dimanche 30 septembre 2012

journal d’exposition (5)


mercredi
Ce type arrive en vélo, dans un accoutrement étrange, veste de treillis mouchetée et sac à dos militaire assorti, coiffé d’une casquette de chasseur. Etrange paradoxe de cette tenue de camouflage en pleine ville. Barbe blanche et lunettes jaunes, pantalon sable pincé à la cheville de velcros fluo. Il appuie son vélo sur une vitre, entre en saluant de deux doigts désinvoltes joints sur le bord de la casquette, et visite  l’exposition en moins de deux. Littéralement puisque, montre en main, ce personnage a réussi à faire le tour des 45 peintures et des deux niveaux en une minute trente. Effectue le même salut avant de sortir, enfourche sa bécane et disparaît dans la nature urbaine. Le tout sans un seul mot.
Il a été trop rapide pour que j’aie le temps de lui lancer qu’en faisant le tour de la salle sur son vélo, il aurait encore gagné du temps.
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Une aubaine pour pleurer sur le sort des artistes indéfectiblement solitaires : la visite d’une représentante du service culturel de la grande ville. Tout en appréciant cette marque d’intérêt, j’ai pu entendre confirmation de ce que j’avançais dans mon laïus d’inauguration sur la manifestation l’art d’ici : oui, un certain nombre d’artistes n’aimant pas beaucoup se regrouper, se mélanger (il est bien connu que les artistes ne sont pas des gens très fréquentables), font les frais de cette réserve. Oui, les artistes issus des Beaux-Arts (élèves ou enseignants) ont encore des priorités et profitent de “placements” préférentiels dans les salles municipales ou dans les manifestations culturelles (sans parler des acquisitions publiques). Les autres, ayant préféré suivre d’autres parcours,  ne bénéficient pas des lieux, des appuis, des relations, des réseaux, etc. Vont donc chercher à exposer, à s’auto-montrer dans des salles plus éloignées, seront du coup délaissés par la presse centrale, et livrés aux seuls correspondants locaux et à la difficulté qu’ont ceux-ci à faire paraître des articles sans qu’ils soient tronqués, saucissonnés, réduits, parfois  réécrits, quand ils sont publiés. Oui, l’art d’ici, s’appuyant sur des associations, entretiendra certainement la confusion entre artistes du dimanche et ceux des autres jours. Mais le public  le vaut bien, d’après ce que j’ai compris à travers mots.
Que faire, alors ?  Mettre de l’eau dans son vin, et tenter un rapprochement avec un groupe d’artistes ? Se taire ? Produire un travail plus proche des “enjeux contemporains”, et de ce fait plus éloigné de sa tripe ? Pour gagner quoi ? Une lisibilité, une reconnaissance  pour un travail qu’on ne reconnaîtrait plus soi-même ? Pour y perdre quoi ? Oui, pour y perdre quoi ?
J’ai pu dire tout ça à ma visiteuse déléguée qui a très attentivement écouté, sensible à mon exposé d’une situation qui concerne plus d’un artiste de plus d’une discipline et dans plus d’une ville. Devant ce constat elle a laissé espérer une autre attitude de la part des élus, qui tiendrait davantage compte des artistes aux parcours différents. La parole est facile. A reconnu que les choix sont politiques et non pas artistiques. A avancé que les budgets sont très serrés. A dit la difficulté de changer trop vite, étant donnée la prochaine échéance électorale. 2014 est si près qu’on ne projette déjà plus grand chose. Me recommande la patience… La patience : en trente ans de travail à se confronter aux mêmes problèmes, à se cogner aux mêmes murs, à constater les mêmes  passe-droits, ignorances, mépris, incohérences, soit elle est devenue une seconde nature et a muté en une forme de renoncement soupirant, un fatalisme aux bras baissés, soit elle a atteint définitivement ses limites et libère des gaz corrosifs en s’enfonçant dans une rancœur boueuse.

