jeudi 30 octobre 2014

idées courtes #10


“Je t’ai à l’œil”, dit l’artiste au monde qui l’entoure.
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D’ou vient l’idée, de quel produit  ? De la mescaline, de la poudre, de l’herbe, du vin, de l’acide ? Peut-être.
D’un travail incessant, c’est certain.
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Tous ceux dont le chien se fera écraser un vendredi 13 deviendront superstitieux.
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D’où vient l’idée ? me/se demande-t-on souvent. Peut-être des croisements, des rencontres, des passages ou des collisions.
De celle de l’autre, mais encore faut-il savoir la faire sienne.
D’un labour, d’un semis, de la culture, de la récolte.
D’un vol, d’un recel, d’un blanchiment, d’une remise sur le marché.
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Si j’aime la peinture de Renoir ? A quelques exceptions près, autant que les chocolats des boîtes que ses peintures illustrent bien souvent : trop sucrés, fourrés de couleurs molles, écœurants.
À  ce compte-là,  j’adorerais les friandises emballées sous un Matisse.
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D’où vient l’idée ?
Ne tombe pas du ciel, mais monte peut-être de la terre, des terres : celle que l’on foule, l’autre que l’on broie et lie dans le mortier de l’atelier, celle encore qui émerge des eaux, frangée des roches, celle en fin, en bout du monde.
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La création consiste en premier lieu à inventer le temps qui permettra de travailler.
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D’où viennent les idées ?  insiste-t-on. Mais d’où vient la question ? Ne serait-elle pas posée par ceux qui n’en ont pas ?
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Chaque été, le fleuve se met en grèves.
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D’où vient l’idée ?
Peut-être d’un simple regard qui rebondit vers dedans. Mais pour cela, il faut une surface souple, tendue et absorbante, celle d’une pensée en éveil permanent.
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Avec plusieurs pinceaux, on s’emmêle les pinceaux.                    Avec un seul on s’emmêle les couleurs.
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Quand l’idée vient, je ne me demande pas d’où. J’aimerais plutôt savoir où elle va.
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Origines : l’envers d’où je viens.
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Ne tombe pas du ciel, l’idée, mais est dans l’air : savoir l’attraper, la retenir, la travailler, et la relancer.
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Il en faut contre tous les goûts.
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L’AC du FRAC et celui de la DRAC n’ont pas la même signification. Art contemporain pour l’un, affaires culturelles pour l’autre. Pourtant, bien à mettre dans le même sAC.
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Certaines idées, certains jours, doivent être arrachées à la pensée, mais aussi aux matières, aux croquis, aux notes, aux souvenirs, aux griffonnages, aux biffures, aux repentirs, aux échecs.
Et voilà le travail.

dimanche 19 octobre 2014

L’avenir nous le dira (chapitre 2)


(suite de l'article du 18/10/2014)

Aujourd’hui, une nouvelle équipe dirige la galerie associative du petit village au bord du fleuve. Le vieux peintre un peu célèbre n’est plus de ce monde, les quelques artistes éparpillés dans la commune ne font plus parler d’eux, ou sont partis vers d’autres destins.

L’artiste fondateur de la galerie associative, devenu observateur,  regarde avec inquiétude le projet initial tomber aux mains de membres de la secte de l’art contemporain, certains embrigadés sans même s’en rendre compte. Une seule artiste dans l’équipe responsable, professeure aux Beaux-Arts. On comprendra pourquoi, désormais, une exposition est réservée annuellement aux étudiants de cette grande école confessionnelle. Il s’agit de coloniser les territoires. Main basse sur tous les lieux. La municipalité, aveuglée et émoustillée par le rapport élogieux d’un cabinet d’études qualifiant l’espace de “bijou”, a embauché un  médiateur en contrat aidé. Lequel, consciemment ou non,  peut-être de par sa formation, semble totalement en phase avec les fameux enjeux de l’art contemporain. Pour preuve  une programmation récente et à venir adhérant complètement aux clichés officiels, le meilleur moyen pour détourner les habitants d’un lieu qu’ils financent pourtant (heureux contribuables), et pour les faire renoncer à poursuivre l’approche de l’art qu’ils avaient amorcée. Les responsables, défendant leur bout de gras et leurs dossiers de demandes de subventions, évoquent un futur rayonnement départemental, voire plus.  Assurément, on est en plein dans le moule artistique national, et même international ! Un membre du conseil municipal, réservé, émet l’idée qu’il faudra poser des exigences d’évaluation des objectifs fixés. Mais qui donc va évaluer ces objectifs, et comment ?

