, je persiste à signer mes paroles du vernissage, dans lesquelles ma seule prétention était d’espérer voir dans ce lieu rénové et dédié aux artistes des expositions dignes de la qualité de son espace, me disant que si cela jase autant depuis, c’est que j’ai peut-être (gentiment, pourtant) touché un point sensible. 

lundi 12 novembre 2012

Etat civil

 

Hasard ou coïncidence des programmations artistiques récentes, je viens de visiter en quelques semaines les expositions consacrées à Soutine à l'Orangerie et à Rebeyrolle à Chambord, ce qui m’a amené à réfléchir à la filiation des artistes :  curieusement, dans ce domaine de la parentalité artistique, ce sont plutôt les enfants qui tendent à reconnaître, parfois,  leurs géniteurs. Rembrandt, Chardin, Soutine, Bacon, Rebeyrolle : une généalogie évidente, et reconnue, voire revendiquée par les artistes eux-mêmes.

Dernier hasard en date, je découvre il y a peu plusieurs Otages de Fautrier, exposés au Musée d'art moderne de la ville de Paris dans le cadre de la passionnante, copieuse et souvent poignante exposition “l'art en guerre”. Ce peintre fait partie de cette même lignée citée plus haut dont Barceló, (dont j'aimerais qu'une autre coïncidence me permette de revoir bientôt les œuvres), est un des descendants directs. (Quelle émotion alors de relire au retour le texte Note sur les otages de Fautrier de Ponge.)

Il est tentant et utile parfois d’approcher l’histoire de l’art par l’angle de la parenté artistique. Reste à déterminer ce qui est influence, transmission, emprunt-mais-ça-reste-dans-la-famille, etc.

Je me souviens (les méandres de l’esprit) d'une conversation ancienne avec un artiste notoire à qui je demandais innocemment s'il avait rencontré Clavé, frappé que j’étais par la ressemblance de certaines œuvres des années soixante de l’un avec certaines des années quatre-vingt-dix de l’autre. M'a assuré que non, balayant rapidement le sujet. Je n’en ai jamais pensé moins.

Certains artistes revendiquent l’orphelinage, ou n’affichent aucune reconnaissance envers leurs parents d’art. En revanche, ils savent profiter pleinement de l’héritage.

dimanche 7 octobre 2012

journal d’exposition (12 et fin)


deuxième jeudi

Scène touchante de cette petite fille de 8 ou 9 ans venue avec sa classe l’autre jour qui entre aujourd’hui avec maman et frère après l’école,  leur offrant une visite guidée et commentée de toute l’exposition. Le papa sera entraîné le lendemain.

Vivre à la colle avec ses propres toiles durant 15 jours met de la distance entre elles et soi.  Il faut toutefois se méfier de ce recul,  un recul tel qu’il serait facile de tomber en arrière et de se casser le dos. Ce serait un trop bon prétexte pour ne pas retourner à l’atelier. 

deuxième vendredi

"Il y a un sens de visite ?” me demandent nombre de visiteurs en entrant.  Me plais à répondre : “Non, tout ça n’a aucun sens”.

Un groupe est entré pour admirer… le bâtiment, une ancienne grange à dîme dont la commune est très fière. Tout accaparés qu’ils étaient par la charpente et la restauration, ils n’ont absolument pas remarqué qu’il y avait là quelques dizaines de toiles accrochées. Humilité, je t’avais un peu oubliée. 

troisièmes samedi et dimanche

Au milieu de tous ces gens au milieu de mes toiles, j’ai le trac du prochain retour à l’atelier. Du retour au travail, au mutisme ou au soliloque, après avoir tant parlé aux autres, conversé, expliqué, suggéré, répondu, montré, dit et surtout non-dit. Début d’une hibernation laborieuse, recommencement d’un silence coloré et plein de taches. Une hâte, une excitation, et une peur des retrouvailles. Vingt jours sans peinture et le manque est là, teinté de l’appréhension de ce changement brutal d’activité.

De nombreuses personnes se rappellent la très prochaine clôture et se dépêchent de venir. Ils m’empêchent d’écrire mon journal, et c’est tant mieux.


Toutes les remarques recueillies sur les sentiments provoqués par mes toiles sont autant de dérangements indispensables, qui me touchent à cœur. C’est bien ce que je cherche avant tout par l’exposition. Que les visiteurs me mettent devant le fait accompli par leur propre émotion, ce qu’ils lisent dans les toiles, ce qu’ils perçoivent dans les taches, les tons, les formes, les couleurs, l’expression de la touche et des accords. J’ai beau me défendre de toute intention avouée, ils ont sans doute raison, tous autant qu’ils sont, tous tels qu’ils sont, dans ce qu’ils reconnaissent d’eux-mêmes et de moi devant les toiles et les encres. Et malgré les déceptions médiatiques, loin des coups de griffes contre quelques mal élevés, il me restera ces échanges de regards sur mes surfaces peintes, ressenties paradoxalement et à juste titre —quelle prétention— comme profondes, enfermant des histoires autrement dites que par les mots, des temps de peinture consacrés autant à la mémoire qu’aux souvenirs à inventer.

vendredi 5 octobre 2012

journal d’exposition (11)


deuxième mercredi
Le vernissage, c’est pour parler écouter faire du bruit, pas pour voir. Pour cette raison, je reçois beaucoup de revisiteurs.
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Quand des artistes visitent l’exposition, ils viennent en voleurs, pour emporter des idées, des formats, des palettes, des intentions, des rapports, des procédés1. Ils viennent en confrères soutenir et encourager1. Ils viennent en rivaux, en animosité, en jalousies et en aigreurs1. Ils viennent en critiques, en subjectifs, en spécialistes, en connaisseurs1.

Ou ils viennent parler d’eux2 .
Etonnant ces artistes qui entrent dans l’exposition pour ne pas voir.
Ou ils viennent chercher des camarades pour jouer à l’ego.
Usent parfois d’une familiarité illégitime, comme si on était de la même bande.
Ou ils viennent en toute amitié vraie2.
Ne passent pas au vestiaire et gardent avec eux leur sac bourré d’arrière-pensées1.
Ou ils viennent en apprentissage1, parfois, ou au contraire en conseillers avisés. En simples curieux1, bien souvent. En espions, cela arrive.
Se posent en Maître, pour certains.
Ou ils se la jouent la ramènent se la pètent parlent fort déplacent du vent vain en uniforme d’artiste pleins de hauteur. Ceux-là m’obligent à faire courant d’air.
Ici pas de livre d’or : certains regrettent de ne pouvoir laisser leur trace1.
Ou ils posent des questions indiscrètes, touchant à l’intime, d’un sans-gêne sans nom sans titre. Par exemple : “tu emploies quoi comme colle ?”
Ou ils viennent voir la salle, en repérage1. Ou en marchands concurrents à l’affût des pastilles rouges2 évaluer si le marché se porte bien car c’est la crise comme chacun sait. “Ça marche en ce moment ? Tu as bien vendu ?” Entre commerçants, on peut bien se le dire.
Souvent, ils ne viennent pas1.
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Notes :  
1- Je fais parfois comme tout le monde.
2-Toute ressemblance est loin d’être fortuite.

