dimanche 23 janvier 2011

Signe de vie*

DSCF8175 Quelques bienveillants jugent opportun de vous expliquer votre propre peinture, tout persuadés qu’ils sont d’en comprendre le sens. Ainsi, récemment, plusieurs personnes ayant vu mes dernières tentatives — des encres sur papier marouflé sur toile — ont cru bon de m’assurer qu’il était normal de peindre aussi noir maintenant, tout affecté que je suis.

Dans une réponse crispée j’ai pu donner le change et m’en suis amusé, mais au fond j’étais attristé de constater à quel point, encore une fois, les conventions ont la vie dure (elles).

L’encre accompagne mon travail depuis le début : à chaque écueil, à chaque conflit, à chaque difficulté relationnelle avec la peinture (contrecoup d’une exposition, doutes, égarements, etc.) elle est là pour me faire reprendre pied. Elle est la source, l’amie fidèle, elle repose les questions fondamentales, de la forme à la valeur, du contrôle à l’abandon, de l’intention à l’intuition, de la conscience à l’instinct, elle revient sans détour sur le rapport peintre/matière/idée. Elle est franche, exigeante, ne pardonne rien. Elle ne ment jamais.

Noir/mort/deuil : l’encre, ses gris, ses noirs, et les blancs qu’elle laisse n’ont rien à voir avec ça. Ils sont bien la vie, alors que l’on persiste à entretenir cet amalgame funeste. L’encre traduit le geste vivant, les variations de ses gris n’en finissent pas de respirer, sa fluidité, sa légèreté lui façonnent une chair palpitante, son indélébilité faisant perdurer ce souffle sans jamais l’altérer.

Au fond, le papier est plus mortel que l’encre.

Cette symbolique noir/mort a donc été une aubaine pour certains afin qu’il trouvent précipitamment des mots et qu’ils se sortent tant bien que mal de cette embarrassante rencontre avec un peintre survivant, abîmé, endommagé. C’est parfaitement compréhensible, le malaise provoque parfois une sorte d'empressement maladroit.  Il faudrait donc parler à tout prix devant la mort, devant la détresse, devant la peinture, devant l’art, expliquer, parler, parler…

(Il est pourtant bon de se taire, parfois : j’ai reçu une carte imbécile m’affirmant : “on est bien peu de chose”. Il faudrait envisager une loi contre les lieux communs).

Elle m’agace, cette connotation du noir qui tend à la superstition (encore un mauvais coup du christianisme),  autant à craindre que signes et thèmes astraux, numérologie, et toutes sortes de croyances accompagnées des interprétations les plus farfelues. Autant d’attitudes magico-religieuses qui véhiculent peur, culpabilité et illusions, qui dénaturent notre regard et nos actes. C’est l’expression même de la peinture, et non le médium, qui peut éventuellement évoquer la mort ou la peine, même dans la plus colorée des palettes. Ce n’est pas le noir de l’encre, dont les degrés sont qualifiés par les Chinois de “couleurs”.

Peindre en noir n’est ni une posture, ni une manière artistique de porter le deuil, n’en déplaise à certains que ça aurait arrangés, “histoire de causer”. C’est une manière de retrouver la peinture, en recommençant par le fond.

Le noir de l’encre serait alors le symbole de l’espoir.

 

*”signe de vie”, encre de Chine sur papier de riz marouflé sur toiles assemblées,     70 x 30 cm, décembre 2010

mercredi 19 janvier 2011

Bonne figure

Les mêmes qui me reprochaient hier des indignations contre la médiocrité, la bêtise, les abus de pouvoir (et j’en passe) constatés dans le milieu artistique,  indignations exprimées dans ce blog ou ailleurs, courent peut-être aujourd’hui pour acheter le petit livre d’Hessel, et le mettre en évidence sur la table du salon ou l’offrir à des amis, pensant ainsi faire montre d’un acte de résistance  “parce que c’est salutaire”, ont dit les médias. Ce qui l’aurait été, c’est de s’indigner avant qu’on nous somme de le faire. Je m’indigne donc devant cette indignation de masse soudaine et artificielle, de bon ton.

Je m’énervais l’autre jour au Prado en écoutant ces visiteurs qui s’extasiaient devant le réalisme de “l’Adoration des Mages” ou du “Triomphe de l’Eucharistie” de Rubens. Mais non, voyons ! Ces toiles religieuses et mythologiques n’ont rien, mais vraiment rien de réaliste. Elles ne font que singer, utiliser la réalité pour illustrer une fiction (ou plutôt un mensonge, diraient certains, dont je suis, indignés par les religions), ce qui est davantage un des aspects  de l‘art figuratif : celui qui “prend les formes du monde visible, nettement identifiables, comme matériau”. Ici comme matériau de propagande, d’illustration de vieilles légendes, plus ou moins dangereuses. 

Pour ma part, je serais plutôt tenté de qualifier ces peintures d’abstraites (surréalistes, éventuellement) : elles  représentent des idées, des pensées, des croyances, des dogmes. Pas la réalité. Michel Seuphor disait : “J'appelle art abstrait tout art qui ne contient aucun rappel, aucune évocation de la réalité observée, que cette réalité soit, ou ne soit pas le point de départ de l'artiste”.

Parce qu’elle s’inspire plus ou moins consciemment de couleurs, de formes, de compositions ou de rythmes que chacun peut trouver dans la nature, une toile d’Hartung, de Rothko ou de Degottex est plus figurative, en tous cas moins abstraite que n’importe quelle peinture mythologique ou religieuse).

“Guernica”, de Picasso, admirée une heure plus tôt dans le musée d’en face, est une toile réaliste. Terriblement réaliste.

Réalisme : “volonté de représenter la nature telle qu’elle est”. Rubens a montré des hommes  tels qu’ils sont,  mais où a-t-il pu voir le “Grand jugement dernier” pour le représenter aussi fidèlement ?

Figuratif : “art qui s’attache à représenter les formes du monde visible, ou bien qui s’attache à donner une représentation plastique reproduisant exactement l’apparence des objets représentés”. Rubens a donc bien connu Cupidon, Vénus, Saint-Ceci ou Sainte-Cela et tant d’autres personnages légendaires et peut ainsi les montrer dans leur exacte apparence…

Mais l’athée que je suis est évidemment de mauvaise foi. Il continuera donc de penser que lorsque Rubens fait le portrait de ses contemporains, il est purement figuratif (et réaliste) et quand il peint “l’Immaculée Conception”,  il est abstrait, rien là-dedans ne me rappelant la réalité de la nature.  Avouons pourtant que dans les deux cas, sa manière est extraordinaire, et les très nombreuses œuvres actuellement au Prado sont réellement admirables techniquement. Je les ai prises comme une inégalable leçon de peinture. En ce qui concerne les sujets, c’est une autre histoire… Le prosélytisme pratiqué par les artistes, même s’il est lié au statut des peintres à cette époque,  m’indignera toujours. M’indigne tout ce talent —de Rubens, du Greco, et de tant d’autres croisés au Prado, et dans tellement d’autres musées— mis au service de la propagation de tant de mensonges.

Aujourd’hui, l’époque est donc à l’indignation, à ce qu’on dit. Ça me va, la mienne est à fleur de peau.  Je doute pourtant que les mots d’Hessel aient une vraie portée, qu’ils rendent soudain indignés  des gens qui ne l’étaient pas avant de les lire, qu’ils les poussent à dire à voix haute leur révolte, si toutefois elle apparaissait. Le plus étonnant, dans son texte, n’est pas son indignation. C’est qu’il garde espoir.