On sélectionne maintenant les artistes non plus en allant les voir dans leurs ateliers ou leurs expositions, mais en attendant devant un écran d’ordinateur qu’ils envoient des images de plus ou moins bonne qualité accompagnées d’un beau discours au champ lexical labellisé contemporain. Pas la peine de voir la matière la surface la dimension le grain la vie la présence de l’œuvre, on s’en fout de tout ça. On vote froidement oui ou non sur un tableau Excel, sans pouvoir argumenter ou défendre ou critiquer, etc. Aucun échange, on ne discute pas, je ne veux voir qu’une tête. C’est le règne du j’aime/j’aime pas, c’est à dire la négation de l’objectivité. Pas de délibération lors de l’établissement de la programmation annuelle, aucun critère, aucune grille d’évaluation critique de la qualité créative, de la cohérence d’un travail, de la recherche, de la technique, du parcours, de l’impact sur le public. Exit la diversité. Finies les rencontres associatives animées et chaleureuses où chacun pouvait défendre des artistes, s’enthousiasmer, convaincre ou se laisser convaincre. Pas le temps de tout ça, il faut être efficace, laissons le sensible de côté.  Pas grave, nous avons maintenant les moyens pour faire ce que nous voulons et pour placer nos artistes. Nos installations, nos dispositifs envahissent l’espace associatif subventionné. Nous avons gagné. Nous ferons comprendre à tous ces incultes de la campagne que l’art, le seul, le vrai, c’est ça, et que nous détenons la vérité dans ce domaine. 

L’identité du village a-t-elle gagné en clarté, l’orientation artistique est-elle vraiment visible, est-elle seulement réelle ? Village d’artistes ? Mais non, il n’y en a plus, ou ceux qui restent vont voir ailleurs, observant la gangrène contemporaine noircir tout ce qu’elle touche.

Il aurait été bon que la municipalité s’entoure d’avis contradictoires et autorisés pour établir une  politique culturelle qui s’adresserait  véritablement aux habitants plutôt qu’à un groupe aux ordres de la nébuleuse contemporaine, tendancieux et raidi sur ses certitudes, qui décline froidement les topiques de l’art le plus officiel.

Sauvée, la galerie ?

samedi 18 octobre 2014

L’avenir nous le dira (chapitre 1)

 

Il était une fois, il y a bien longtemps, au bord d’un fleuve, un petit village qui se cherchait une identité. Un jour, un artiste, puis un autre, puis plusieurs autres s’y installèrent, y trouvant sans doute le sol assez fertile pour y enfouir quelques racines plus ou moins nues, un air assez doux et venté pour y laisser filer des idées, parfois à contre-courant, ou des pierres assez blanches pour y inscrire quelques entailles. L’un de ces artistes avait déjà une certaine réputation, qu’il sut entretenir et cultiver auprès de ses confrères locaux, de la municipalité et de ses concitoyens. D’autres prirent des initiatives individuelles, exposant chez eux, invitant des amis artistes, créant des évènements ponctuels. Un autre encore fut sollicité pour prendre en charge l’organisation d’expositions collectives déjà existantes, ce qu’il  accepta sous certaines conditions : faire progressivement le tri entre l’artiste amateur et le professionnel, sélectionner les artistes et les œuvres  pour augmenter la qualité des présentations, réduire le nombre d’exposants pour gagner en clarté et lisibilité. Enfin, ne pas se limiter au fameux tandem peinture/sculpture, mais ouvrir à d’autres disciplines.

Intéressés  par ces nouveaux objectifs, de nombreux habitants du petit village, ainsi que des artistes des communes voisines,  s’associèrent pour s’impliquer dans l’organisation de ces expositions plus exigeantes. Pendant ce temps, au bord du fleuve, le village continuait de se forger une identité en s’orientant de plus en plus vers le tourisme et, de là, vers la culture.

La salle municipale dédiée jusqu’alors aux artistes étant désormais occupée par l’office du tourisme, deux solutions se présentèrent : arrêter définitivement les expositions ou bien chercher un autre lieu et fonder un projet plus ambitieux sous la forme d’une galerie associative. La municipalité mit alors une  belle maison du bourg à la disposition des artistes, la restaura, l’équipa, et avec tous les bénévoles enthousiastes, en fit une véritable galerie, modulable, souple, accueillante, en confiant à toute l’équipe le soin d’animer ce lieu, de le faire vivre  par l’art et pour les habitants autant que par les habitants et pour les artistes.

La galerie s’ouvrit dans une belle effervescence, programma des expositions individuelles ou en petits collectifs, prenant ses distances avec les vieux “salons de peinture” poussiéreux et confus, veillant à des choix artistiques  de qualité, éclectiques, mais aussi abordables pour les habitants des environs, un des buts de l’association étant de rendre accessibles la création et les artistes. Ainsi les écoles vinrent régulièrement visiter les lieux et les œuvres, certains enseignants travaillant parfois en amont avec leurs élèves pour préparer la rencontre. Les artistes jouèrent le jeu en n’hésitant pas à prêter des travaux pour constituer une artothèque et faire circuler des œuvres originales dans les familles  ou dans les collectivités locales. Tout doucement, mais régulièrement, la réputation du lieu s’étendit.

Après quelques années, l’artiste fondateur souhaita laisser ses fonctions, voulant démontrer que la pérennité du lieu ne dépendrait pas de ses responsables mais bien du projet lui-même, et  favoriser un renouvellement d’idées et d’énergies. Au moment de partir, il formula le souhait que la galerie continue de présenter une grande variété artistique, des démarches singulières, ne tombe pas dans le piège de la tendance contemporaine à tout prix, qu’elle évite les chapelles et les récupérations, garde son indépendance. D’autres personnes, dont des artistes, prirent le relais et continuèrent à animer l’espace avec enthousiasme et dynamisme, sans compter leur temps et leurs efforts.