vendredi 28 septembre 2012

journal d’exposition (4)


mardi
Je reçois plusieurs réactions à ce que j’avançais à propos des titres, à savoir que seuls les arts plastiques se permettraient de présenter des œuvres sans titres.  On me répond que de nombreux morceaux de musique n’ont pas de titre et ne sont reconnaissables que par des références chiffrées ou codées. Parfaitement d’accord, mais ces références deviennent titres. Je voulais dire qu’il est nécessaire, pour une reconnaissance, de répertorier d’une façon ou d’une autre les œuvres à partir du moment où elles doivent être diffusées et que si l’auteur n’appelle pas, d’autres s’en chargeront, en chiffres, en lettres, en dates, en description, etc. Question pratique, car il faut bien porter au catalogue. Bon nombre de pièces de musique ou de tableaux ont été nommés postérieurement par des éditeurs ou des marchands.  Pour ma part, je préfère intituler moi-même mes toiles plutôt que de laisser à d’autres les titres posthumes. Pas confiance. Peur qu’elles deviennent  toile rouge n° 37 ou sans titre décembre 2003  ou bien —beaucoup plus grave : symphonie en jaune ou encore paysage imaginaire (des intentions, on n’en prête qu’aux riches et je n’en suis pas).  D’évidence, sans titre est bien une forme (abstraite) de titre. Peut-être aussi parfois une sorte de lieu commun sur des cartels paresseux.
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Les problèmes de presse locale ne vont pas en s’arrangeant. Il me faudra faire un billet spécial sur cette question, il y a tellement à dire. Mais en dire trop, n’est-ce pas prendre un risque avec un pouvoir qui peut vous oublier totalement et volontairement ?
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Eu le temps aujourd'hui de photographier l’accrochage, me disant que ça pourrait servir, un jour.  Quel contraste entre la foule du vernissage et le calme de ce début de semaine. Méditation sur le vide et le plein…

journal d’exposition (3)


lundi
Relâche après tant de tension. Pas d’ouverture aujourd’hui. Je vais en profiter pour aller me vendre aux journaux qui ne bougent pas, à frapper aux portes des rédactions, à pleurer sur mon sort,  à réclamer que l’on s’intéresse à mon travail. Donner l’impression que l’ego réclame un papier à tout prix, qu’on est en manque de flatterie, alors qu’on estime qu’il est simplement normal (qu’il est juste normal, comme disent les déglingueurs de langue) qu’un authentique rédactionnel paraisse dans les quotidiens régionaux, objectif ou critique, peu importe, mais un compte rendu plus approfondi qu’une simple annonce de trois lignes raccourcies copiées collées depuis le dossier de presse, une information adaptée à un lectorat identifié. L’attitude de la presse locale laisse supposer plus d’intérêt —donc une information avantageuse— pour les expositions subventionnées ou officielles que pour les accrochages  indépendants, une inclination plus marquée pour les expositions géographiquement centrales que pour les périphériques. Un ami avisé et à la parole directe me lance : “t’es pas dans l’journal, t’existe pas”.
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Je profite de cette pause pour préparer l’atelier au retour des toiles, dans une quinzaine de jours.  C’est pour le moment un champ de bataille encore fumant marqué des traces de l’agitation du dernier travail et du déménagement des toiles.  Un tri et un rangement s’imposent, bien sûr, mais surtout il me faut recommencer quelque chose, pour que je ne me sente pas vide de projets au retour de l’exposition. Sinon, je risque de mettre des semaines à retrouver le chemin de la peinture. Alors, dans l’atelier déserté et silencieux, coloré du seul jardin par les vitres, je vais remplacer l’encre  écaillée au fond des soucoupes par de la neuve, profonde et liquide, redonner la souplesse aux pinceaux durcis, et tenter de composer mes “eaux de roches” qui dorment dans les carnets depuis plusieurs mois.

jeudi 27 septembre 2012

journal d’exposition (2)


