dimanche 29 août 2010

Le jour sans cesse

En principe, le diariste marque ses pages au jour le jour.

Depuis un mois, mon journal indique la même date, le soleil ne se couchant  toujours pas.

Il y a bien une vie après la mort : celle des autres. Une vie conjuguée au futur impossible où, dans l’absence, chaque geste est un effort et chaque pensée une souffrance. (Ou le contraire.)

A un moment de cette journée commencée le mois dernier et qui n'en finira décidément pas, je viens de goûter à ce que sera la peinture, désormais : reconduit dans l'atelier par je ne sais quel violent sursaut, ai versé de l'émulsion dans le flacon, ai saisi la palette, y ai posé des couleurs. Ai repris la toile laissée avant. (N'ai pas pu commencer une nouvelle.) Ai retrouvé mes accords, mes sonorités, la trace de mes anciens pas. Ai mis de la musique. Ai poussé le volume très fort. Me suis approché de la toile. Ai posé quelques touches, quelques masses, ai renoué avec la surface, avec l'espace, avec la teinte. Retrouvé chaque élément tel que je l'avais laissé.  Apparemment, à la surface, la peinture n'a pas bougé depuis l’autre fois. En dessous, elle est bouleversée.

     (Mais enfin, de quel droit les larmes alors que c'est elle qui...)

Demain-tout-à-l'heure (les temps ont changé), je verrai si je peux commencer quelque chose.  La peinture revient, pourtant, à petits pas. Ce qui me retient, c'est la peur qu'elle ne montre trop ostensiblement la douleur. Je n'y tiens pas, je cherche à l'en empêcher. Je retrouve ce que je publiais il y a quelques années, alors que la vie était encore choisie et que la mort, sans être abstraite puisque déjà souvent fréquentée,  semblait pourtant moins anormale  :

“un jour, les supports du peintre ne seraient plus les évènements de l’existence, douloureux, violents, amoureux, physiques, sensibles, mais les mouvements propres, sismiques, intrinsèques de la peinture elle-même, qui aurait décidé une fois pour toute de se passer de prétexte, et de vivre seule dans une forme d’autarcie, de nourrissant de peu mais ne manquant de rien, utilisant son passé, ses apprentissages, puis son expérience, approchant doucement d’un mouvement perpétuel. Respirant seule.

J’en suis, maintenant, à terminer ce qui était commencé. Me reste à recommencer. Et puis, plus tard, à revenir à l’art des autres. Ce jour interminable n’a pas fini de durer.

lundi 16 août 2010

Le désespoir du peintre

Alors qu’il vivait dans une sorte d’isolement protégé, entouré d’elle, enroulé d’elle, il se voit précipité brutalement dans une solitude forcée, sans mesure.

Il attendait le soir sa visite à l’atelier, où elle venait, par un simple coup d’œil,  exprimer son accord ou sa réserve sur le travail du jour. Aucun autre regard ne pouvait changer le tableau.

Comment ira-t-il à l’atelier, maintenant, puisque ce souffle d’elle n’y entrera plus ?

Quoi peindre, maintenant, et comment peindre ?

La peinture est en souffrance.

Hier peindre contre la médiocrité, contre la paresse, contre l’inutile, contre l’impatience et l’immédiat. C’était facile.

Aujourd’hui peindre contre le pire du monde, contre la violence, peindre avec le temps contre soi.  Et pleurer de ne plus jamais vivre contre elle. Peindre aux larmes.

Ni chiffon, ni essence, ni gomme pour effacer chagrin, colère et  révolte. Reconstruire dessus ?  Foutaise. Remonteront toujours de sous les peaux colorées de la toile et du papier.

Et comment laissera-t-il à la porte de son imaginaire la fraction du temps meurtrier ?

(Mais de quel droit se plaint-il, alors que c’est elle qui…)

Comment fera-t-il pour être, maintenant ?

Peine perdue : toute solitude est désormais douloureuse.