Mais petit à petit, les moyens limités eurent raison de l’énergie collective, même si la municipalité encourageait toujours le projet. Les bonnes volontés s’essoufflèrent, et d’une quarantaine de bénévoles au début de l’aventure, l’équipe se réduisit à cinq ou six actifs après quelques années.

A deux doigts de fermer ses portes, au terme d’une année à la programmation presque vide, la galerie fut pourtant sauvée.

Sauvée ? Ou définitivement perdue ? L’avenir nous le dira.

(la suite demain)

mercredi 17 septembre 2014

Emploi du temps


…/dois écrire  un mail à la rédaction du journal pour relancer après l’envoi du carton d’invitation je n’ai pas eu de retour/pas fini les trois dernières toiles exposition commence dans moins de dix jours elles ne se laissent pas faire/demain retenir camion pour transport des toiles même les pas sèches calculer le volume nécessaire si je prends les panneaux modulables/quoi préparer pour le dîner ?/combien de panneaux? retrouver le plan de la salle/oublié d’envoyer un carton à F. T. et pourtant il m’a acheté une toile il y a trois ans devrais mieux tenir à jour mes adresses/oublié de photographier la toile carrée terminée la semaine dernière trop tard ce soir plus assez de lumière on a annoncé beau temps demain matin oui mais j’avais promis d’être en ville à 10 h/la télé locale ne répond pas même après deux mails j’y passerai demain pour donner le dossier de presse directement  mais je n’ai plus rien de propre pas le temps de laver sécher repasser une chemise d’ici là mais comment  font les autres artistes pour peindre autant et faire le reste/peut-être changer la place de la masse encrée de noir et dégager un espace coloré ?/j’ai une ordonnance à prendre à la pharmacie/sans doute ils n’ont pas d’enfants ou pas de vie privée mais ça ne tient pas debout ou bien ils sont rentiers ou bien quelqu’un les prend en charge/pas fini d’établir la liste des titres et des prix, tout s’accumule au dernier moment me demande quand je vais finir ces toiles elles me reprochent tous les jours de ne pas m’occuper d’elles besoin d’être concentré dessus devant pas d’être pris ailleurs tête encombrée d’un fatras matériel matérialiste il faut pourtant l’être j’aimerais mieux peindre seulement/cours pas tout à fait prêts rentrée approche je ne dois pas improviser j’ai le fil conducteur et plusieurs sujets mais pas encore l’articulation pendant ce temps les toiles n’avancent pas/un article pour le blog se prépare pas écrit depuis trop longtemps, état de manque d’écriture juste des bouts de notes et l’idée qui court elle va me semer/je dis souvent à mes élèves “tout à la fois, tout en même temps!”/dois penser à prévoir acrylique pour repeindre panneaux pour présentation des toiles pas reçu la banderole qui annoncera l’exposition dehors vérifier sur le site où en est la commande mais perdu mot de passe temps perdu aussi/journal me demande la reproduction d’une toile que je n’ai pas encore photographiée ajouter à demain puisque beau temps belle lumière prévus oui mais je dois nettoyer l’ordinateur fichiers photos trop lourds à traiter mais obligatoires pour l’imprimerie Photoshop n’avance plus/ce n’est pas demain matin que je peindrai me demande quand je retrouverai une concentration suffisante plus le début de l’exposition approche plus le concret m’envahit plus la peinture la vraie celle qui sent fort qui colle qui tache qui poisse qui coule dans les veines s’éloigne/vu plusieurs expositions récemment mais comment ont-ils fait pour travailler autant c’est incompréhensible ou alors ils possèdent le secret qui les dispense du trivial du quotidien Picasso est un monstre vu Dubuffet aussi quelle montagne de recherche de travail je suis petit et encombré impossible d’aller davantage à l’atelier ou alors je ne mange plus le frigo est vide la maison sale le jardin envahi les fruits tombés pourris/manquent quelques cadres pour les lithographies ajouter à la journée de demain/passerai faire des courses en même temps plus de lait ni de moutarde ni de fromage mettre de l’essence dans la voiture aussi et grouper les coups de téléphone j’arriverai peut-être à peindre pendant deux ou trois heures consécutives au moins les dégager mais me concentrer vais-je y arriver ? Dois encore refaire le listing des galeries, certaines se déplaceront peut-être y a-t-il encore des galeries qui ne se contentent pas des écrans et des sites web et qui vont à la recherches des matières des réalités de la texture des formats des accidents et des supports s’il en existe une il ne faut pas la laisser passer mais comment savoir ?/remplacer la poignée de la porte de l’entrée restée dans la main hier mais je vais peindre quand bon sang ? /Pense à Doré à 33 ans 100000 dessins, ce n’est pas possible il ne faisait rien d’autre ? et encore il se plaignait de ne pas faire assez il semble qu’il trouvait pourtant le moyen d’avoir une vie personnelle mais son quotidien ? Delacroix en parle du quotidien j’ai aimé son journal aussi pour ça il y a du concret des comptes des factures de l’administratif mais ça ne l’empêche pas de penser à sa peinture. Vu exposition Méheut l’an dernier quelle bête de somme et quelle somme de travail on ne me fera pas croire qu’il préparait ses repas et qu’il passait le balai ou lavait son linge/pour certains artistes cela se comprend, on leur donne les moyens : subvention, aide logistique, “on” c’est souvent l’Etat ou ses dérivés alors évidemment il y a des soucis en moins on peut se décharger/la notoriété aussi/les intermittents on parle d’eux ils ont de la chance d’une certaine façon ils ont du poids si un peintre ne peint plus pour protester de sa condition cela ne touche personne les artistes plasticiens ne travaillent pas seulement à l’occasion des expositions ils ont besoin de temps pour réfléchir construire élaborer mais comment vivent-ils alors ? Ils n’interrompent jamais leur travail mais deviennent invisibles et pendant ce temps sans exposition il faut manger vivre en privé élever et suivre ses enfants se loger se chauffer alors on fait comme les autres on enseigne parce que personne n’a prévu des allocations pour plasticiens et que l’on ne veut pas s’éloigner de son domaine qu’on veut le transmettre combien de musiciens  d’écrivains de comédiens enseignent pour vivre et mener leur art sans démordre de leurs idées et idéaux ?/penser aussi à commander le vin et les jus de fruits pour les invités du vernissage et à préparer la colle pour l’affichage nocturne et éphémère et peut-être vain mais on ne sait pas on ne saura jamais on ne peut pas sonder les visiteurs en leur demandant “comment avez-vous été informés?” je ne suis pas un “commercial” je n’apostrophe pas les gens qui visitent mes expositions alors il faut quand même aller coller des affiches ça a peut-être une portée faut pas négliger/le mieux c’est quand même un article dans le journal mais si on ne fait pas dans la culture officielle c’est bien difficile d’obtenir un déplacement de journaliste/l’équilibre ne vient décidément pas dans ces trois dernières toiles les rythmes et les analogies sont artificielles trop visibles il faudrait tout reprendre il faudrait s’étonner se surprendre et créer l’évidence/je n’ai plus de café non plus à la maison et plus de térébenthine à l’atelier/l’accord des couleurs y est mais ça ne fait pas tout il faut aller peindre et ne plus sortir de l’atelier avant que ça ne soit venu, sauf que/et si encore on considérait que l’enseignement fait partie intégrante du travail artistique comme  formation et remise en question permanentes et transmission d’une expérience et que l’on rassemble les revenus les comptabilités mais ça serait trop simple pourtant je peux le prouver tous les jours qu’en enseignant je peins et qu’en ventilant les chiffres je ne peins pas et nous sommes de milliers dans ce cas/quand j’écris je ne peins pas mais je ne respire pas non plus il faut bien respirer pour peindre sans doute il existe une sorte de peinture virtuelle qui nous fait travailler à distance élaborer loin de l’atelier mûrir un travail en cours sans y toucher mais enfin merde il faut y aller un jour mettre les mains dedans/dois réécrire un mail à la rédaction de l’autre journal attendent un article tout fait cela leur évitera un déplacement pourtant on ne fait pas une exposition pour qu’elle reste confidentielle quitte à prendre le risque autant risquer gros devant du monde/l’exposition de l’an prochain est sur les rails, mais les problèmes se reposeront ils se reposent déjà mais après ? dois reprendre le démarchage la vente de moi de mes recherches de ma respiration justifier défendre vanter/se faire écarter refuser insister décortiquer les tendances des lieux sentir la ligne des diffuseurs c’est un métier pas le mien je suis juste peintre artisan fabricant d’évènements imaginaires/le prix de l’indépendance me dit-on/livraison de bois demain matin pas oublier l’hiver approche/… 
Annonce sérieuse : Artiste encombré du quotidien et en quête de temps de travail cherche assistant(e) ou agent(e) (double, voire triple) pour s’occuper du reste, ou presque.  Etudierai toute proposition.

