lundi 21 décembre 2009

Peintre de cour


Il n’était plus un artiste dans la région qui n’avait rencontré ou visité le vieil homme et son atelier, qui n’avait pas supposément travaillé avec lui, ou collaboré à une de ses expositions ou un de ses projets, ou qui ne l’avait pas accueilli à son vernissage. Par voie de conséquence, il n’était plus un artiste dans la région qui ne tenait pas à faire savoir à un large entourage qu’un peintre de renom international s’intéressait à lui. Le vieil homme, pour sa part, distribuait habilement les recommandations ou les attentions aux jeunes artistes, se faisait une place de maître, de patriarche et de référence, sachant parfaitement entretenir et développer sa réputation.
Il goûtait apparemment cette situation. Il gardait en permanence, sous son propos affable et séducteur, une sorte d’arrière-pensée à la fois entendue et détachée sur tous ces flagorneurs. Mais il les laissait venir, faire et dire : il aimait finalement les courbettes et les gesticulations de ces courtisans empressés. Chaque visiteur repartait satisfait de chez le vieux peintre, avec une anecdote ou un bon mot à répandre. Ainsi, il s’agissait d’un troc mondain dont l’enjeu était la notoriété : l’un nourrissait une renommée déjà établie en facilitant les abords de son personnage, l’autre pensait établir la sienne en se flattant ouvertement d’avoir été aussi intime avec ce grand artiste, ne fut-ce qu’un quart d’heure.

dimanche 13 décembre 2009

Tiroirs, cases et étiquettes


En quête perpétuelle de repères, le regardeur des œuvres d’art a besoin non seulement d’y reconnaître des formes familières, mais aussi d’effectuer un classement par lequel chaque artiste devra trouver une place confortable, dûment répertorié dans les tiroirs de la pensée.
Sans étiquetage possible, pas de reconnaissance, et sans étiquette, pas de reconnaissance possible.
D’où le lieu commun déjà évoqué dans un précédent article : « ah, vous êtes peintre ? Et vous faites quoi comme peinture ? »

Bien entendu, à chacun ses cases personnelles, organisées à sa convenance par disciplines (les graveurs, les peintres, les sculpteurs, les plasticiens, etc.), puis à l’intérieur de chaque discipline, par techniques, et/ou par styles.

Côté technique, on a vu naître dans la peinture, il n’y a pas si longtemps, des tiroirs très spécifiques : les aquarellistes et les pastellistes. Voilà qui ne manque pas de m’interroger. Sauf allergie particulière constatée par son médecin traitant, cette spécialisation technique me paraît suspecte. Les peintres ne sont–ils pas seulement peintres, en utilisant indifféremment toutes les techniques ? Ils devraient, tels que je les imagine, savoir faire flèche de tout bois.

Apartés :
S’il y a des aquarellistes, alors que suis-je ? Un encreur ? Doublé d’un huileux émulsionné ?

S’ils ne sont qu’aquarellistes, alors ils ne se mouillent pas.

Les pastellistes, à force de fixatif, ne bougent plus.


Ne confondrait-on pas métier d’art et art tout court ? Le regardeur, plutôt que d’admirer la magnifique technique de tel(le) ou tel(le), ne devrait-il pas se demander si l’œuvre qu’il a sous les yeux est une véritable œuvre d’art, profonde, personnelle, sensée ? Il existe aujourd’hui des groupes, quasiment communautaires, avec leurs expositions, mises à l’honneurs, cooptations et récompenses distribuées en vase clos, relayées dans leurs propres publications (ça y est, il existe depuis peu un magazine de l’aquarelle…).
Je m’attends à une prochaine exposition du « club-des-aquarellistes-qui-travaillent-l’abstrait-dans-le-mouillé » Je crois que j’irai la visiter, cela me permettra un énervement supplémentaire.

