lundi 26 juillet 2010

L’art balnéaire

L’estivant doit-il mettre son goût en vacances ? Doit-il, le temps de ses congés et lors de ses voyages d’agrément, cesser de faire fonctionner son esprit critique et son intelligence ? C’est en tous cas ce que semblent croire les innombrables galeristes ou artistes improvisés qui ici, dans mon île (on a tôt fait de s’approprier les lieux qu’on aime), ouvrent ou occupent un local le temps de la saison touristique et y exposent les plus communs des lieux communs, présentés comme œuvres d’art, se faisant fort, autant que possible, d’avoir un rapport avec la réputation et l’ambiance marines du lieu. Combien de sites aujourd’hui touristiques, ayant perdu leurs racines, cherchent ainsi à bâtir une réputation sur leur pittoresque ?

Ici, comme ailleurs, la pêche locale va mal, et ira de plus en plus mal. Elle disparaîtra. Et on pourrait croire, mais ça n’est qu’une coïncidence, qu’à chaque bateau désarmé, à chaque équipage qui cesse son activité, c’est un nouveau lieu d’exposition qui s’ouvre sur un peu plus de médiocrité artistique. La mutation inévitable de l’île doit-elle nécessairement mener à une culture factice ou superficielle ? De toutes manières, si ce n’est déjà le cas, l’économie ne reposera bientôt plus que sur le tourisme. Alors, puisqu’on suppose qu’en saison ils perdent toute exigence, il conviendra de donner aux estivants, plaisanciers, résidents secondaires ou touristes de passage la légèreté qu’on les imagine attendre de leur séjour.

Il y en a ici comme ailleurs pour tous les (mauvais) goûts : compositions abstraites aux effets de matières faciles et  abondants, mais rappelant ostensiblement les couleurs des coques peintes des bateaux de pêche, ou bien quelques immatriculations de ces mêmes bateaux, frappées au pochoir dans un fatras coloré, ou encore des collages hasardeux de bois flottés peints. C’est très tendance, le bois flotté du bord de mer. Pour le plus figuratif, les chalutiers et caseyeurs, avec leurs couleurs vives et leurs reflets sinueux, les venelles du port, ciels bleus, tuiles oranges avec ombres portées obliques sur façades blanches, vélo, volets et hortensias, etc. On a vu ça partout, décliné sur tous les modes.  Des galeries à tous les coins de ruelles, des artistes s’offrant une vitrine pour deux mois, l’office de tourisme, les restaurants, une simple maison particulière à la porte ouverte sur le salon transformé pour l’occasion, tout fait exposition, tout fait ventre. On imagine donc que le vacancier est un inculte, un amateur de croûtes, un collectionneur de fausse peinture. On lui offre sur toile les pires clichés touristiques. 

Quand certaines galeries veulent se démarquer de ces clichés, elles mettent en avant des œuvres plutôt bien propres, bien finies, très décoratives, sans anicroche, sans risque. Ou font dans le haut de gamme en exhibant des sculptures un peu trop polies pour être honnêtes, ou des toiles un peu trop vernies, annoncent de grandes signatures, visent les belles villas, et affichent des prix ad hoc.

(Un certain esprit de l’île, qui m’a fait l’aimer à une époque où les habitants en étaient le nœud marin, s’estompe irrémédiablement. L’homme n’étant plus lié aujourd’hui à la nature du lieu, je suis obligé de me tourner vers le paysage : me restent quelques rochers isolés que rien ni personne ne peut déplacer, pas même les plus rudes tempêtes d’hiver. Je m’y accroche.)

Il faudra bien tout de même garder à quai et entretenir quelques navires  de l’ancien temps,  pour que les prétendus peintres puissent continuer d’évoquer la couleur locale dont certains anciens se souviennent encore vaguement, qu’ils puissent continuer à faire une réputation de lieu d’art à un endroit qui ne sera bientôt plus qu’un décor, susceptible d’alimenter les fausses galeries et les faux artistes en sujets faciles.

Et si, pourtant, dans ce banal paysage artistico-balnéaire, ni pire, ni meilleur qu’ailleurs, une galerie ou un artiste étaient vraiment sincères, hors saison, saurions-nous les reconnaître ?

lundi 12 juillet 2010

Artistes et problématiques sociétales

A Angers, le Quai est un “espace des arts vivants” doté de salles de spectacles et  d’un immense hall (le forum), qui accueille des expositions, des spectacles, des évènements, etc. En ce moment, les artistes invités y parlent des ennuis climatiques de la planète. C’est de saison.