mardi 5 août 2014

Contre nature

 

Ils avancent, s’infiltrent partout. Je le voyais bien, mais je parvenais encore à trouver quelques endroits pour me réfugier assez loin, à l’abri de certains ciels que je croyais naïvement de moi seul connus. De plus en plus loin, mais ces lieux existaient. Ils sont maintenant sur mes pas, je les sens tout près, ils ont réussi à passer sur mon île, s’y sont installés, c’est arrivé plus vite que je ne l’imaginais…

Depuis toujours, je viens ici pour retrouver ou conforter ma place au milieu du monde,  pour le sentir, le contempler, m’y enfoncer, y être. C’est un de ces endroits épargnés, où l’on peut ne rien faire d’autre que de respirer là, un de ces endroits simples et sauvages, d’océan, d’air, de roches et de lande. Des sentiers cachés au  creux de l’île me conduisent à des  lieux vierges et préservés (parfois par décrets ou arrêtés), où il est toujours possible de trouver une pierre  chaude à l’abri des vents pour goûter pleinement une solitude contemplative, odorante ou sonore et sans doute proche de l’essentiel.  

Mais cette année ils sont venus là, se sont invités, selon leurs propres termes, en résidence d’abord  (pour “questionner” le paysage…), puis ont installé leurs idées subventionnées en pleine nature, si accueillante et épargnée jusqu'alors. Des panneaux de tôle d’un rouge plus puissant que les fanions des plages dangereuses sont coulés dans une semelle de béton pour annoncer qu’une œuvre est posée ici ou là, au milieu de mon paysage. Ces zones protégées de tout, des promoteurs, des véhicules, sont laissées aux mains de ces dévastateurs de tranquillité qui,  forts de leurs prérogatives d’artistes contemporains, ont le droit d’y “projeter leur art”.

