mercredi 31 août 2011

Idées courtes, quelques autres

 

Un matin d’hiver, je suis entré très tôt dans l’atelier, en laissant la lune allumée.

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Vivre de sa peinture ? Peut-être. En mourir ? C'est plus sûr.

Je rêve d’être insomniaque.

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Dessiner, c'est  observer. Pour mieux observer, il est conseillé de dessiner. On n'en sortira donc jamais.

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Finir une lettre par : "embrasse-toi pour moi".

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Tous ces gens, ils ne croient pas si mal dire.

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Angoissé lourd, hypocondriaque taré, alcoolique léger, un peu à la masse, revient à la charge, une once de talent (reste à prouver), des tonnes de questions : tout bien pesé, une vie de peintre. 

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Le regard appuyé et la main levée (dessiner).

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Note d’atelier : mes bols d’acrylique empilés ressemblent à des crépidules.

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En toile de fond des arrière-pensées. Autant dire très loin.

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Tic verbal de peintre : “voyez ce que je veux dire”.

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Je lis très peu de romans. Je n'aime pas beaucoup que l'on me raconte des histoires.

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Vivre de sa peinture ? Pourquoi pas.  Vivre sa peinture ? Pour sûr.

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Tous les matins, pour commencer, je vais à l'atelier revoir le travail de la veille : l'œil est à jeun.

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On ne termine pas une toile. On l’accomplit.

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Souvenir de connivence : quand à l’atelier je passais la journée dans l’encre, je devais le soir, pour rentrer à la maison, montrer patte noire.

dimanche 21 août 2011

Sous les yeux

 Dedans. La pensée insaisissable, celle qui passe  insolemment du vacarme au fracas, qui se perd dans l’effroyable confusion des temps, qui glisse sans prévenir du silence d’aujourd'hui aux hurlements d’hier, la pensée qui tente au même moment de se faufiler vers un avenir vague et tremblant à la teinte aussi incertaine que les gris des brumes d’hiver, celle qui cherche à tirer malgré tout quelques plaisirs ou satisfactions d’un présent sans consistance, pensée indomptable et hantée qui, remontant la mémoire, bute dans des images cassées ou trempées de chagrin,  cette pensée incohérente, chaotique et envahissante est capable d’aspirer soudain toute expression du regard et d’y laisser seulement une fixité désespérante.

Dehors. Le regard animé, celui qui rencontre une image, qui voyage de la couleur à la forme en cherchant les rythmes et les accords, qui de loin brouille le détail et examine l’ensemble, ce regard curieux qui s’approche pour apprécier la peau, son grain, sa vie, le regard sensible qui glisse sur les lignes en les caressant, celui qui s’éblouit dans la couleur, qui se complaît dans les tons et la lumière infinis de l’encre, qui sait encore s’étonner, ce regard singulier s’enfonce quelquefois si profondément dans la peinture qu’il trouve la force  de presser sur la pensée infectée pour la soulager entièrement du pus de sa folie.  En ces moments si rares,   moments de peinture vécus dans le travail de la toile ou dans l’attention  portée sur l’art des autres, s’ouvre un chemin plus simple où l’esprit se vide et l’œil s’emplit. Un moment de repos.

vendredi 5 août 2011

Le jour d’à côté

 

Un jour,  j’entrai dans l’atelier vers 9 h et en ressortis dix heures plus tard.

La veille, je n’y avais fait que de la figuration, acte de  présence insensible, avec des  tentatives répétées et vite avortées pour écrire quelques encres, composer et tacher quelques papiers. Entrer, sortir, revenir, repartir, faute de mieux.  Travail aussi décousu que celui des 363 jours précédents, à quelques exceptions près. Tiraillement permanent tissé d’allers et retours incessants entre maison et atelier, entre besoin impérieux de travailler, de faire, de pratiquer les gestes, de sentir les outils, les matières, les supports, et nécessité de fuir. Je me rassurais  en constatant que je savais encore tendre la toile, étendre le papier, me pencher vers lui, le maculer, puis surveiller son séchage et la transformation de l’encre (bon sang, ce qu’elle éclaircit !) enfin venir avec l’huile et mes émulsions former des peaux sur la peau, chacune laissant l’autre exister. Constat triste et douloureux :  je savais effectivement faire tous ces gestes artisanaux, mais bien peu d’images dignes d’intérêt en émergeaient. Je n’y étais pas.

Ce jour-là j’entre dans  l’atelier vers 9 h et aussitôt je suis happé par des idées, plongé dans des bains de gris, des masses de couleurs et des images nouvelles. Rien à voir, donc, avec les 364 jours précédents où pendant la journée je me forçais à mettre en œuvre  mes manières personnelles (calligraphie des textes et des images, jus acryliques déversés, assemblage des feuillets,  pointage de la toile sur le châssis et marouflage du papier), alors que la nuit je m’apercevais qu’il était  possible de pleurer en dormant.

Ce jour-là, pendant le séchage de la colle, j’accumulais les encres en faisant revenir des idées perdues du fin fond des carnets de croquis. Décidément, rien à voir avec les mois  précédents, pendant lesquels je passais des heures à feuilleter ces notes avec l’espoir de retrouver un moyen de peindre : la plupart des encres issues de ces efforts finissaient brûlées dans le poêle ou au fond du jardin. Jours interminables où le fond de ma pensée ne parvenait pas à se fixer,  vase douteuse remuée par des courants incontrôlables, contraires, divisés, déchaînés parfois. Une pensée mouvante et poisseuse qui faisait s’enfoncer le travail dans un temps mensonger, stérile et délétère, où les nuits sont sans rêves et les jours envahis de cauchemars. 

Les semaines d’avant ce jour-là, c’était une appréhension sidérante —mémoire de la peur et peur de la mémoire conjuguées— qui me faisait commencer puis interrompre, encore et encore.

Ce jour-là, si redouté, j’ai peint à la fois contre cette peur et contre l’oubli, cela sans aucune préméditation. Les encres n’ont pas été brûlées, l’huile colorée est venue doucement voiler les papiers marouflés. Des images, nombreuses, ont pris sens et corps pour la première fois depuis des mois et des mois. Sans prévenir. Je ne suis pas sorti de l’atelier, sauf pour manger un morceau. J’ai quitté les lieux le soir, tard, à regret, épuisé mais plein d’une satisfaction dont je ne connaissais plus la saveur : celle de m’être senti davantage vivant que survivant. Comme accompagné.  Jamais il n’a été aussi clair que ne penser à rien d’autre qu’à la peinture au moment de faire est l’unique moyen d’être.

Oui, peindre, c’est cela : être et faire en même temps.