jeudi 4 octobre 2012

journal d’exposition (10)


deuxième mardi
Depuis le fond du parc, les sons d’enfants comme et avec ceux des oiseaux, aigus, animés, vivants, mélangés, approchent de la salle. Ils ont quitté l’école pour une heure de visite à mon travail, en ont l’air ravi, cela s’entend de loin. Se rangent sagement devant l’entrée, se taisent lentement et là seulement, silence obtenu, peuvent entrer. Préparée en classe, à partir de l’internet ou de l’affiche, la visite est aussitôt teintée de la surprise de leur découverte des véritables formats et matières que leur écran ou le papier ne disaient pas.   Ils s’empressent de s’éparpiller dans les deux salles, commencent à répondre à leur questionnaire, ou à copier une des toiles. Papillonnent butinent picorent quelquefois s’attardent.  S’éparpillonnent, en somme. Plus tard se regroupent autour de moi et posent des questions en tas, en rafales, en tirs groupés, des questions dérangeantes (qu’est-ce que tu ressens quand tu peins ?), pratiques (tu peins sur quoi, avec quoi ?), métaphysiques (comment pourquoi as-tu commencé à peindre ?) des bonnes questions (peins-tu seulement dans ton atelier ou vas-tu dehors ?), des questions de fond (pourquoi toutes ces écritures dans tes tableaux?), de surface (c’est quoi le papier de riz ?), des questions tout petit déjà à l’air de lieu commun (ta peinture est-elle figurative ou abstraite ?). Et des confidences jolies et poétiques et sensibles sur ce qu’ils voient pensent imaginent devant les toiles. Des cris des courses des rires des énervements indiquent que leur concentration est évanouie perdue évaporée et les voilà déjà sur le chemin du retour, massés devant la sortie, refaisant silence avant de me saluer me remercier et regagner leur classe. Ils emportent avec eux une petite encre  faite sous leurs yeux d’enfants pleins d’étonnement naturel paysage de petite nature bordée d’une calligraphie évoquant notre rencontre.
Ils me feraient cadeau en fixant peinture et moment passé ensemble dans leurs souvenirs pour plus tard.

mercredi 3 octobre 2012

journal d’exposition (9)


deuxième dimanche
Un lézard vient d’entrer, il parcourait la plage de soleil qui s’étale loin dans la salle ce midi par la double porte largement ouverte. Il  n’a pas fait la différence entre dehors et dedans. Je suppose qu’il est surpris et attiré par mes couleurs, mais qu’il va me demander bientôt pourquoi ces ombres. C’est normal qu’un lézard craigne les ombres, en tous cas les évite. Il reste longtemps devant un monochrome jaune, cambré, appuyé perplexe sur ses deux pattes avant tendues, puis brusquement avance encore dans la pièce, semblant glisser jusqu’à la toile d’après. Il suit là le même parcours que la plupart des visiteurs avant lui. Se fige à nouveau devant une toile ponctuée d’encre et de bleu. Semble hésiter. Une question? Il est à la limite de l’ombre portée de l’encadrement de la porte. Personne ne me croira si j’affirme l’avoir vu frissonner. Volte face, se reprend, se retend, alerté par les pas de nouveaux visiteurs. Il retrouve en une fraction de seconde et sans mouvement apparent le pavé chaud du parvis. Comme je le comprends.
*
Ma peinture n’est pas surréaliste, certains visiteurs, si : elle regarde un de mes grands formats, se tourne vers moi, écarte grand ses bras et me lance, les yeux brillants, dans un large sourire, presque comme en révélation, en une béatitude  : “je vais peindre une grande toile, très grande : des vaches.”
*
En tant que visiteur, spectateur, preneur,  l’interprétation d’une toile n’est somme toute que le reflet du fond de soi. Celui de l’artiste est bien ailleurs.

mardi 2 octobre 2012

journal d’exposition (8)

 

deuxième samedi

Parmi les chuchotements des visiteurs, j’attrape de loin en loin des mots en morceaux, des éclats émoussés de voix murmurées

…tellectuel,

ténébreuse…

lumière… pas de ça chez

…comprends rien … quilibré

…lligraphie

ça jase et discute en amorti, suppose délicatement, on y voit des mystères qu’on veut éventrer, on y soupçonne des secrets qu’on aimerait éventer, on veut simplement rester discret

….uptif … ça bril…

dommage que… ogorrhée…

pas spontané…

omposé/construit

…veut dire quoi ?

… pas cette toile

point fort… trinité

Entendu de loin. J’aimerais savoir plus de ces traits de confidences, ou bien ne rien entendre, être ailleurs, à l’atelier ce serait le mieux, laisser ici l’espace à d’autres, gardiens de toiles pendues, et moi retourner peindre en avant alors que l’on regarde mes arrières accrochés sur les murs pâles.

…rait du sang… rouflé

…touché… égouline,

nutile… de la colle

oppressé …mais vu…

profondeur

les mots soufflés aux murs ou à son voisin évoquent  ce qui vient en premier, ce qui préside au renvoi vers soi, ce qui atteint le tain.

…ômes et des ombres,

vendu ?…

…termine quand ? 

pourquoi rouge…

…vous plaît ?

je réalise que c’est à moi que l’on  s’adresse cette fois. Je tente de dissiper mes pensées dissipées, de revenir au présent, j’ébroue la discordance des temps et des lieux —être là autant qu’à l’atelier— et  retourne à mes visiteurs qui souhaitent réserver une toile.