Plus sérieusement, je me demande si ces spécialisations ne cachent pas un important défaut d’idées. On noie le non-sujet dans une sauce technique. On cache le non-sens derrière une apparente virtuosité. On masque enfin les lacunes graphiques (le dessin est aussi mal en point que l’orthographe) dans une lourde poussière colorée ou dans des effets de matières vendus prêts à l’emploi dans tous les rayons consacrés aux loisirs créatifs (tous ces médiums d’effet !), ou encore dans des inondations de jus d’aquarelle fusant n’importe comment dans la fibre des papiers absorbants détrempés (il suffit alors d’annoncer que le résultat n’est pas aléatoire, mais « sensible »). Et pourquoi tout ça ? Pour faire l’artiste, sans doute.
Je préfère mille fois une œuvre maladroite et chargée d’émotion, de mise en danger, d’équilibre instable et de sincérité, à un travail techniquement irréprochable, mais sans véritable sujet ou implication, dans laquelle la seule expression serait celle du papier ou du médium employé.
La société des pastellistes (de France, s’il vous plaît) quant à elle, commet des expositions un peu partout, transportant son académie poussiéreuse (colorée, mais poussiéreuse) de région en région. On y a la curieuse impression que presque tous les artistes y font la même chose… un peu comme se ressemblent beaucoup d’aquarellistes de « l’école du mouillé »…
À force de technique, on empêche le style.

Style qui, lui aussi, permet bien des classements (par ailleurs souvent utilisés à contresens ou inopportunément):
Figuratif ou abstrait ?
Académique, classique ou moderne ?
Plus spécialisé : brut, naïf, expressionniste ou néo-réaliste ?
Autrement spécialisé : symboliste, surréaliste, fractal ou cinétique ? Etc.

A ce sujet, un critique d’art a mis au point une édifiante «approche de classification pour une taxinomie visuelle générale de la création artistique (sic)». Mise à part la discutable commercialisation de ce travail — destiné selon l’auteur à ce que les artistes, moyennant finances, soient présents et visibles sur l'Internet, mais aux retombées annoncées parfaitement invérifiables — il faut reconnaître la valeur de cette entreprise, qui a le mérite d’énumérer un certain nombre de critères et de références importants dans la lecture et dans l’appréciation d’une œuvre.

Dernièrement, un nouveau tiroir a été remis en service, en tendance, pourrait-on dire : les «artistes singuliers». Dubuffet lui-même avait conscience du pléonasme. L’artiste digne de ce nom n’est-il pas par nature singulier ? Or, cette classification désigne aujourd’hui un genre assez bien défini, descendant plus ou moins directement de l’art brut.
Les singuliers ne le sont donc plus.

En matière de classification, le fin du fin serait bien d’être répertorié, et cela est un joli paradoxe, parmi les inclassables. Non pas à cause de l’hétérogénéité d’un travail, qui au contraire multiplierait les références, mais bien par son unité originale, profonde, qui ne correspondrait pas aux étiquettes existantes.


vendredi 4 décembre 2009

Idées cadeaux

Le monde de l’art n’est pas épargné par la folie consumériste et le terrorisme marchand de chaque fin d’année. On m’a rapporté récemment que dans les supermarchés des loisirs créatifs, on trouve des tas de promotions pour devenir un artiste à pas cher… On propose par exemple, pour un plus joyeux noël (pas de majuscule, c’est normal) de beaux coffrets vernis remplis de couleurs, pinceaux, médiums, que le chaland novice ou perméable trouvera avantageux, puisqu’on y trouve des tubes gratuits, et du matériel « prêt à peindre ». Il suffit pourtant de faire un petit état des teintes proposées pour s’apercevoir de la beauté du geste… commercial !
On est en effet bien loin d’y trouver ce qu’un amateur en la matière serait en droit d’attendre : une palette fondamentale. Les fabricants profiteraient-ils d'un moment de faiblesse du consommateur pour écouler des couleurs inutiles qu'ils n'arrivent pas à vendre ? Il y a bien dans ces boîtes quelques rouges, bleus et jaunes, mais pas primaires pour un sou. En revanche, des roses-peau-de-bébé, des rouges joli-coquelicot-mesdames, et peut-être bien un bleu-enfant-de-Marie, ce qui semble (ma foi) être de saison. Des couleurs qui ne dépassent jamais le seuil de la 2ème série, donc pas de noble cadmium ou de respectable cobalt véritable. Il deviendra donc vite indispensable, à qui souhaitera se perdre dans le monde mystérieux de la couleur, de compléter la belle boîte (nous voilà vernis…) de façon plus cohérente, ce qui au bout du compte, reviendra sans doute plus cher que d’élaborer soi-même sa propre palette.
En cette période de fêtes imposées, auxquelles on ne coupera pas (même si tout le monde meure, ou s’écroule, ou tombe malade autour de soi), les réunions familiales seront inévitables (même si l’on n’a pas faim, ou si l’on aimerait un peu de calme, ou si on préfèrerait voir la famille une autre fois) et c’est le moment de faire des cadeaux. Obligatoire. Plein de cadeaux. C’est donc bien la saison des coffrets vernis (les coffrets du dimanche et des jours de fêtes, qu’il faut cirer dans les grandes occasions), mais aussi la saison des « salons du petit format ».
Œuvres pas chères, faciles à caser, et peuvent faire plaisir. On en trouve dans presque chaque département entre fin novembre et mi-décembre. On a bien sûr le nôtre dans la région, qui n’est pas le pire, loin de là.