Cette lande que je traverse souvent à l’heure de la basse mer pour gagner mes failles rocheuses secrètes et tenter d’y dénicher  quelques tourteaux, ou bien dont je pénètre en septembre les buissons hostiles à la recherche de mûres chaudes, sucrées et iodées, cette lande familière où percent giroflées des dunes, chardons bleus ou asphodèles, cette lande est envahie, outre la tache rouge métallique qui annonce violemment l’évènement, par des animaux de céramique grossière et kitsch. Ces bestioles, soi-disant inspirées par des histoires islaises, sont comme engluées dans une texture  blanche douteuse m’évoquant un coulis épais de colombine ou de guano. Voilà ce qui occupe aujourd’hui mes broussailles préférées, ce qui décore pour quelques mois le littoral non ædificandi, entre autres interventions qualifiées d’artistiques par je ne sais quel médiateur.

10 artistes, soutenus par la DRAC, qui n’en est pas à son premier mauvais coup, ont envahi des sites de l’île en déposant leur déjections (pardon, leur production) dans des lieux qui n’en demandaient pas tant, des sites paisibles qui n’avaient pas besoin, de mon point de vue, d’être investis ou interrogés ou revisités, etc. autrement que par les lumières, les coups de vents, les grains et les marées. D’autant que le public, en l’occurrence des gens qui viennent chercher des moments naturels, n’a rien demandé. Encore une fois, l’art contemporain nous impose ses “dispositifs”, il s’immisce, s’incruste, se place. Cela me rappelle furieusement ces calvaires que l’on trouve à tous les coins de campagne. Tout est bon, le musée, la rue, l’école, maintenant la nature. Attention : rien à voir avec le land art. Ici, personne ne joue avec le paysage,  tout est anecdotique. J’hésite à attribuer la palme à cette manche à air fixée en haut d’un mât planté au milieu des cabanes surplombant un petit mouillage, tapi dans un creux de la côte sauvage. Manche cousue dans un tissu d’un goût discutable et censée représenter un célèbre rocher de l’île qui serait devenu “léger” (j’arpente les lieux depuis quarante ans, ce rocher m’est familier et jamais, sans le discours accompagnant l’œuvre, je ne l’aurais reconnu). Ou bien à ce plongeur taillé grossièrement dans un tronc (pas de mouvement, pas de force), sur l’estran de la pointe Sud-Est et dont seul le dispositif et la dimension comptent, spectaculaires soit, mais rien d'autre. L’art doit-il être d’abord spectaculaire ? L’impact de ces œuvres, s’il existe, réside dans leur situation plus que dans leur réalisation, particulièrement médiocre, jusqu’aux photographies de cette artiste peu inspirée qui n’a rien trouvé de mieux que de s’intéresser  à l’île en tournant le dos à la mer, sûre d’être la première à regarder vers l’intérieur. Quand un photographe se met le doigt dans l’œil…

Passons sur les autres. J’en ai assez de ces paysages encombrés d’artistes contemporains. Ou plutôt de ces artistes contemporains qui encombrent les paysages. Tous les lieux institutionnels qu’ils monopolisent déjà à outrance ne leur suffisent donc pas ?  Et à entendre les réactions de quelques promeneurs rencontrés ici ou là, je ne suis pas le seul à regretter autant les installations imposées et envahissantes que la bien piètre qualité de leur exécution.

 
Et qu’on ne se méprenne pas : j’aurais écrit la même chose (sauf sur la qualité, bien sûr !)  si j’avais rencontré une statue de Rodin sur la lande ou une céramique de Picasso dans un de mes coins de pêche. Je veux seulement avoir le choix.  Bon, je le reconnais : j’aurais écrit la même chose,  mais je me serais empressé de profiter de l’isolement pour augmenter ma collection personnelle… Ici, bizarrement, personne n’a encore tenté d’emporter, malheureusement, les fameuses céramiques grumeleuses (pourtant fort transportables) issues des coliques de  notre artiste plasticien animalier !

La commune, prosélyte acoquinée à la DRAC pour ce mauvais coup, aurait mieux fait d’appliquer le principe de laïcité et de veiller à la neutralité des parties communes de son territoire. Hélas ! Profitant de la faiblesse et de l’ignorance des pouvoirs publics balnéaires,  les missionnaires de l’art contemporain, travaillant à la conversion des masses de touristes, ont encore de beaux jours devant eux.

vendredi 30 mai 2014

idées courtes #9



Être bien inspiré, ce n’est pas avoir l’idée, mais toujours un carnet sur soi pour éviter son envol.
 
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La vérité sort du trait des enfants.
 
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Peintre voyeur, voyant, voyou, voyageur? Voyons voir tout, partout, tout le temps.

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On peut mettre l’idée en cage, mais penser à laisser la porte ouverte.

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 La peinture est une surface s’inscrivant dans l’espace d’une pensée.

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Silence, ce sera notre dernier mot.

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De la reproductibilité de l’œuvre : pourquoi donc appeler faussaire celui qui se rapproche le plus du vrai ?

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Les dessous du tableau, ou l’intimité de la peinture.