journal d’exposition (7)


vendredi
On m’avait assuré voici quelques jours d’un article dans un des deux journaux locaux pour ce matin. Rien. On m’apprend que la parution en est reportée (en principe) à mardi prochain, soit 5 jours avant la fin d’une exposition qui en durait quinze et dont le dossier de presse a été adressé aux rédactions trois semaines avant le vernissage. Dans l’autre feuille, je n’espère pas mieux. Reste une solution, en désespoir de cause, pour faire parler de moi: aller m’immoler par le feu devant les locaux des journaux en question. Cela aurait l’avantage d’être spectaculaire, je pourrais presque faire passer cet acte pour une performance artistique, un happening. Autre avantage, pour les journalistes cette fois, c’est qu’ils n’auraient pas à se déplacer.
Si du monde franchit le seuil de l’exposition, ce n’est vraiment pas grâce à la presse locale.
Est-ce se tirer une balle dans le pied que de se plaindre d’un mauvais traitement, d’un mépris de la part de la presse, alors que quelques jours plus tôt, l’incontournable machine de l’annuel festival de rue archi-subventionné occupait tous les points d’affichage et toutes les pages des journaux ? Avant, pendant, après. Aux grands moyens les grands articles. La semaine suivante, le Patrimoine s’en mêle. On ne rivalise pas. Oui, je sais, j’entends :  pour qui se prend-il à penser que son exposition est un évènement si important qu’il mériterait autant de couverture médiatique ? Si cette remarque vient, c’est qu’on n’aura rien compris. Je ne demande en effet rien de plus qu’un minimum d’objectivité rédactionnelle. Une demi-page sur la zumba dans un quotidien qui dit manquer de place à cause d’une actualité trop chargée, cela questionne quelque peu. 
Mais assez de pleurnicheries, assez d’aigreurs, d’ulcères, d’amertume, l’essentiel est de se consacrer ici aux visiteurs curieux, perspicaces et sensibles. Pas de flatterie là dedans, pas d’obséquiosité non plus si je  les remercie pour leur long regard sur mes toiles. Seulement de la sincérité.
L’essentiel est aussi de peindre, j’y retourne bientôt, vivement l’atelier. Ayant déjà quelques visions des prochaines encres, je répète dans l’espace de la salle,  à blanc, quelques mouvements qui coucheront l’encre. Une visiteuse me surprend en pleine gestuelle sur un papier imaginaire posé au tapis dans un atelier fictif, et doit s’interroger sur ma santé mentale.
Vivement ma solitude retrouvée, mon travail à l’abri, fendu des gris de l’encre, au repos de mes sols tachés, sous le couvert des murs éclaboussés, des frottements, tintements, coulées  sonores et, si je me souviens bien, odorantes,  des pinceaux de bois creux.

lundi 1 octobre 2012

journal d’exposition (6)

 

jeudi

La réclame commence à produire ses effets, le nombre de visiteurs augmente. La particularité de cette salle  est que l’on y vient pour l’exposition. Avantage et inconvénient. Il n’y a ici que du passage intentionnel, rarement hasardeux.  Ceux qui ont fait le déplacement prennent de ce fait  le temps devant chaque toile (à part mon cycliste d’hier),  engagent facilement la conversation, et c’est pour cela que j’aime, quand je le peux, être présent au milieu des toiles. Non pas pour apostropher le visiteur, l’alpaguer, l’accaparer, j’en suis bien incapable, mais simplement pour être disponible au besoin d’échanger. En revanche, pas la surprise que pourrait avoir quelqu’un entrant à l’improviste, voyant de la lumière et de la couleur, qui découvrirait mon travail pour la première fois. Personne n’est véritablement neuf. D’une manière générale, l’exposition se tenant dans la région dans laquelle je (sé)vis depuis bien longtemps, la plupart des passants ne sont pas en terre inconnue. Il y a sans doute là un regret, une insatisfaction.

*

Evoquer la technique est souvent une excellente entrée en conversation, beaucoup commencent par là, faisant mine de chercher un secret de fabrication, en réalité voulant aller plus loin dans la compréhension, car ils veulent savoir (et c’est légitime), comment surgit l’idée, d’où vient l’image, ce qu’elle veut dire, pourquoi telle couleur, telle forme plutôt que telle autre, etc.,  autant  de questions auxquelles de fait je ne peux pas fournir de véritables réponses. J’aimerais comprendre est peut-être la phrase la plus récurrente de la part des visiteurs qui parlent. A défaut de  pouvoir/vouloir les éclairer, j’éprouve, et je ne manque pas de le confier, un contentement à constater que ma peinture soulève des questions, ce qui conforte ma prétention de vouloir aller  plus loin encore dans  cette recherche. Quel meilleur compliment à la peinture qu’une question ? Aucun agacement d’entendre commentaires et réactions, positifs ou négatifs, dès lors qu’ils sont interrogatifs, conditionnels et non péremptoires.

Exposer, c’est aussi recueillir, glaner, engranger, faire des réserves de tous ces mots qui se disent ou ces silences qui se font devant le travail que l’on offre.

dimanche 30 septembre 2012

journal d’exposition (5)


mercredi
Ce type arrive en vélo, dans un accoutrement étrange, veste de treillis mouchetée et sac à dos militaire assorti, coiffé d’une casquette de chasseur. Etrange paradoxe de cette tenue de camouflage en pleine ville. Barbe blanche et lunettes jaunes, pantalon sable pincé à la cheville de velcros fluo. Il appuie son vélo sur une vitre, entre en saluant de deux doigts désinvoltes joints sur le bord de la casquette, et visite  l’exposition en moins de deux. Littéralement puisque, montre en main, ce personnage a réussi à faire le tour des 45 peintures et des deux niveaux en une minute trente. Effectue le même salut avant de sortir, enfourche sa bécane et disparaît dans la nature urbaine. Le tout sans un seul mot.
Il a été trop rapide pour que j’aie le temps de lui lancer qu’en faisant le tour de la salle sur son vélo, il aurait encore gagné du temps.
*
Une aubaine pour pleurer sur le sort des artistes indéfectiblement solitaires : la visite d’une représentante du service culturel de la grande ville. Tout en appréciant cette marque d’intérêt, j’ai pu entendre confirmation de ce que j’avançais dans mon laïus d’inauguration sur la manifestation l’art d’ici : oui, un certain nombre d’artistes n’aimant pas beaucoup se regrouper, se mélanger (il est bien connu que les artistes ne sont pas des gens très fréquentables), font les frais de cette réserve. Oui, les artistes issus des Beaux-Arts (élèves ou enseignants) ont encore des priorités et profitent de “placements” préférentiels dans les salles municipales ou dans les manifestations culturelles (sans parler des acquisitions publiques). Les autres, ayant préféré suivre d’autres parcours,  ne bénéficient pas des lieux, des appuis, des relations, des réseaux, etc. Vont donc chercher à exposer, à s’auto-montrer dans des salles plus éloignées, seront du coup délaissés par la presse centrale, et livrés aux seuls correspondants locaux et à la difficulté qu’ont ceux-ci à faire paraître des articles sans qu’ils soient tronqués, saucissonnés, réduits, parfois  réécrits, quand ils sont publiés. Oui, l’art d’ici, s’appuyant sur des associations, entretiendra certainement la confusion entre artistes du dimanche et ceux des autres jours. Mais le public  le vaut bien, d’après ce que j’ai compris à travers mots.
Que faire, alors ?  Mettre de l’eau dans son vin, et tenter un rapprochement avec un groupe d’artistes ? Se taire ? Produire un travail plus proche des “enjeux contemporains”, et de ce fait plus éloigné de sa tripe ? Pour gagner quoi ? Une lisibilité, une reconnaissance  pour un travail qu’on ne reconnaîtrait plus soi-même ? Pour y perdre quoi ? Oui, pour y perdre quoi ?
J’ai pu dire tout ça à ma visiteuse déléguée qui a très attentivement écouté, sensible à mon exposé d’une situation qui concerne plus d’un artiste de plus d’une discipline et dans plus d’une ville. Devant ce constat elle a laissé espérer une autre attitude de la part des élus, qui tiendrait davantage compte des artistes aux parcours différents. La parole est facile. A reconnu que les choix sont politiques et non pas artistiques. A avancé que les budgets sont très serrés. A dit la difficulté de changer trop vite, étant donnée la prochaine échéance électorale. 2014 est si près qu’on ne projette déjà plus grand chose. Me recommande la patience… La patience : en trente ans de travail à se confronter aux mêmes problèmes, à se cogner aux mêmes murs, à constater les mêmes  passe-droits, ignorances, mépris, incohérences, soit elle est devenue une seconde nature et a muté en une forme de renoncement soupirant, un fatalisme aux bras baissés, soit elle a atteint définitivement ses limites et libère des gaz corrosifs en s’enfonçant dans une rancœur boueuse.