Mais si vous voulez faire un vrai cadeau de (Laurent) Noël, vous pouvez passer quand vous voulez à l’atelier, je fais aussi des petits formats ; je peux, si c'est pour une fête ou un dimanche, les vernir à la demande, et on peut même envisager un geste commercial. Avantage, cette promotion dure toute l'année.


mercredi 25 novembre 2009

l'art du lieu commun

Une liste non exhaustive de lieux communs qui, à chaque fois qu'ils sont proférés, même s'ils ne me concernent pas directement, m’irritent, ou pire : m’énervent.
Ou bien ils me désolent, ou pire : me désespèrent…
Dans les cas extrêmes, les bras m’en tombent, ce qui, évidemment, m’empêche de peindre durant quelque temps.



*

— J’aime beaucoup ce que vous faites.
(Celui-là est tout de même particulièrement commun, et daté.
Mais d'avoir la vie dure, c'est bien le propre des lieux communs.)

*

— C’est intéressant.

*

— Tu vas au vernissage, ce soir ?

*

— C’est moderne !

*

— On aime ou on n’aime pas

*

— C’est contemporain !

*

— Tu aimes ?
— Je ne sais pas, je n’y connais rien…

*

— Ah ? Vous êtes peintre ? Moi, mon neveu fait de la peinture aussi, ça ressemble à ce que vous faites, d’ailleurs.
(neveu peut être remplacé par fille, fils, oncle, mari, amie, nièce, fils d’une amie, caniche, etc.)

Variante :
— Ah ? Vous êtes peintre ? Vous avez fait les Beaux-Arts ?


Variante
— Ah ? Vous êtes peintre ! Et ça marche ? Vous vendez bien ?


Variante
— Ah ? Vous êtes peintre ! Qu’est-ce que vous faites comme peinture ?


Variante
— Ah ? Vous êtes peintre...(Rêveuse). J’ai connu un peintre, autrefois, je ne sais pas ce qu’il est devenu…

Variante
— Ah ! Vous êtes peintre ! Vous avez de la chance... Il faut un don, vous ne trouvez pas ?

*

— Et vos enfants, ils font de la peinture ?


Variante :
— Et votre femme, elle peint, elle aussi ?

*

— Vous faites de la peinture... Ah ! moi, j’aime bien la peinture.

*

— Regardez, c’est joli, on dirait une photo.

*

— Je suis assez attiré(e) par l’abstrait.

*

— Cette exposition m’a beaucoup plu. Il y avait de très beaux cadres.

*

— Je n'aime pas, ça ne ressemble à rien.

*

— Tiens, regarde cette toile, on dirait...

*

— Si je faisais de la peinture, je crois que je ferais de l’abstrait.

*

— Cette œuvre est ré-so-lu-ment contemporaine. (Bien détacher les syllabes de résolument)

*

— C’est très intéressant.

*

— Elle t'a plu, cette exposition ?
— Ah, oui ! Quelle belle salle !

*

— Je ne mettrais pas ça chez moi.

*

— Je peux avoir un autre verre ?