Ils font des œuvres à ce propos, ils sont inspirés, d’ailleurs on leur a demandé d’être inspirés. Ils ont un point de vue sur cette question, comme ils en ont un sur la politique, sur les guerres, sur la vie sociale, sur le terrorisme, sur l’économie, sur tout, quoi. Il suffit de demander. Il suffit de commander. Ces artistes contemporains sont maintenant sociologues, cela ne leur suffisait pas d’être philosophes. Ce sont eux aujourd’hui qui interrogent le public sur les grandes questions mondiales, voire universelles. Ce sont eux qui après enquête, se chargent d’ouvrir les yeux du peuple sur sa consommation de sacs plastiques, d’appareils électroménagers… S’ils n’étaient pas là, tous ces artistes sociologues, mais que deviendrions-nous ? Quelle conscience aurions-nous ?  Qui nous aiderait à penser ? Qui nous culpabiliserait ? On n’hésite d’ailleurs pas à nous offrir une belle plaquette, avec un descriptif très détaillé des “dispositifs” (on pense peut-être à notre cerveau décrépit qui a bien besoin de soutien), accompagné de beaux textes biographiques et explicatifs sur les démarches individuelles et collectives. Le titre de cet article est d’ailleurs directement inspiré de ce dépliant.  Tout cela est une magnifique illustration, presque une caricature, des tics de la création artistique dite émergente. Suivant une méthodologie très convenue, on y trouve tout le champ lexical de l’art contemporain, accompagné des codes inévitables de mise en page, de présentation, bourré de références absconses. Tous ces gens qui, à lire ou écouter leurs discours,  veulent paraître si intelligents, tellement au dessus de notre médiocre condition intellectuelle et culturelle, ont-ils conscience que se prendre au sérieux de la sorte est plutôt risible et ridicule ?

Un exemple d’œuvre  : un fer à repasser est suspendu à un filin, et tourne au dessus de la tête des visiteurs. De temps en temps il lâche un peu de vapeur. Voilà l’œuvre dans sa totalité physique. Je laisse mon lecteur face à la description, et s’il veut savoir ce que cela veut dire, qu’il prenne la peine d’aller au Quai. Et s’il est trop loin, il peut toujours trouver un site internet en entrant “Eclaircies” (le titre de l’exposition) dans son moteur de recherche. On y apprend que certaines institutions soutiennent (pardonnez-moi, je comprends subventionnent) les artistes qui mettraient le thème du changement climatique au cœur de leur “projet artistique” : on incite donc bien les artistes à travailler dans le sens du vent…

Cette ironie couvre pourtant une question que je me pose souvent lors de ces manifestations : est-ce le rôle de l’artiste de faire réfléchir sur l’actualité immédiate, est-ce à lui de dire une fois de plus la réalité du monde qu’on nous déballe déjà dans tous les médias à toute heure du jour et de la nuit ? Etranges artistes ceux qui sont aujourd’hui en train  de montrer pompeusement, coûteusement et spectaculairement des évidences sociologiques sur une humanité qui ne progresse pas. Il y aurait à réaliser là une passionnante étude du comportement des artistes contemporains vis à vis de la culture de l’immédiateté, de l’actualité, de l’aussitôt, du court terme, mais quel artiste s’en chargerait ? Jolie mise en abyme, qui mériterait bien une subvention, pour le moins européenne…

L’artiste ne devrait-il pas, au contraire, sans pour autant se voiler la face,  faire preuve d’un certain recul, d’un décalage, d’un écart vis à vis du monde “réel”, afin que son œuvre soit atemporelle ? Nos artistes socio-écolos-subventionnés seront bien vite dépassés par la marche du monde, dont Obaldia a dit qu’il aimerait en descendre, pour peu qu’on l’arrête un moment.

C’est finalement ce que je reproche à cet art contemporain formaté qu’on veut me faire avaler de gré ou de force : il colle trop au monde tel qu’il avance, il est opportuniste, il lui est soumis. Il se nourrit de ce qu’il dénonce, en consommant le temps présent. Et c’est là, je l’avoue et je l’assume pleinement, dans ce détachement, dans cette distance, (mais non pas désintérêt) vis à vis de cette réalité que j’ancre mes critères personnels essentiels de définition de l’œuvre d’art. C’est là, dans cette intemporalité, que je pose ma limite et ma condition artistiques.

