jeudi 30 octobre 2014

idées courtes #10


“Je t’ai à l’œil”, dit l’artiste au monde qui l’entoure.
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D’ou vient l’idée, de quel produit  ? De la mescaline, de la poudre, de l’herbe, du vin, de l’acide ? Peut-être.
D’un travail incessant, c’est certain.
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Tous ceux dont le chien se fera écraser un vendredi 13 deviendront superstitieux.
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D’où vient l’idée ? me/se demande-t-on souvent. Peut-être des croisements, des rencontres, des passages ou des collisions.
De celle de l’autre, mais encore faut-il savoir la faire sienne.
D’un labour, d’un semis, de la culture, de la récolte.
D’un vol, d’un recel, d’un blanchiment, d’une remise sur le marché.
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Si j’aime la peinture de Renoir ? A quelques exceptions près, autant que les chocolats des boîtes que ses peintures illustrent bien souvent : trop sucrés, fourrés de couleurs molles, écœurants.
À  ce compte-là,  j’adorerais les friandises emballées sous un Matisse.
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D’où vient l’idée ?
Ne tombe pas du ciel, mais monte peut-être de la terre, des terres : celle que l’on foule, l’autre que l’on broie et lie dans le mortier de l’atelier, celle encore qui émerge des eaux, frangée des roches, celle en fin, en bout du monde.
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La création consiste en premier lieu à inventer le temps qui permettra de travailler.
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D’où viennent les idées ?  insiste-t-on. Mais d’où vient la question ? Ne serait-elle pas posée par ceux qui n’en ont pas ?
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Chaque été, le fleuve se met en grèves.
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D’où vient l’idée ?
Peut-être d’un simple regard qui rebondit vers dedans. Mais pour cela, il faut une surface souple, tendue et absorbante, celle d’une pensée en éveil permanent.
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Avec plusieurs pinceaux, on s’emmêle les pinceaux.                    Avec un seul on s’emmêle les couleurs.
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Quand l’idée vient, je ne me demande pas d’où. J’aimerais plutôt savoir où elle va.
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Origines : l’envers d’où je viens.
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Ne tombe pas du ciel, l’idée, mais est dans l’air : savoir l’attraper, la retenir, la travailler, et la relancer.
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Il en faut contre tous les goûts.
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L’AC du FRAC et celui de la DRAC n’ont pas la même signification. Art contemporain pour l’un, affaires culturelles pour l’autre. Pourtant, bien à mettre dans le même sAC.
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Certaines idées, certains jours, doivent être arrachées à la pensée, mais aussi aux matières, aux croquis, aux notes, aux souvenirs, aux griffonnages, aux biffures, aux repentirs, aux échecs.
Et voilà le travail.

dimanche 19 octobre 2014

L’avenir nous le dira (chapitre 2)


(suite de l'article du 18/10/2014)

Aujourd’hui, une nouvelle équipe dirige la galerie associative du petit village au bord du fleuve. Le vieux peintre un peu célèbre n’est plus de ce monde, les quelques artistes éparpillés dans la commune ne font plus parler d’eux, ou sont partis vers d’autres destins.

L’artiste fondateur de la galerie associative, devenu observateur,  regarde avec inquiétude le projet initial tomber aux mains de membres de la secte de l’art contemporain, certains embrigadés sans même s’en rendre compte. Une seule artiste dans l’équipe responsable, professeure aux Beaux-Arts. On comprendra pourquoi, désormais, une exposition est réservée annuellement aux étudiants de cette grande école confessionnelle. Il s’agit de coloniser les territoires. Main basse sur tous les lieux. La municipalité, aveuglée et émoustillée par le rapport élogieux d’un cabinet d’études qualifiant l’espace de “bijou”, a embauché un  médiateur en contrat aidé. Lequel, consciemment ou non,  peut-être de par sa formation, semble totalement en phase avec les fameux enjeux de l’art contemporain. Pour preuve  une programmation récente et à venir adhérant complètement aux clichés officiels, le meilleur moyen pour détourner les habitants d’un lieu qu’ils financent pourtant (heureux contribuables), et pour les faire renoncer à poursuivre l’approche de l’art qu’ils avaient amorcée. Les responsables, défendant leur bout de gras et leurs dossiers de demandes de subventions, évoquent un futur rayonnement départemental, voire plus.  Assurément, on est en plein dans le moule artistique national, et même international ! Un membre du conseil municipal, réservé, émet l’idée qu’il faudra poser des exigences d’évaluation des objectifs fixés. Mais qui donc va évaluer ces objectifs, et comment ?

On sélectionne maintenant les artistes non plus en allant les voir dans leurs ateliers ou leurs expositions, mais en attendant devant un écran d’ordinateur qu’ils envoient des images de plus ou moins bonne qualité accompagnées d’un beau discours au champ lexical labellisé contemporain. Pas la peine de voir la matière la surface la dimension le grain la vie la présence de l’œuvre, on s’en fout de tout ça. On vote froidement oui ou non sur un tableau Excel, sans pouvoir argumenter ou défendre ou critiquer, etc. Aucun échange, on ne discute pas, je ne veux voir qu’une tête. C’est le règne du j’aime/j’aime pas, c’est à dire la négation de l’objectivité. Pas de délibération lors de l’établissement de la programmation annuelle, aucun critère, aucune grille d’évaluation critique de la qualité créative, de la cohérence d’un travail, de la recherche, de la technique, du parcours, de l’impact sur le public. Exit la diversité. Finies les rencontres associatives animées et chaleureuses où chacun pouvait défendre des artistes, s’enthousiasmer, convaincre ou se laisser convaincre. Pas le temps de tout ça, il faut être efficace, laissons le sensible de côté.  Pas grave, nous avons maintenant les moyens pour faire ce que nous voulons et pour placer nos artistes. Nos installations, nos dispositifs envahissent l’espace associatif subventionné. Nous avons gagné. Nous ferons comprendre à tous ces incultes de la campagne que l’art, le seul, le vrai, c’est ça, et que nous détenons la vérité dans ce domaine. 