dimanche
Faut-il parler devant la peinture ? Ma présence dans la salle incite certains visiteurs à me confier leur ressenti, c’est naturel, et moi, beaucoup trop sensitif et susceptible, le reçois plus ou moins bien, c’est autant naturel. Deux exemples : d’un abord chaleureux, aperçu au vernissage, il revient aujourd’hui au pas de course, débordé par tout ce qu’il doit voir lors des journées du Patrimoine. Amusé par l’association, je n’ai pourtant pas eu la présence d’esprit de le remercier de m’avoir inclus dans son programme… Me débite (il est très pressé) ses vérités personnelles et définitives sur la peinture (voulant décrire une exposition vue la veille dans les parages : “ça fait moderne”), le dessin et la sculpture (“pas besoin de dessin pour sculpter”), péremptoire à voix haute. Regarde un court  moment mes toiles monochromes jaunes et rouges, les trouve chaudes et gaies (ah,  les lieux communs de la symbolique !), puis se tourne vers mes encres, évidemment en noir et blanc, et parle de déprime et de tristesse.  Comme je tente de lui glisser que c’est  peut-être un peu simpliste, il veut me clouer le bec en se posant là : “Ah ! mais, je suis psychiatre !”.  Il a donc évidemment raison sur l’interprétation des toiles, on ne discute même pas. Il connaît assurément mieux que personne les intentions et les sentiments de l’artiste au travail et en monstration. Pense sans doute alors que les peintres chinois  noient tous depuis des générations leur dépression chronique dans les tons de leurs encres.  S’étant installé pour sa retraite dans un statut de sculpteur, il fréquente apparemment les expositions autant pour évoquer sa propre production (jamais entendu un psychiatre parler autant de lui, un artiste, si) que pour se nourrir des autres.   Ex-psychiatre, artiste en ébauche (on frise le pléonasme), situation sans doute difficile à vivre… Il faudrait peut-être qu’il en parle à quelqu’un ? D’autre.
Autre visiteur, son contraire, attentif et précautionneux, qui prend le temps de lire les textes présentant l’exposition,  s’attarde sur les cartels et cherche manifestement à aller au-delà de la surface des toiles. Sachant mon questionnement sur la peinture seule (la peinture peut-elle se passer entièrement des évènements de la vie du peintre ?), et percevant l’importance des titres, il y voit une éventuelle contradiction, se demandant et me demandant si les toiles, pour être entièrement et réellement seules, ne devraient pas se débarrasser de leurs noms. De là une très riche conversation
Faut-il parler devant la peinture ? La parole au pied des œuvres ne devrait être, me semble-t-il, que suppositions, questions, échanges, confrontations, propositions, doutes. Faut-il se taire devant la peinture ? En tous cas étouffer les certitudes, les définitions, les c’est comme ça une fois pour toutes. Le silence au pied des œuvres ne devrait être, me semble-t-il, que  suppositions, etc.
Belle après-midi chaude et lumineuse, mes portes sont grandes ouvertes, serai-je associé par quelques autres au patrimoine visité par les foules ?

mercredi 26 septembre 2012

Journal d’exposition (1)


Samedi
Hier soir vernissage, ce  moment de contradiction bien identifié, souvent évoqué, entre le pensum et l’excitation, entre la joie de re(ce)voir beaucoup d’amis et  le regret, parce que trop de monde, de ne pouvoir les accueillir comme on aimerait, c’est à dire avec le temps de parler, de converser, de retrouver, de renouer. Saluer, embrasser chacun et l’abandonner aussitôt pour aller vers l’autre est à chaque fois un cas de conscience. On papillonne, survole chaque présence, on vit mal ce moment qui  nous touche par tant d’amitié.
D’un seul coup,  la salle s’est remplie à ras portes, j’ai senti alors que je pouvais souffler, me relâcher, après ces dernières semaines d’incertitude. J’ai pu alors calmement et à haute voix dire les mots que j’avais préparés en bienvenue à mes visiteurs et en introduction à ce que je montre. En  voici le (presque) verbatim :