vendredi 28 septembre 2012

journal d’exposition (4)


mardi
Je reçois plusieurs réactions à ce que j’avançais à propos des titres, à savoir que seuls les arts plastiques se permettraient de présenter des œuvres sans titres.  On me répond que de nombreux morceaux de musique n’ont pas de titre et ne sont reconnaissables que par des références chiffrées ou codées. Parfaitement d’accord, mais ces références deviennent titres. Je voulais dire qu’il est nécessaire, pour une reconnaissance, de répertorier d’une façon ou d’une autre les œuvres à partir du moment où elles doivent être diffusées et que si l’auteur n’appelle pas, d’autres s’en chargeront, en chiffres, en lettres, en dates, en description, etc. Question pratique, car il faut bien porter au catalogue. Bon nombre de pièces de musique ou de tableaux ont été nommés postérieurement par des éditeurs ou des marchands.  Pour ma part, je préfère intituler moi-même mes toiles plutôt que de laisser à d’autres les titres posthumes. Pas confiance. Peur qu’elles deviennent  toile rouge n° 37 ou sans titre décembre 2003  ou bien —beaucoup plus grave : symphonie en jaune ou encore paysage imaginaire (des intentions, on n’en prête qu’aux riches et je n’en suis pas).  D’évidence, sans titre est bien une forme (abstraite) de titre. Peut-être aussi parfois une sorte de lieu commun sur des cartels paresseux.
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Les problèmes de presse locale ne vont pas en s’arrangeant. Il me faudra faire un billet spécial sur cette question, il y a tellement à dire. Mais en dire trop, n’est-ce pas prendre un risque avec un pouvoir qui peut vous oublier totalement et volontairement ?
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Eu le temps aujourd'hui de photographier l’accrochage, me disant que ça pourrait servir, un jour.  Quel contraste entre la foule du vernissage et le calme de ce début de semaine. Méditation sur le vide et le plein…

journal d’exposition (3)


lundi
Relâche après tant de tension. Pas d’ouverture aujourd’hui. Je vais en profiter pour aller me vendre aux journaux qui ne bougent pas, à frapper aux portes des rédactions, à pleurer sur mon sort,  à réclamer que l’on s’intéresse à mon travail. Donner l’impression que l’ego réclame un papier à tout prix, qu’on est en manque de flatterie, alors qu’on estime qu’il est simplement normal (qu’il est juste normal, comme disent les déglingueurs de langue) qu’un authentique rédactionnel paraisse dans les quotidiens régionaux, objectif ou critique, peu importe, mais un compte rendu plus approfondi qu’une simple annonce de trois lignes raccourcies copiées collées depuis le dossier de presse, une information adaptée à un lectorat identifié. L’attitude de la presse locale laisse supposer plus d’intérêt —donc une information avantageuse— pour les expositions subventionnées ou officielles que pour les accrochages  indépendants, une inclination plus marquée pour les expositions géographiquement centrales que pour les périphériques. Un ami avisé et à la parole directe me lance : “t’es pas dans l’journal, t’existe pas”.
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Je profite de cette pause pour préparer l’atelier au retour des toiles, dans une quinzaine de jours.  C’est pour le moment un champ de bataille encore fumant marqué des traces de l’agitation du dernier travail et du déménagement des toiles.  Un tri et un rangement s’imposent, bien sûr, mais surtout il me faut recommencer quelque chose, pour que je ne me sente pas vide de projets au retour de l’exposition. Sinon, je risque de mettre des semaines à retrouver le chemin de la peinture. Alors, dans l’atelier déserté et silencieux, coloré du seul jardin par les vitres, je vais remplacer l’encre  écaillée au fond des soucoupes par de la neuve, profonde et liquide, redonner la souplesse aux pinceaux durcis, et tenter de composer mes “eaux de roches” qui dorment dans les carnets depuis plusieurs mois.

jeudi 27 septembre 2012

journal d’exposition (2)


dimanche
Faut-il parler devant la peinture ? Ma présence dans la salle incite certains visiteurs à me confier leur ressenti, c’est naturel, et moi, beaucoup trop sensitif et susceptible, le reçois plus ou moins bien, c’est autant naturel. Deux exemples : d’un abord chaleureux, aperçu au vernissage, il revient aujourd’hui au pas de course, débordé par tout ce qu’il doit voir lors des journées du Patrimoine. Amusé par l’association, je n’ai pourtant pas eu la présence d’esprit de le remercier de m’avoir inclus dans son programme… Me débite (il est très pressé) ses vérités personnelles et définitives sur la peinture (voulant décrire une exposition vue la veille dans les parages : “ça fait moderne”), le dessin et la sculpture (“pas besoin de dessin pour sculpter”), péremptoire à voix haute. Regarde un court  moment mes toiles monochromes jaunes et rouges, les trouve chaudes et gaies (ah,  les lieux communs de la symbolique !), puis se tourne vers mes encres, évidemment en noir et blanc, et parle de déprime et de tristesse.  Comme je tente de lui glisser que c’est  peut-être un peu simpliste, il veut me clouer le bec en se posant là : “Ah ! mais, je suis psychiatre !”.  Il a donc évidemment raison sur l’interprétation des toiles, on ne discute même pas. Il connaît assurément mieux que personne les intentions et les sentiments de l’artiste au travail et en monstration. Pense sans doute alors que les peintres chinois  noient tous depuis des générations leur dépression chronique dans les tons de leurs encres.  S’étant installé pour sa retraite dans un statut de sculpteur, il fréquente apparemment les expositions autant pour évoquer sa propre production (jamais entendu un psychiatre parler autant de lui, un artiste, si) que pour se nourrir des autres.   Ex-psychiatre, artiste en ébauche (on frise le pléonasme), situation sans doute difficile à vivre… Il faudrait peut-être qu’il en parle à quelqu’un ? D’autre.
Autre visiteur, son contraire, attentif et précautionneux, qui prend le temps de lire les textes présentant l’exposition,  s’attarde sur les cartels et cherche manifestement à aller au-delà de la surface des toiles. Sachant mon questionnement sur la peinture seule (la peinture peut-elle se passer entièrement des évènements de la vie du peintre ?), et percevant l’importance des titres, il y voit une éventuelle contradiction, se demandant et me demandant si les toiles, pour être entièrement et réellement seules, ne devraient pas se débarrasser de leurs noms. De là une très riche conversation
Faut-il parler devant la peinture ? La parole au pied des œuvres ne devrait être, me semble-t-il, que suppositions, questions, échanges, confrontations, propositions, doutes. Faut-il se taire devant la peinture ? En tous cas étouffer les certitudes, les définitions, les c’est comme ça une fois pour toutes. Le silence au pied des œuvres ne devrait être, me semble-t-il, que  suppositions, etc.
Belle après-midi chaude et lumineuse, mes portes sont grandes ouvertes, serai-je associé par quelques autres au patrimoine visité par les foules ?