L’identité du village a-t-elle gagné en clarté, l’orientation artistique est-elle vraiment visible, est-elle seulement réelle ? Village d’artistes ? Mais non, il n’y en a plus, ou ceux qui restent vont voir ailleurs, observant la gangrène contemporaine noircir tout ce qu’elle touche.

Il aurait été bon que la municipalité s’entoure d’avis contradictoires et autorisés pour établir une  politique culturelle qui s’adresserait  véritablement aux habitants plutôt qu’à un groupe aux ordres de la nébuleuse contemporaine, tendancieux et raidi sur ses certitudes, qui décline froidement les topiques de l’art le plus officiel.

Sauvée, la galerie ?

samedi 18 octobre 2014

L’avenir nous le dira (chapitre 1)

 

Il était une fois, il y a bien longtemps, au bord d’un fleuve, un petit village qui se cherchait une identité. Un jour, un artiste, puis un autre, puis plusieurs autres s’y installèrent, y trouvant sans doute le sol assez fertile pour y enfouir quelques racines plus ou moins nues, un air assez doux et venté pour y laisser filer des idées, parfois à contre-courant, ou des pierres assez blanches pour y inscrire quelques entailles. L’un de ces artistes avait déjà une certaine réputation, qu’il sut entretenir et cultiver auprès de ses confrères locaux, de la municipalité et de ses concitoyens. D’autres prirent des initiatives individuelles, exposant chez eux, invitant des amis artistes, créant des évènements ponctuels. Un autre encore fut sollicité pour prendre en charge l’organisation d’expositions collectives déjà existantes, ce qu’il  accepta sous certaines conditions : faire progressivement le tri entre l’artiste amateur et le professionnel, sélectionner les artistes et les œuvres  pour augmenter la qualité des présentations, réduire le nombre d’exposants pour gagner en clarté et lisibilité. Enfin, ne pas se limiter au fameux tandem peinture/sculpture, mais ouvrir à d’autres disciplines.

Intéressés  par ces nouveaux objectifs, de nombreux habitants du petit village, ainsi que des artistes des communes voisines,  s’associèrent pour s’impliquer dans l’organisation de ces expositions plus exigeantes. Pendant ce temps, au bord du fleuve, le village continuait de se forger une identité en s’orientant de plus en plus vers le tourisme et, de là, vers la culture.

La salle municipale dédiée jusqu’alors aux artistes étant désormais occupée par l’office du tourisme, deux solutions se présentèrent : arrêter définitivement les expositions ou bien chercher un autre lieu et fonder un projet plus ambitieux sous la forme d’une galerie associative. La municipalité mit alors une  belle maison du bourg à la disposition des artistes, la restaura, l’équipa, et avec tous les bénévoles enthousiastes, en fit une véritable galerie, modulable, souple, accueillante, en confiant à toute l’équipe le soin d’animer ce lieu, de le faire vivre  par l’art et pour les habitants autant que par les habitants et pour les artistes.

La galerie s’ouvrit dans une belle effervescence, programma des expositions individuelles ou en petits collectifs, prenant ses distances avec les vieux “salons de peinture” poussiéreux et confus, veillant à des choix artistiques  de qualité, éclectiques, mais aussi abordables pour les habitants des environs, un des buts de l’association étant de rendre accessibles la création et les artistes. Ainsi les écoles vinrent régulièrement visiter les lieux et les œuvres, certains enseignants travaillant parfois en amont avec leurs élèves pour préparer la rencontre. Les artistes jouèrent le jeu en n’hésitant pas à prêter des travaux pour constituer une artothèque et faire circuler des œuvres originales dans les familles  ou dans les collectivités locales. Tout doucement, mais régulièrement, la réputation du lieu s’étendit.

Après quelques années, l’artiste fondateur souhaita laisser ses fonctions, voulant démontrer que la pérennité du lieu ne dépendrait pas de ses responsables mais bien du projet lui-même, et  favoriser un renouvellement d’idées et d’énergies. Au moment de partir, il formula le souhait que la galerie continue de présenter une grande variété artistique, des démarches singulières, ne tombe pas dans le piège de la tendance contemporaine à tout prix, qu’elle évite les chapelles et les récupérations, garde son indépendance. D’autres personnes, dont des artistes, prirent le relais et continuèrent à animer l’espace avec enthousiasme et dynamisme, sans compter leur temps et leurs efforts.

Mais petit à petit, les moyens limités eurent raison de l’énergie collective, même si la municipalité encourageait toujours le projet. Les bonnes volontés s’essoufflèrent, et d’une quarantaine de bénévoles au début de l’aventure, l’équipe se réduisit à cinq ou six actifs après quelques années.

A deux doigts de fermer ses portes, au terme d’une année à la programmation presque vide, la galerie fut pourtant sauvée.

Sauvée ? Ou définitivement perdue ? L’avenir nous le dira.

(la suite demain)