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Le vent écrit sur l’horizon les arbres à l’italique. Un oiseau, allant dans son sens, trace l’accent aigu quand un autre, volant contre, se fait plus grave.

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Sans vision préalable de son travail terminé, il ne peut y avoir qu’errance. Pour certains, c’est le but.

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Les lignes du dessin  ? Des sentiments.                                     
L’esquisse ? Un pressentiment.

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D’un drame, certains s’en remettent (à la peinture).

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Chaque artiste a son biais, son travers, son sens, sa courbure, son ploiement, autant de faiblesses indispensables à son art. Il apprend chaque jour à se méfier de ceux qui filent droit avec la tête haute.

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Le papier à dessin est une forme de papier hygiénique.

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Une élève me confie ne plus sentir de progrès. Je crois qu’elle a tort : son niveau d’exigence augmente.

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Le rose n’est rien d’autre que du rouge ciel.

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Entrer son regard dans l’autre et y laisser une trace, c’est déjà le dessin.

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Il semble que l’époque veuille que l’on soit davantage en quête de spiritualité et moins d’intelligence.

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Contraster, c’est faire une économie de moyens.

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Sur un cartel, près de la toile : “propriété privée, prière d’entrer”.

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Pas d’art sans douleur, sans peur et sans reproches. Même pour peindre la joie.

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mercredi 14 mai 2014

Derrière la tête

 

Il m’a fallu du temps pour comprendre cette gêne ressentie à la sortie de l’exposition “Visages”, visitée récemment à la Vieille Charité de Marseille.

Si l’on ne peut rien reprocher aux œuvres elles-mêmes, d’une grande qualité (troublantes photos de Man Ray, visage effacé de Richter…),  je me suis demandé un moment si ce malaise ne venait pas du choix de certaines d’entre elles, dont le rapport avec la thématique peut sembler lointain. Je me suis cru parfois dans une de ces expositions très médiatisées au contenu finalement bien artificiel, aux confrontations, comparaisons ou arrangements tirés par les cheveux. Par exemple cette toile de Veličković, magnifique au demeurant, mais dont le rapprochement avec le sujet annoncé m’a paru assez nébuleux. Ou l’immense polyptique  de Desgrandchamps (qui pose la dérangeante question de l’adéquation entre la dimension du support et le sujet traité), dont je n’ai pas vu l’intérêt ici, et qui prend vraiment trop de place… Alors quoi ? Les chapitres, qui divisent l’exposition en plusieurs salles (visages de la société, de l’intimité, de l’esprit) ? À la réflexion, ils sont assez pertinents. Déception peut-être de ne pas trouver une exposition sur le portrait ? J’y attendais sans doute une collection plus représentative du visage dans l’histoire de l’art depuis le début du 20ème siècle jusqu’à nos jours et ai possiblement mal vécu de ne pas voir certains artistes y figurer (Modigliani, Freud, Matisse, bien sûr, et tellement d’autres : Garouste, Pignon Ernest, etc., qui pourtant ont profondément abordé le sujet), ce qui m’a laissé l’impression d’une installation assez distendue, hésitante, incomplète.

Non, tout cela peut encore passer. La gêne ne vient pas des œuvres, mais bien de leur accompagnement : en cause les cartels, très bavards, les plaquettes distribuées à l’entrée, tous les supports supposés aider le visiteur et qui, une fois encore, lui imposent une lecture des œuvres, lui assurant avec aplomb ce que l’artiste à voulu traduire, lui expliquant pourquoi tel cadrage, quels sentiments  se dégagent de telle ou telle image ou partie d’image, etc. La palme au commentaire sur l’inévitable bestiole géante contemporaine qui hante désormais chaque exposition ou presque, ailleurs lapin gonflable, ici peluche démesurée (“Spaghetti Man” de Paul Mac Carthy) qui, affirme-t-on, “jette un regard autrement critique sur la puritaine aseptisation du sexe, tabou de nos sociétés contemporaines”. Et si j’ai envie, moi aussi, de poser un regard “autrement critique” sur cette œuvre, et d’y voir une simple fumisterie ?

Pas assez de conditionnel dans les textes associés, pas assez de suppositions, de propositions, d’éclairages ouverts. Pas assez de silence, trop de discours, de dissertation. Il me faudra un  jour revenir sur cette maladie très contemporaine de “médiation” entre public et œuvres, qui trop souvent ressemble plus à un exposé autoritaire, voire à un dictat, qu’à une suscitation d’ouverture d’esprit.

Lieu oblige, les commissaires ont probablement ici, dans cet ancien hospice, voulu être charitables devant notre inconsistance culturelle et sensitive. Malheureusement, ils n’ont réussi qu’à alourdir le propos.

mardi 25 mars 2014

Non-lieux

 

nonlieudétail1Impossible et calme (détail) 

encre et huile sur papier de riz marouflé sur toile, 2014

Y a-t-il lieu de peindre des paysages du fond de soi, endroits de mémoire marqués au fer par en-dedans, fixés où toujours flotteront souvenirs, assez amers pour guider un peintre perdu (oui, je sais : pléonasme), errant parmi les formes dans le grain de la brume, aveuglé par les ombres ? Lieux vifs comme autant d’éclaircies, des lieux imaginés sans être imaginaires, volés de l’île, de la presqu’île, du fleuve ou du presque fleuve, ou d’ailleurs nulle part — l’atelier, par exemple —, vivants par l’espace qu’ils ouvrent dans la toile, mais non-lieux pour dire son monde et le laisser tomber là, là où le ciel se cogne aux roches, où l’écume frappe les lueurs, quand les couleurs se soumettent aux vents.