mercredi 26 septembre 2012

Journal d’exposition (1)


Samedi
Hier soir vernissage, ce  moment de contradiction bien identifié, souvent évoqué, entre le pensum et l’excitation, entre la joie de re(ce)voir beaucoup d’amis et  le regret, parce que trop de monde, de ne pouvoir les accueillir comme on aimerait, c’est à dire avec le temps de parler, de converser, de retrouver, de renouer. Saluer, embrasser chacun et l’abandonner aussitôt pour aller vers l’autre est à chaque fois un cas de conscience. On papillonne, survole chaque présence, on vit mal ce moment qui  nous touche par tant d’amitié.
D’un seul coup,  la salle s’est remplie à ras portes, j’ai senti alors que je pouvais souffler, me relâcher, après ces dernières semaines d’incertitude. J’ai pu alors calmement et à haute voix dire les mots que j’avais préparés en bienvenue à mes visiteurs et en introduction à ce que je montre. En  voici le (presque) verbatim :

“La dernière exposition personnelle ici, dans la région, remonte à bientôt trois ans (c'était à Villevêque, invité par la galerie 377), et à précisément trois ans pour mon précédent passage dans cette salle. Ces expositions évoquaient une correspondance avec le poète Francis Ponge, non pas épistolaire, mais dans le sens d'une analogie entre nos façons de travailler. J'avais à l'époque parlé  au vernissage pendant presque 20 minutes (voir article du blog ici). Rassurez-vous, je serai moins long ce soir. Un peu moins long… J'aurais pourtant beaucoup à dire, beaucoup à redire sur l'art, le fait d'exposer, la condition de l'artiste, etc. Je n'épinglerai personne, ou presque personne. Non pas que j'ai perdu mon mordant, mon sens critique, ou mes coups de colère, mais parce que je souhaite davantage recentrer votre attention sur ce que je montre.
Cette exposition présente la presque totalité d'un travail de deux ans, des deux dernières années. Un travail irrégulier, interrompu, repris, empêché, repris encore. Un travail accidenté, en quelque sorte. Ces 6 derniers mois, pourtant, j'ai retrouvé l'atelier à temps plein, parce que la peinture s'est imposée. Aujourd'hui, je peins, donc je suis. Alors j'expose.
Je vais vous parler un peu (toujours sur la réserve) de ma peinture, à mots couverts, en essayant de vous donner des pistes pour l'aborder, mais en vous laissant libres d'emprunter les vôtres propres. Je vais me servir de certains titres pour vous donner une idée de ma tournure d'esprit. Car chaque toile est le reflet d'un moment de peinture, chaque fois unique, et c'est ce que mes titres veulent suggérer. Je revendique donc clairement l'importance du titre. Ce qui n'est pas nommé a, me semble-t-il, du mal à exister... A ce propos, j'ai remarqué que, sauf erreur,  seul l'art plastique se permet de proposer des œuvres "sans titre". Peut-on imaginer un livre, une musique, un film sans titre ? Ou alors une toile ne serait qu'un chapitre d'un ensemble ? Je ne crois pas. Une toile est un tout, même à l'intérieur d'une série.
Cette grande toile s'appelle "pour ne rien dire". Cela signifie peut-être que je préfère donc peindre plutôt que discourir sur ce que je veux peindre. Et pourtant c'est un peu ce que je fais en ce moment... Cela signifie aussi peut-être que peindre, ce n'est pas délivrer un message, mais seulement faire, donc être. Cela c'est le titre. Pour ce qui est de l'image elle-même, je vous la laisse.
“Aide-mémoire”, autre titre, illustre une idée que je défends depuis toujours : le tableau, c'est le souvenir de la peinture. Autrement dit, c'est ce qui reste quand on a fini de peindre. En revoyant cette toile, je devrais donc retrouver des souvenirs de peinture et des moments qui l'ont accompagnée, peut-être aussi de ce qui l'a provoquée. Par conséquent chaque toile pourrait s'appeler ainsi. L'image d'“aide-mémoire”, je préfère vous la laisser aussi.
“Chose promise/chose due” évoque peut-être la distance entre intention et résultat. Mais beaucoup d'autres interrogations sur la dualité, le contraire, le contradictoire, l'équilibre, l'entre deux. Ce qui concerne évidemment toutes les toiles, qui pourraient donc porter toutes ce titre.
“Vers l'avant” (l'exposition a failli s'intituler ainsi), est-ce que cela veut dire vers le passé (avant), ou vers l'avenir, en avançant? La toile se fait, se construit, se façonne entre passé et futur. Elle est présente, elle n'est rien d'autre que le point d'équilibre qui tient le peintre debout.
Ces quelques exemples choisis  montrent ces dualités permanentes qui font la peinture, qui font la personnalité de chaque toile. Il n'y a pas ici de peinture de clientèle, de peinture à la manivelle, de travail à la chaîne).
De ces double-jeux que je tente de représenter dans mon travail, en voici plusieurs :
le temps dans l'atelier et celui hors l'atelier,
le double-jeu technique entre les tons de l'encre et les teintes de l'huile, entre le papier et la toile,
celui du geste : le trait et le tachisme libres de l'encre contre le calme et la lenteur de l'huile,
l'écriture avec la peinture,
la solitude du peintre et celle de l'homme, est-ce qu'elles sont les mêmes ?
Ambiguïté de l'image, de ce qui est représenté, figuratif ou non ? Des taches ou des formes ? L'écriture est-elle figurative ? Et vous en trouverez sans doute, j'espère, bien d'autres.
A moi, en travaillant au milieu de tous ces tiraillements, de toutes ces contradictions, de tenter de trouver ce moment instable qui me dit qu'il faut arrêter (la toile, pas de peindre!). Rien n'est moins sûr.
[Remerciements d’usage et personnels]
Remerciements également, c'est bien naturel, à la Municipalité qui a décidément raison de dédier une aussi belle salle aux expositions. Merci à Monsieur le Maire  et aux élus de leur présence, j'espère ne pas faire honte au lieu en venant l'habiter 15 jours. Puis-je, l'occasion faisant le larron, me permettre toutefois une remarque, une interrogation ? Ne faudrait-il pas un peu plus d'exigence sur les choix d'attribution de la salle, à la fois sur le contenu, et aussi sur la légitimité disons... administrative des artistes qui y exposent et surtout qui y vendent ? Mais je n'insiste pas, je risquerais de passer pour un militant, ce que je ne suis pas, ou pour un donneur de leçons ou encore pour un prétentieux, ce que je suis sans doute... Une autre question : ne faudrait-il pas également plus d'exigence sur la rédaction des articles du journal municipal ? Je ne sais pas qui commet les articles sur les expositions, mais on peut se demander s'il est bien utile d'envoyer un dossier de presse au service communication...
Remerciement enfin et surtout à la peinture, qui me transmet une force, une énergie que je ne soupçonnais pas. J'ose espérer que c'est ce mouvement, cette dynamique qui se propage dans mes dernières toiles, plutôt que le reflet d'un état d'âme particulier ou un éventuel message... La semaine dernière, je suis allé visiter la magnifique exposition consacrée à Rebeyrolle à Chambord. J’ai retenu cette phrase de lui : “il faut une joie de peindre, on ne peut pas parler pas de choses graves avec un air abattu”.
Après les remerciements, deux digressions :
l'une : puis-je vous confier que l'art, c'est ma lâcheté personnelle et assumée ? Même si je ne lâche rien.
L'autre : ceux qui me connaissent savent que je m'énerve ou m’anime pour un oui pour un non, surtout s'il s'agit d'art. Je profite donc de l’auditoire attentif que vous êtes : vous savez peut-être que le salon “triptyque” n'aura pas lieu cette année, et qu'il est remplacé par une manifestation artistique dédiée à l'art d'Angers ou attaché à Angers, manifestation qui s'appellerait l'art d'ici, si mes oreilles fonctionnent bien. Etrangement, on (le service culturel de la Ville d’Angers) a demandé aux seules associations de participer à ce projet. Alors, il faudrait forcément faire partie d'une association ou être introduit par l'une d'elles pour avoir une chance de faire partie de l'art d'ici. Autrement dit, apparemment pas de salut pour l'artiste indépendant, pour celui qui préfère rester distant des troupeaux et des tendances, des milieux, des confréries et des chapelles.
En art pourtant, selon moi, la solitude fait la force. Je trouve dommage que les initiateurs de tels projets ne partagent pas cette idée.
Enfin, je me demande si l'on ne confond pas trop souvent manifestation culturelle et culture. Mais attendons de voir qui manque à l'appel de l'art d'ici. Et bien sûr, je ne demande qu'à être contredit.
Pour terminer, je souhaite revenir à mon travail et aux dualités qui le composent : il y en a une importante, tout particulièrement à l'occasion de l'exposition, c'est celle, une fois la peinture abandonnée, c'est à dire exposée, existant entre le peintre et le spectateur. J'explique souvent à mes élèves que le peintre fait des efforts insensés, en partant du fond de la toile, de rien, du blanc, de l'air, de l'idée, pour monter progressivement jusqu'à la surface du tableau, pour se hisser jusqu'au regard du spectateur. Le spectateur lui, doit faire le chemin et l'effort inverses : il part de la surface, et s'il le souhaite, si la toile l'appelle, il entre dedans, gratte, creuse, et tente d'aller au fond.
Tout ce que je souhaite ce soir, et pendant la durée de cette exposition, c'est que la correspondance se fasse à la croisée de ces efforts et de ces chemins, et qu'il y ait rencontre.”