Au fond, chaque banalité endommage un peu plus le silence précieux de la peinture.

mercredi 18 novembre 2009

on mélange (décidément ) tout

On (le Conseil Général) expose en ce moment le peintre Lawand à la collégiale Saint-Martin, à Angers : gros moyens, grosse promotion, affichage copieux, presse… empressée, évènements autour de l’exposition. On en attend beaucoup.

Mais pourquoi donc exposer dans ce lieu encombré de toutes ces figures pieuses qui vous regardent de haut ?!
Toutes ces saints, ces évêques, ces vierges, ces christs (pas de majuscules, c’est normal), envahissent en permanence le champ de vision, et empêchent de ressentir, de regarder même, la peinture. Impossible d’y échapper, quelle que soit la direction du regard. J’ai fait un effort, j’ai tenté de me concentrer sur la peinture, et d’éviter le religieux… j’ai cru reconnaître une vraie touche, une expression véritable, une palette, un souffle, et aussi parfois, peut-être, un certain opportunisme dans les quelques signes (de croix) qui parsèment ostensiblement certaines toiles, à la manière d’un Tapiès. Mon mauvais esprit y a vu aussitôt comme une justification de la présence du peintre dans ce lieu, ou peut-être sa manière de remercier l’organisateur d’avoir mis de tels moyens (scénographie, éclairage, suspensions, publications) à son service, puisqu’il est annoncé clairement que l’artiste a travaillé pour ce lieu.
Tel qu’il est, l’endroit n’est pas un lieu d’exposition pour un peintre, sauf si l’on met au placard tout ce fatras patrimonial pesant, et qu’on offre véritablement l’espace (magnifique) à la peinture. Si l’artiste est bien servi par la promotion, sa peinture est desservie, elle, par cette statuaire dévote encombrante.

J’irai revoir et apprécier la peinture de Lawand quand il exposera dans un lieu dédié… à la peinture, pas aux bondieuseries.


lundi 9 novembre 2009

Atelier théâtre

Ne rêvons pas, on ne surprendra jamais un artiste et son lieu dans la vérité du moment de travail, dans son désordre, son chaos personnel et quotidien, à moins d'une visite parfaitement inopinée. Lorsque les visites d’atelier sont programmées, annoncées, planifiées, promotionnées, on sait alors (mais se l’avoue-t-on ?) que les ateliers ont été arrangés pour cela. On verra bien le lieu et l’artiste, mais l’un et l’autre, pour recevoir, se seront toilettés, apprêtés, maquillés, habillés, endimanchés. Il manquera alors ce qui fait le véritable travail autour de l’œuvre.
Il faudrait, pour comprendre l’atelier, arriver par surprise, entrer sans frapper, être un visiteur sans-gêne, rompre brutalement la solitude du travail, déranger. Mais quel artiste accepterait cela ?

J’ai reçu dans mon atelier bien des fois, lors de journées organisées, ou pour des « rendez-vous d’affaires ». C’est un exercice bien particulier, très intéressant pour l’artiste, et je n’en doute pas, pour le visiteur, un véritable moment d’échange, le lieu favorisant les questionnements, aiguisant les curiosités. C’est un exercice que je pratique et pratiquerai encore à l’occasion, dans un mélange de plaisir et d'embarras.
On prépare le lieu, on se prépare, pour donner l’illusion au visiteur qu’il saisira un moment privilégié. On laisse traîner quelques œuvres en cours, quelques outils de travail, mais on prend bien soin de cacher les brouillons innommables, les échecs douloureux. On laisse à voir seulement ce qui peut se voir, on ne manque pas au passage de montrer quelques œuvres finies. L’atelier change alors de destination. Il est bel et bien devenu un lieu d’exposition. On se comporte d’ailleurs exactement comme lorsque l’on installe une exposition, on pense à l’autre, à son futur regard, on essaie de flatter ce regard. On tente aussi de créer la rumeur, la légende, de laisser des souvenirs frappants par quelques savantes installations, par quelques astuces spectaculaires qui illustreraient l’acte de création, et qui marqueraient la différence, l’originalité.
C’est bien comme du théâtre, la réalisation d’un décor, un arrangement, un artifice. Et quand le visiteur est là, l’artiste joue son rôle d'artiste, du mieux qu'il peut.