Des paysages sans suite pour espérer la fin des doutes.

Les non-lieux, inconnus pour chacun, reconnaissables par tous, qui lorsque je les peins me transportent dans les creux et pleins de mes existences, deviennent l’un comme l’autre l’épreuve unique d’une impression sur papier-mémoire, incertaine surface plissée du passage des rires et des silences infinis, vergée autant des airs purs et des souffles violents que de la monotonie paisible des jours — la vie, quoi —, filigranée imperceptiblement au sceau de la fortuité des arrachements  et des possibles.

Ce texte accompagnera ma prochaine exposition personnelle (Angers, septembre 2014), intitulée “Non-lieux”.

samedi 1 mars 2014

Faute de dessin


Agacé, affligé, mais pas étonné par la visite récente d’expositions locales.
En premier lieu :               
—Tu exposes quoi ?
—Un portrait à l’aquarelle.
—Ah ? Tu as fait poser qui ?
—Personne, je l’ai fait d’après une photo.
—Ah ! Ni portrait, ni aquarelle, alors. Une tête colorée, si tu veux…
Il y a dans nos provinces des artistes-enseignants qui, avec un bel aplomb, font croire à leur élèves qu’ils vont faire de l’art, bon à encadrer, sans qu’ils aient besoin de se colleter avec le dessin. Mais choisissez donc de belles photos, portrait, paysage, tenez ! ce joli marché marocain, si exotique, ce sera parfait, et apprenez à vous connaître en posant l’aquarelle.
Oui, mais sur quoi ? Elle tiendra comment, la couleur ? Sur ces  tracés sans esprit repris sur la photo ? Où est la structure, où est l’observation, où est l’espace, où est l’air ambiant ? Plus important, encore : où est l’idée, le mouvement de l’idée ? Oui, il y aura la couleur, la coulée de la couleur, les effets de la couleur, mouillée, diffuse, auréolée, giclée, frottée, transparente, pigmentée, mais tout cela ne tient sur rien, ne s’appuie sur rien, ne s’articule sur rien. La vie du sujet n’y est évidemment pas puisqu’elle qu’elle n’aura pas été côtoyée.
A qui la faute ?
A l’enseigné qui accepte de ne pas avoir été là, devant son sujet, avec lui, et qui évite ainsi soigneusement toutes les exigences du dessin : temps, geste,  mesure, plans, forme, espace, lumière,  profondeur, perspective, rythmes, correspondances, et j’en passe, mais surtout, surtout, ce fameux passage si délicat de trois à deux dimensions, tout cela pour pouvoir très vite, immédiatement, “faire de l’aquarelle” ?
Ou à l’enseignant qui, pour sa part, choisit d’esquiver les questions du dessin en proposant à ses élèves des photographies pour modèle, répondant ainsi à une demande croissante de loisirs sans effort ?
Est-ce si difficile de dire que le dessin est en dessous de tout ? Laissons planer l’ambigüité d’une telle affirmation.
Il s’agit bien, comme disait Bonnard parlant du travail d’après nature, “qu’on sente que le peintre était là, voyait consciemment les objets dans leur lumière déjà conçue dès le début”.
Est-ce si difficile de faire poser quelqu'un devant ses élèves pour expliquer réellement le portrait ? (Je renvoie à ce sujet le lecteur à un article plus ancien, ici*, dans lequel je détaille, en particulier dans l’avant-dernier paragraphe, mon point de vue sur le portrait d’après photographie.)
Et s’il s’agit de se connaître soi-même en pratiquant ces facilités, alors se révèlent déjà paresse,  laxisme et fuite devant l’effort.

Autres lieux, même mœurs :
Nos provinces regorgent de salons fourre-tout, où le pire côtoie souvent l’encore pire, essentiellement pour cette raison : l’ignorance du dessin, non pas tant pour sa qualité formelle que pour son rôle de soutien structurel de l’image. On dirait que seule la surface compte, et qu’il est beaucoup plus important de montrer l’image au public que de la travailler en amont. Les moins figuratifs ne sont pas en reste, les titres boursouflés mystico-philosophico-poétiques ne parvenant pas à masquer la trop fréquente faiblesse (mollesse?) de l’architecture.
La sculpture n’est pas épargnée, en ces temps étranges où l’on semble préférer la figurine à la figure, l’anecdote à l’évènement, l’amusant, le léger et le ludique à l’expression et à la profondeur. Il est certain qu’alors le dessin n’est pas particulièrement utile.
Et quand dans ces fatras on remarque une pièce cohérente et solide, on crie au génie, alors que c’est seulement normal.
Je l’aime, ce dessin, je l’ai dit longuement dans cet autre article ** et suis touché, blessé quand on le méprise ou le néglige. Je l’aime, ce dessin, parce qu’il reste l’un de ces refuges où, le pratiquant, on peut goûter la qualité et la durée du temps, tout en restant attentif à l’entour, parce qu’il ouvre à la connaissance par l’observation. Il dépasse donc, et de loin,  la simple technique (celle qui fait peur, et qu’on préfère ignorer) pour nous emmener sur les voies infinies de sa propre découverte du monde, et pour le coup, de soi. Comment peut-on s’en priver ?