“La dernière exposition personnelle ici, dans la région, remonte à bientôt trois ans (c'était à Villevêque, invité par la galerie 377), et à précisément trois ans pour mon précédent passage dans cette salle. Ces expositions évoquaient une correspondance avec le poète Francis Ponge, non pas épistolaire, mais dans le sens d'une analogie entre nos façons de travailler. J'avais à l'époque parlé  au vernissage pendant presque 20 minutes (voir article du blog ici). Rassurez-vous, je serai moins long ce soir. Un peu moins long… J'aurais pourtant beaucoup à dire, beaucoup à redire sur l'art, le fait d'exposer, la condition de l'artiste, etc. Je n'épinglerai personne, ou presque personne. Non pas que j'ai perdu mon mordant, mon sens critique, ou mes coups de colère, mais parce que je souhaite davantage recentrer votre attention sur ce que je montre.
Cette exposition présente la presque totalité d'un travail de deux ans, des deux dernières années. Un travail irrégulier, interrompu, repris, empêché, repris encore. Un travail accidenté, en quelque sorte. Ces 6 derniers mois, pourtant, j'ai retrouvé l'atelier à temps plein, parce que la peinture s'est imposée. Aujourd'hui, je peins, donc je suis. Alors j'expose.
Je vais vous parler un peu (toujours sur la réserve) de ma peinture, à mots couverts, en essayant de vous donner des pistes pour l'aborder, mais en vous laissant libres d'emprunter les vôtres propres. Je vais me servir de certains titres pour vous donner une idée de ma tournure d'esprit. Car chaque toile est le reflet d'un moment de peinture, chaque fois unique, et c'est ce que mes titres veulent suggérer. Je revendique donc clairement l'importance du titre. Ce qui n'est pas nommé a, me semble-t-il, du mal à exister... A ce propos, j'ai remarqué que, sauf erreur,  seul l'art plastique se permet de proposer des œuvres "sans titre". Peut-on imaginer un livre, une musique, un film sans titre ? Ou alors une toile ne serait qu'un chapitre d'un ensemble ? Je ne crois pas. Une toile est un tout, même à l'intérieur d'une série.
Cette grande toile s'appelle "pour ne rien dire". Cela signifie peut-être que je préfère donc peindre plutôt que discourir sur ce que je veux peindre. Et pourtant c'est un peu ce que je fais en ce moment... Cela signifie aussi peut-être que peindre, ce n'est pas délivrer un message, mais seulement faire, donc être. Cela c'est le titre. Pour ce qui est de l'image elle-même, je vous la laisse.
“Aide-mémoire”, autre titre, illustre une idée que je défends depuis toujours : le tableau, c'est le souvenir de la peinture. Autrement dit, c'est ce qui reste quand on a fini de peindre. En revoyant cette toile, je devrais donc retrouver des souvenirs de peinture et des moments qui l'ont accompagnée, peut-être aussi de ce qui l'a provoquée. Par conséquent chaque toile pourrait s'appeler ainsi. L'image d'“aide-mémoire”, je préfère vous la laisser aussi.
“Chose promise/chose due” évoque peut-être la distance entre intention et résultat. Mais beaucoup d'autres interrogations sur la dualité, le contraire, le contradictoire, l'équilibre, l'entre deux. Ce qui concerne évidemment toutes les toiles, qui pourraient donc porter toutes ce titre.
“Vers l'avant” (l'exposition a failli s'intituler ainsi), est-ce que cela veut dire vers le passé (avant), ou vers l'avenir, en avançant? La toile se fait, se construit, se façonne entre passé et futur. Elle est présente, elle n'est rien d'autre que le point d'équilibre qui tient le peintre debout.
Ces quelques exemples choisis  montrent ces dualités permanentes qui font la peinture, qui font la personnalité de chaque toile. Il n'y a pas ici de peinture de clientèle, de peinture à la manivelle, de travail à la chaîne).
De ces double-jeux que je tente de représenter dans mon travail, en voici plusieurs :
le temps dans l'atelier et celui hors l'atelier,
le double-jeu technique entre les tons de l'encre et les teintes de l'huile, entre le papier et la toile,
celui du geste : le trait et le tachisme libres de l'encre contre le calme et la lenteur de l'huile,
l'écriture avec la peinture,
la solitude du peintre et celle de l'homme, est-ce qu'elles sont les mêmes ?
Ambiguïté de l'image, de ce qui est représenté, figuratif ou non ? Des taches ou des formes ? L'écriture est-elle figurative ? Et vous en trouverez sans doute, j'espère, bien d'autres.
A moi, en travaillant au milieu de tous ces tiraillements, de toutes ces contradictions, de tenter de trouver ce moment instable qui me dit qu'il faut arrêter (la toile, pas de peindre!). Rien n'est moins sûr.