L’art est peut-être un arrêt du monde.

vendredi 2 juillet 2010

Culturel, cultuel, à une lettre près

Un petit village au bord de Loire, dont on dit communément que “beaucoup de peintres y habitent” : en réalité, il y a dans cette commune beaucoup plus d’agriculteurs que de peintres, et il y a beaucoup plus de gens qui font de la peinture que de peintres… Il y réside tout de même un artiste connu, qui fait la gloire du village, et s’empresser de nombreux courtisans. Ce qui n’enlève rien à la qualité et à l’intérêt de son œuvre, incontestablement très importante.
Le conseil municipal précédent s’était promis de rendre hommage d’une manière ou d’une autre à cet artiste qui fait beaucoup pour le rayonnement du village. Plusieurs idées avaient été émises, dont celle de la création de vitraux pour l’église, refusée à l’époque par l’Inspecteur des Monuments Historiques. Celui-ci a toutefois suggéré de “mettre en place une opération de mise en valeur  portant sur le porche d’entrée et la tribune qui le surmonte”. Le conseil récemment élu a pris la suite de la réflexion et a déposé un  permis de construire pour installer à cet endroit un portail de la Paix, créé par l’artiste. (Au passage, il y a là pour moi un mystère : comment un homme aussi fin peut-il considérer que l’Eglise est la mieux placée pour recevoir en ses murs une œuvre sur ce thème, dont l’idée est selon ses propres termes de “dénoncer la guerre et la violence”, alors que cette même Eglise a été impliquée dans bon nombre de conflits des deux mille dernières années d’histoire, et responsable de la mort de quelques millions de personnes ? Mais après tout, l’artiste est par essence libre de sa création, de ses contradictions, et il n’y a pas d’art sans mystère…)

Ce portail sera donc édifié à l’intérieur de l’église. A l’entrée, mais bien à l’intérieur. Il sera par conséquent difficile, même si le maire et les conseillers s’en défendent, de ne pas l’associer à l’iconographie religieuse existante. L’artiste lui-même, dans un entretien récent, l’a nommé “retable”. Mais tout cela ne serait finalement pas bien grave si la municipalité n’avait pas prévu de consacrer 90000 euros à la réalisation de ce portail, allant me semble-t-il ainsi à l’encontre de la loi séparant l’Eglise de l’Etat, puisqu’il incombe a priori aux communes de ne financer que ce qui concerne l’entretien et la conservation des lieux de culte lui appartenant. Ici, on installe une œuvre d’art dans un lieu bien peu public, aucunement neutre en tous cas, qui oblige le visiteur à respirer l’air chrétien, qu’il le veuille ou non, alors que cette œuvre est en partie financée par le contribuable. A mon objection récente, le conseil municipal répond et “réaffirme qu’il s’agit d’une œuvre laïque”, sans connotation religieuse. Je veux bien le croire, mais la placer dans l’église lui confère immédiatement cette connotation qu’elle n’aurait pas eu dans un lieu véritablement public. Chacun devrait pouvoir aller l’apprécier dans un site parfaitement neutre, dont les heures d’ouvertures ou les visites ne seraient pas conditionnées par des offices religieux. Monsieur le Maire affirme, et confirme, que l’église est “ouverte à tous, sous la condition de respecter le silence pendant les offices célébrés”.

Il aurait peut-être fallu poser le problème juridiquement, comme cela a été fait il y a quelques années par un certain M. X dans une bourgade proche, à propos du projet (finalement assez similaire à celui exposé plus haut) d’achat et  d’installation par la commune d’orgues dans une église n’en possédant pas. Procès perdu par la commune en premier jugement, puis en appel. On n’a pas pu faire n’importe quoi avec l’argent public, même sous couvert d’action culturelle.
Ici, dans le beau village au bord de Loire, fier de sa lumière et des artistes qu’elle attire, il est apparemment trop tard pour faire quelque chose. Le permis de construire a été déposé il y a plus d’un an, et ne peut plus être contesté. 

Mon regret, dans cette histoire, est de n’avoir pas réagi à temps, et surtout d’avoir contribué à l’élection d’une équipe à qui je pensais pouvoir confier parmi d’autres tâches celle de  préserver  quelques valeurs importantes, dont la laïcité. Si j’avais encore quelques illusions sur la portée d’un vote local, elles sont aujourd’hui évaporées. 

Mais pour nous consoler, nous avons dans le coin en ce moment une belle manifestation appelée “Art et Chapelles” (art et chapelles… une belle évidence) : sous le double couvert de valoriser le patrimoine  et de promouvoir l’art contemporain (vous avez dit “chapelle” ?), ce qui permet d’obtenir des aides, l’Eglise, au moyen de quelques fidèles associations,  fait sa réclame (mais on me dira que je suis de mauvaise foi, ce qui est certainement vrai). Certains artistes ne sont décidément pas regardants.

Cela va en tous cas dans le sens des vœux (pieux ?) du Maire du fameux petit village de Loire, qui espère que “les églises ne seront pas toujours affectées aux cultes, mais qu’elles deviendront à moyen terme des bâtiments culturels, la tendance étant déjà amorcée…”

Grâce à quelques petits arrangements entre Eglise et Etat ?