Noir de monde donc, ce vernissage, si bien que de très nombreux invités sont repartis en se promettant de revenir un autre jour pour voir les toiles plus au calme.  
Du monde, soit, mais presse absente. Interrogées bientôt, les rédactions des journaux d’ici auront sans doute des bonnes raisons pour ne s’être pas déplacées, elles ont  toujours des bonnes raisons. J’aurais pourtant aimé que des rédacteurs ou correspondants ressentent cette ambiance, et voient le travail exposé avant de décider de faire ou non un papier. Mais il faut sans doute payer le prix de l’indépendance.

vendredi 29 juin 2012

idées courtes #5

 

Visite d’atelier : “entrez, je vous en prie, faites comme chez moi”.

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On prête des intentions aux artistes. Nous les rendent-ils ?

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Le recul : peindre en pensant que l’on est un autre.

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Me dis parfois qu’il faudrait reconduire certains artistes à la frontière de leur art.

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Peindre sur toile et tisser tous les jours un fil de soi.

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Un pléonasme ? Art-thérapie.

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Certains artistes, pour marquer leur territoire, vont lever la patte jusque dans les églises.

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Evanouissement. Plus tard, je reviens aux autres.

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Chaque toile ne devrait-elle pas porter en elle un futur ?

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En peinture, on a souvent des problèmes avec le personnel.

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Le silence, mais à peine.

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Aujourd'hui, au dessus de la porte de l’atelier, un fanion rouge : risque 3 sur une échelle de 6.
Hier, un grand marouflage de plusieurs mètres carrés. Hissé drapeau carrelé de noir et rouge.

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Dans la région, une association se nomme Art et chapelles. Quelle lucidité !

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Le recul : peindre tout en pensant que l’on est déjà demain.

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Après son nom, en italique très gras sur sa carte de visite, sa qualité : peintre abstrait.
J’imagine aussitôt : peinture lacunaire, cache-misère, sans histoire, qui n’engage à rien, au bord du mensonge. Sinon, pourquoi préciser ?

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Suis tenté bien souvent de m’adresser au bureau des illusions trouvées.

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Une toile récente a été sauvée par les indiens.  Un rouge et un jaune.

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Viens d’avoir une entrevue houleuse avec mon île.