*http://laurent-noel.blogspot.fr/2010/03/dis-monsieur-cest-quoi-un-portrait.html
**http://laurent-noel.blogspot.fr/2011/04/avant-tout-le-dessin.html

lundi 20 janvier 2014

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Une belle exposition arrive à Paris prochainement, après une installation à la Piscine de Roubaix. Une exposition confidentielle qui n’est malheureusement pas annoncée dans les grandes sélections de la presse pour cette année. Il s’agit  de Wemaëre & Jorn, ou le parcours d’art et d’amitié de deux artistes à travers leurs œuvres individuelles et communes. L’un du Nord, l’autre du Danemark. Renonçant, au vu du catalogue, à visiter l’exposition sur l’âge d’or de la peinture danoise au XIXè,  plutôt étroite et repliée dans ses frontières, j’ai préféré flâner au même endroit (la Piscine, donc), mais dans le déambulatoire des cabines autour du grand bassin.  A ce propos,  l’allée de sculptures assez piètres qui compose ce bassin ne m’a pas empêché d’apprécier grandement la qualité de ce moment et de cet endroit, baignés ensemble de la lumière colorée des verrières en demi-cercle.
C’est donc là que se tient l’exposition Wemaëre & Jorn, et c’est là que les questions ont commencé… Car immédiatement, essentiellement à propos de Wemaëre, on pense à des artistes plus renommés : Ernst, Miró, Klee, mais aussi Tanguy, Kandinsky, et d’autres. A tel point que l’on pourrait parfois y voir des œuvres inconnues des artistes cités, s’il n’était la signature.  Œuvres de jeunesse, initiatiques, dont on ne sait si elles sont véritable vol ou hommage respectueux. Toute la question de l’influence est posée là. Et de celle-ci en découlent d’autres : les artistes copiés, inspirateurs, comme on voudra, s’ils ont eu vent de ces images, comment vivent-ils (ont-ils vécu) le fait de se voir ainsi suivis ? Indignation, colère, ou au contraire orgueil, fierté ? Un mélange de tout ça ? Et eux-mêmes, ces guides artistiques, d’où, plus exactement : de qui viennent-ils ? Et  l’auteur de ces peintures suivistes, comment pense-t-il que cela sera pris par le public ?  Ne risque-t-il pas un reproche ? A-t-il seulement conscience de ce qu’il fait ? Etrangement, ces interrogations (qui ne datent pas d’hier) reviennent au moment même où l’on me signale qu’il existerait quelques suiveurs de mon travail…

(Là, je marche sur des œufs en écrivant ces lignes. Car j’entends d’ici les “mais pour qui se prend-il à penser qu’on le copie ?” et les “il ne manque pas d’air  de se comparer à Miró et compagnie !” Loin de moi tout ça. Je prends note et observe simplement ce qu’on m’a rapporté. Cela se passe à l’échelle de ma petite province, mais il n’empêche. De toutes manières, pas de peinture sans prétention, et de plus, ce constat a le mérite de me renvoyer à mes propres origines…)

Sujet, forme, geste, technique,  procédé de composition, chromatisme, matières, codes, signes, il y a tellement de manières de suivre les autres !  Question sensible, car il est évident que chaque artiste se construit au long de sa vie d’une somme d’influences, conscientes ou non. C’est lorsque l’image a pris forme qu’il faut évaluer la netteté de cette influence, ou sa dilution dans sa propre personnalité.

Revenons à Wemaëre : ses influences sont visibles, mais connues et assumées. Celle de Léger, dont il a été l’élève, celle de Klee dont il suivra plus tard les pas en Tunisie, celle de Miró et Kandinsky, pour lesquels il a montré son admiration.  Progressivement, d’année en année, il digère tout cela et va explorer son propre chemin, nourri et adulte. Le parcours proposé dans l’exposition le montre bien. Il montre aussi, mais certainement pas intentionnellement, ce que j’ai pris pour un retournement de situation, le suiveur un jour devenant suivi : un papier sans titre de 1938 (gouache et encre) m’a furieusement évoqué la peinture de Fred Deux : des papiers tachés de couleurs sur lesquels courent en toute indépendance les fils serrés d’un dessin à l’encre. Fred Deux a-t-il connu ces travaux de Wamaëre ? En tous cas, on pourrait imaginer qu’il soit parti de ces œuvres pour s’ouvrir une voie personnelle, inlassablement creusée depuis. Mais peut-être s’agit-il aussi d’une coïncidence, des esprits très éloignés géographiquement ou  temporellement pouvant avoir des idées similaires sans jamais être entrés en contact. Et surtout, n’est-ce pas le spectateur (moi, en l’occurrence, mais qui y échappe ?) qui chercherait à tout prix une re-connaissance, à retrouver ici ou là ce qu’il connaît déjà pour se rassurer quelque peu en s’appuyant sur ses références personnelles ?

Affaire de conscience, finalement. A chacun de savoir si le suivisme dont il fait preuve est honnête ou non, assumé ou non, s’il est de l’ordre de la singerie, de la faiblesse créative, de l’hommage ou de l’apprentissage.