[Remerciements d’usage et personnels]
Remerciements également, c'est bien naturel, à la Municipalité qui a décidément raison de dédier une aussi belle salle aux expositions. Merci à Monsieur le Maire  et aux élus de leur présence, j'espère ne pas faire honte au lieu en venant l'habiter 15 jours. Puis-je, l'occasion faisant le larron, me permettre toutefois une remarque, une interrogation ? Ne faudrait-il pas un peu plus d'exigence sur les choix d'attribution de la salle, à la fois sur le contenu, et aussi sur la légitimité disons... administrative des artistes qui y exposent et surtout qui y vendent ? Mais je n'insiste pas, je risquerais de passer pour un militant, ce que je ne suis pas, ou pour un donneur de leçons ou encore pour un prétentieux, ce que je suis sans doute... Une autre question : ne faudrait-il pas également plus d'exigence sur la rédaction des articles du journal municipal ? Je ne sais pas qui commet les articles sur les expositions, mais on peut se demander s'il est bien utile d'envoyer un dossier de presse au service communication...
Remerciement enfin et surtout à la peinture, qui me transmet une force, une énergie que je ne soupçonnais pas. J'ose espérer que c'est ce mouvement, cette dynamique qui se propage dans mes dernières toiles, plutôt que le reflet d'un état d'âme particulier ou un éventuel message... La semaine dernière, je suis allé visiter la magnifique exposition consacrée à Rebeyrolle à Chambord. J’ai retenu cette phrase de lui : “il faut une joie de peindre, on ne peut pas parler pas de choses graves avec un air abattu”.
Après les remerciements, deux digressions :
l'une : puis-je vous confier que l'art, c'est ma lâcheté personnelle et assumée ? Même si je ne lâche rien.
L'autre : ceux qui me connaissent savent que je m'énerve ou m’anime pour un oui pour un non, surtout s'il s'agit d'art. Je profite donc de l’auditoire attentif que vous êtes : vous savez peut-être que le salon “triptyque” n'aura pas lieu cette année, et qu'il est remplacé par une manifestation artistique dédiée à l'art d'Angers ou attaché à Angers, manifestation qui s'appellerait l'art d'ici, si mes oreilles fonctionnent bien. Etrangement, on (le service culturel de la Ville d’Angers) a demandé aux seules associations de participer à ce projet. Alors, il faudrait forcément faire partie d'une association ou être introduit par l'une d'elles pour avoir une chance de faire partie de l'art d'ici. Autrement dit, apparemment pas de salut pour l'artiste indépendant, pour celui qui préfère rester distant des troupeaux et des tendances, des milieux, des confréries et des chapelles.
En art pourtant, selon moi, la solitude fait la force. Je trouve dommage que les initiateurs de tels projets ne partagent pas cette idée.
Enfin, je me demande si l'on ne confond pas trop souvent manifestation culturelle et culture. Mais attendons de voir qui manque à l'appel de l'art d'ici. Et bien sûr, je ne demande qu'à être contredit.
Pour terminer, je souhaite revenir à mon travail et aux dualités qui le composent : il y en a une importante, tout particulièrement à l'occasion de l'exposition, c'est celle, une fois la peinture abandonnée, c'est à dire exposée, existant entre le peintre et le spectateur. J'explique souvent à mes élèves que le peintre fait des efforts insensés, en partant du fond de la toile, de rien, du blanc, de l'air, de l'idée, pour monter progressivement jusqu'à la surface du tableau, pour se hisser jusqu'au regard du spectateur. Le spectateur lui, doit faire le chemin et l'effort inverses : il part de la surface, et s'il le souhaite, si la toile l'appelle, il entre dedans, gratte, creuse, et tente d'aller au fond.
Tout ce que je souhaite ce soir, et pendant la durée de cette exposition, c'est que la correspondance se fasse à la croisée de ces efforts et de ces chemins, et qu'il y ait rencontre.”

Noir de monde donc, ce vernissage, si bien que de très nombreux invités sont repartis en se promettant de revenir un autre jour pour voir les toiles plus au calme.  
Du monde, soit, mais presse absente. Interrogées bientôt, les rédactions des journaux d’ici auront sans doute des bonnes raisons pour ne s’être pas déplacées, elles ont  toujours des bonnes raisons. J’aurais pourtant aimé que des rédacteurs ou correspondants ressentent cette ambiance, et voient le travail exposé avant de décider de faire ou non un papier. Mais il faut sans doute payer le prix de l’indépendance.