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Le recul : peindre en pensant que l’on est un autre demain.

mardi 22 mai 2012

la culture normale

Au moment même où je lis dans le Manifeste des Arts Visuels,  15 revendications pour les arts graphiques et plastiques (1), publié et diffusé récemment par la Maison des artistes  “[l’exigence] que L’Etat en finisse avec le système oligarchique qui utilise démesurément des fonds publics pour de grandes opérations de pure communication ne bénéficiant qu’à quelques artistes”,  j’apprends que le nouveau Président se montre et parle de beauté au vernissage de Daniel Buren, un des plus grands artistes officiels devant l’Eternel.
Quoi de plus normal, pour un Président normal, que de poursuivre tranquillement l’officialisation d’un certain art ? Changement, disiez-vous ? C’est mal parti. Pourtant, on avait envie d’y croire.
Au moment même où, poursuivant ma lecture du Manifeste, je parcours la quatrième revendication (“faire respecter les obligations sociales et fiscales”), je reçois un mail de l’AnCRE, une structure locale de par chez moi, dépendant de l’Action culturelle Municipale d’Angers, se présentant comme “mission info-ressources pour la valorisation du secteur culturel et créatif en Maine-et-Loire”. J’osais espérer qu’une telle structure allait tout naturellement, pour défendre et valoriser le statut des artistes visuels, relayer par exemple l’information concernant l’obligation qu’ils ont de s’identifier auprès de la MdA(2) dès lors qu’ils font un acte commercial, donc dès qu’ils affichent des prix de vente. De même serait nécessaire d’informer les diffuseurs (tous organisateurs d’expositions, même s’il s’agit d’associations) pour qu’ils se mettent en accord avec les textes existants.  Car chacun, artiste ou diffuseur, doit sa part de contribution sociale.   Valoriser “l’ensemble des activités et des emplois générés par ce secteur”, n’est-ce pas aussi défendre les droits des artistes, et informer le milieu créatif de ces fameuses obligations ?  Or, sauf erreur (j’aimerais tant faire une erreur), sur le site de l’AnCRE, aucune trace de cette information. On trouve tout juste un lien avec la MdA.
Mais qui es-tu, toi qui te permets de donner des leçons ? vont me répondre sans aucun doute certains lecteurs.
Je ne suis pas grand chose, simplement un peintre de tous les jours (pas seulement du dimanche ou du samedi) qui ne trouve sa respiration que dans son atelier. Qui donc a besoin de défendre ses droits et ceux des autres peintres qui, comme lui, ne peuvent vivre que devant leur toile. Un petit peintre de province qui pense qu’il serait plus normal de la part de l’Etat et des institutions officielles de veiller d’abord au respect du statut de l’artiste  avant de subventionner à tout crin. Une des premières mesures indispensables ne serait-elle pas de contraindre les diffuseurs et les artistes, avant toute monstration (terme emprunté au petit lexique de l’art contemporain, que je me propose de rédiger un jour, mais que je ne ferai sans doute jamais parce que j’ai trop de toiles qui m’attendent à l’atelier —j’ai grand besoin de respirer) à ne pas jouer les ignorants devant les textes existants?
Je relis la phrase précédente, longue, digressive, et me rends compte qu’elle évoque plusieurs énervements successifs autant que simultanés :
-certaines structures (trop) ou institutions ne font pas leur travail.
-certains diffuseurs (trop) ignorent plus ou moins volontairement le statut de l’artiste professionnel et investi et favorisent une concurrence déloyale.
-certains artistes font de même.
-suis écartelé entre  travail personnel et défense de mon métier, qui n’est en réalité pas un métier. Quoi faire de ce temps contradictoire? Attention de ne pas perdre l’équilibre.
-envie d’adhérer pleinement au Manifeste de la MdA et pourtant,  gêné aux entournures par certaines revendications réclamant trop d’aides (ateliers, lieux d’expositions, etc.) à l’Etat.
Au moment où je termine la lecture des 15 revendications, l’enjeu évoqué lors d’une récente visite au Mac/Val(3) par la toute  nouvelle Ministre de la Culture Normale me paraît très mal posé : car s’il s’agit bien de rendre la culture accessible à tous, la véritable question est : “quelle culture ?”.
Buren figure bien sûr dans la collection du Mac/Val.

(1) On peut consulter ce document ICI 
(2) Maison des Artistes
(3) Musée d’Art Contemporain du Val de Marne

lundi 21 mai 2012

Modigliani, Soutine, et les autres

Des affiches plein le métro, plein les bus, plein Paris. On annonce une exposition Modigliani et Soutine, sous-titrée “l’aventure de Montparnasse”. La Pinacothèque de Paris met les petits plats dans  les grands pour sa communication à la limite du mensonge. L’affiche est très réussie, prometteuse,  un beau portrait, détail d’une toile de Modigliani.  Et ça marche. On entend partout :
Il y a une expo Modigliani et Soutine à Paris, tu l’as vue ?
Ah ! Modigliani, j’adore. Et Soutine ! Ah!
Etc.
Oui, il y a bien dans cette exposition quelques Modigliani,  quelques Soutine, mais il y a aussi et ça, personne ne nous le dit, des piètres Valadon (un pléonasme), des Utrillo comme s’il en pleuvait, banal paysagiste dont tellement d’œuvres sentent la “toile à rendre”, la peinture à la manivelle... Et puis tous les autres, qui font finalement l’essentiel du contenu des salles tarabiscotées de la Pinacothèque, et ne sont qu’un ramassis de croûtes dignes des pires salons de peinture de nos beaux villages français... Le plus trompeur dans cette histoire c’est d’une part la présentation de l’exposition sur le site de la Pinacothèque, qui parle d’“artistes formidables”, d’“ensemble d’œuvres étourdissantes de beauté”, des “œuvres jamais exposées”, etc. (c’est vrai, j’ai été étourdi par la “fillette en bleu” de Modigliani, mais je l’avais déjà vue au Luxembourg il y a quelques années…), et d’autre part les panneaux explicatifs répartis tout au long du parcours de l’exposition (dans des recoins mal agencés, ce qui provoque de beaux embouteillages et  gêne la visite) qui nous rabâchent sans vergogne, comme s’il fallait nous en persuader, que ce Netter avait un goût très sûr. Comment a-t-il pu acquérir, avec ce goût si sûr, ces Kisling maladroits autant que prétentieux, ce terrifiant nu de Derain, et tout ces oubliés dont j’ai d’ailleurs aussitôt oublié le nom ?  On nous dit qu’ils font partie pour beaucoup d’entre eux de l’Ecole de Paris, c’est apparemment loin d’être un gage de qualité. Vivre et peindre à Montparnasse à l’époque ne signifie pas forcément avoir le talent, la profondeur et la force de Modigliani ou de Soutine.
En définitive, le seul intérêt de cette exposition au titre décidément mensonger est de montrer que l’art médiocre ne fait pas de progrès. C’est payer fort cher pour avoir confirmation de ce qu’on savait déjà.
Mieux vaut donc attendre octobre prochain et l’exposition d’Orsay consacrée à Chaïm Soutine. Il sera exposé sans les autres.

vendredi 4 mai 2012

Contribution citoyenne


Si l’on applique les pourcentages des résultats du dernier vote (premier tour des présidentielles de 2012) à la communauté des artistes, on comprend mieux pourquoi l’art semble tellement malade.
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Les créateurs et leurs œuvres s’enrichissent des frontières traversées, des mariages mixtes et de couleurs mélangées. Certains projets politiques sont donc inenvisageables, à moins bien sûr de souhaiter la fin de l’art.
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Les ministres de la culture ne se prennent-ils pas pour Ministre des Arts ?
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Magnifique titre honorifique (ou horrifique, c’est selon) que celui de Peintre des Armées. A quand celui de Peintre de l’Etat ?
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Un ministre de tutelle ? Très peu pour moi, dit l’artiste.
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Vulgaire décomplexé, des fautes à chaque expression, racoleur et plein de tics, agressif autant que satisfait, démesurément arriviste, montrant ostensiblement son goût pour l’argent, capable pour arriver à ses fins de se fourvoyer dans des terrains peu recommandables.
C’est ainsi que j’ai ressenti le travail de quelques artistes aperçus dans de récents salons.

mardi 21 février 2012

Courrier en retard (2)

 

Cher visiteur d’un salon de peinture,

où que tu sois,

tu as reçu un carton d’invitation ou un mail de la part d’un de tes amis qui t’annonce qu’il y expose, ou bien tu as vu une affiche en ville avec une longue liste de noms dont certains te sont familiers, ou encore tu peins toi-même un peu et aimerais voir ce qu’il est possible de montrer, façon de te mesurer aux autres, ou tout simplement tu es amateur d’art et suis de près l’activité culturelle de ta région. Peu importe,  j’imagine que ta bienveillance ne t’empêchera pas d’être d’être critique, de ne pas te laisser faire. De te demander par exemple si l’accrochage que tu parcours est à la hauteur, homogène, disparate ou exigeant, s’il montre chaque peintre à son avantage ou bien, en pensant à chacun des artistes,  s’il est exposé ou exposant. Les toiles sont-elles en nombre raisonnable pour une visite confortable, sont-elles accordées les unes aux autres? Tu te demandes, comme beaucoup, si tu es dans une présentation d’amateurs, de professionnels, mélangée,  ou non déterminée. En rasant les murs, passant en revue toutes ces toiles qu’on te présente comme de l’art — puisqu’on leur offre un mur, de la lumière, une publicité, un vernissage, un gardiennage — te vient-il parfois à l’esprit que ça pourrait ne pas en être?  Mais alors, tu  te demanderas ce que c’est que l’art, et tu n’auras personne pour te répondre, et tu n’as plus qu’à compter sur toi-même, ta culture, tes connaissances, ton goût, ta définition, là où tu en es. Tu te surprends à constater, tu me l’as dit l’autre jour, où que tu sois, que beaucoup de tableaux se ressemblent ou qu’ils ont un air de déjà-vu-ailleurs (tu essaies alors de te rappeler où et tu te réponds : partout). Tu te dis secrètement que ces toiles trop évocatrices d’un artiste notoire ou d’un genre déterminé discréditent quelque peu leurs auteurs. Tu te poses à juste titre  la question de l’invention et de l’originalité, voire de la création. As-tu affaire en définitive à un artiste ou à un suiveur? Ou à un peintre qui radote sur ses toiles depuis des années? Ne viens-tu pas, cher visiteur d’un salon de peinture, avec l’espoir profond d’être étonné, touché (à moins que tu ne sois là que pour faire une politesse à un ami exposant), celui de découvrir enfin une peinture qui ne te semblera pas, comme il y en a tant dans ces expositions (tu t’en rends compte), une grossière contrefaçon  d’un de Staël (pour faire l’abstrait à la limite), d’un Chaissac (pour faire le singulier), d’un Klimt (pour faire le décorativo-symbolique), et de tant d’autres (les surréalistes, les illustrateurs, les foutraques, les classiques, les fantastiques, les régionalistes, etc.),   mais avec l’art en moins? L’espoir encore de remarquer, loin des faibles imitations du professeur d’aquarelle local tellement vénéré, loin des exercices d’atelier, des palettes et des compositions  recommandées par l’académie, loin des jolies peintures, une toile (une seule suffirait pour te contenter et transformer ta visite en cadeau) qui révèlerait un artiste indépendant, difficile à classer, qui suivrait simplement et proprement son chemin.  Fatigué et gêné de sentir aussi clairement chez chaque artiste la marque d’un autre, tu te poseras  encore un  peu plus la question de l’influence et de la filiation. N’aurais-tu pas envie d’un choc, ne penses-tu pas que l’art devrait être création et non simulation? As-tu envie du confort de retrouver ici ce que tu sais et connais déjà? Ne penses-tu pas qu’un artiste présenté comme tel n’emprunte pas tout à fait la même route que les autres, même si cette voie personnelle est évidemment jonchée des nobles intentions et trouvailles des prédécesseurs? Cher visiteur d’un salon de peinture, viens-tu chercher ici une image qui irait dans ton décor, en parfait accord avec tes rideaux et tes idées reçues, ou bien une émotion qui  pourrait bien te déstabiliser et te poser des nouvelles questions sur la peinture, l’art, l’artiste, son rôle, son statut?  
Cher visiteur d’un salon de peinture, où que tu sois,  si mentalement tu refaisais l’accrochage en essayant de classer les œuvres par traits communs (style, composition, palette, matières, sujets, etc.) aurais-tu le même regard sur les mêmes œuvres? Tu découvrirais certainement la frontière bien poreuse entre ces traits communs et les lieux communs, te rendrais compte que tout se ressemble à part quelques exceptions qui te feront t’attarder… Cher visiteur d’un salon de peinture, rassure-moi, dis-moi que tu n’es pas venu  ici chercher ces lieux communs, mais des lieux inédits? Cher visiteur d’un salon de peinture, où que tu sois, penses-tu que l’amateurisme excuse la médiocrité? Penses-tu que tous les exposants logent à la même enseigne artistique? Tu ne sais pas? Pourquoi ne pas demander aux organisateurs? Au fait, cher visiteur, que penses-tu des prix que tu découvres sur le catalogue? Comment penses-tu qu’ils ont été fixés? Ne te demandes-tu pas parfois, cher visiteur, comment ont été choisis les artistes que l’on te propose de regarder comme s’ils étaient des artistes?

Cher visiteur d’un salon de peinture, où que tu sois, je te souhaite sincèrement de belles surprises. Bien à toi, à ton esprit et à tes yeux. Courage.

L.

P-S.  J’y pense tout à coup, cher visiteur d’un salon de peinture, tu fais peut-être partie des exposants, et tu serais venu écouter incognito ce qui se dit de tes toiles…