Visiter les ateliers d’artistes, comme cela se pratique de plus en plus souvent, ne manque pas d’intérêt. On peut, à cette occasion, faire de vraies rencontres avec des œuvres et, en plus de croire pénétrer dans les secrets des créateurs, on peut aussi en profiter pour apprécier et comparer les aptitudes de chacun en sa qualité de metteur en scène.

Quand la journée de visite s’achève, que tous les «intrus invités» sont partis, et qu’on revient sans son atelier, comme on le fait chaque jour, plusieurs fois, on retrouve le lieu comme violé, forcé, dérangé, on découvre partout et des jours durant les traces du passage des autres, et on le vit mal. Mais on l’a bien cherché.


dimanche 1 novembre 2009

Cena, Dagen et le Vélosolex

Je me souviens qu’au lycée, lors des devoirs de dissertation, je me livrais avec quelques amis cancres à un jeu d’écriture qui consistait à introduire le plus souvent possible un mot n’ayant strictement rien à voir avec le sujet imposé. Par exemple : "Vélosolex", dans une analyse d’un texte de Ronsard… Nos exercices de style étaient évidemment sanctionnés sévèrement par nos professeurs, mais que de fous rires à relire nos devoirs !
Je crois qu’Olivier Cena, critique (chroniqueur) à Télérama, joue aussi à ce jeu, même si c’est sans doute plus sérieux et si lui ne risque rien : manifestement, il essaie de placer les noms de «Rebeyrolle» et de «Leroy» aussi souvent que possible, quel que soit le thème de son article. Cela dure depuis plusieurs années, et bien des lecteurs doivent s’amuser à compter les points.
La semaine dernière, dans sa chronique sur l’actuelle rétrospective Soulages, à Beaubourg, il a réussi à placer les deux. Cette semaine, petite forme, c’est seulement Leroy qui apparaît. Ce sont au demeurant d’excellents peintres, des artistes très importants, que beaucoup, dont je fais partie, regrettent de ne pas voir mieux considérés par le monde de l’art officiel. Cena ne s’en remet pas, c’est sûr, mais cette injustice ne concerne pas que ces deux peintres, loin de là, alors pourquoi ne prend-il pas une position plus marquée en faveur de bon nombre d’artistes dissidents, qui manquent singulièrement de tribunes ? Je reconnais ses tentatives d’objectivité, au milieu des propositions artistiques actuelles, mais à mes yeux de lecteur, elles sont souvent équivoques, voire contradictoires.

A propos de Soulages, Cena a réussi à m’énerver (comme presque toutes les semaines, finalement) : il a trouvé l’exposition trop pédagogique ! Un comble. Cet évènement est un moment rare où un artiste peut superviser lui-même son accrochage, qui devient ainsi une œuvre à part entière. Une sorte de mise en abîme de la composition et de la recherche. Un artiste qui, simplement parce qu’il est encore là, anticipe le regard de l’autre, de celui qui regardera, pour l’aider, mais sans forcer. Il fallait juste s’arrêter pour observer les visiteurs qui entraient, allaient d’une toile à l’autre, revenaient, comparaient dates, formats, séries, et pénétraient lentement dans une peinture plutôt difficile d’accès. Comment peut-on, alors que tout le monde se plaint de la perte des repères (en art aussi), regretter qu’une exposition soit pédagogique ?
Cena a aussi un problème avec le décoratif. Ce mot fait partie de ceux qu’il insère (péjorativement) régulièrement dans ses papiers. Il y a du subliminal dans tout ça. C’est peut-être ce qui fait la nuance entre critique et chronique ?

J’ai pour ma part tendance à mettre souvent dans le même sac Olivier Cena et Philippe Dagen (le Monde), tous deux ayant apparemment (c’est en tous cas mon impression de lecteur de leurs articles) la même difficulté à prendre une position claire dans les débats autour de l’art. Pour Dagen, je comprends mieux quand je découvre qu’il fait partie des membres qualifiés à qui l’Etat a confié panier et porte monnaie (400 000 €, tout de même !) pour aller faire le marché à la dernière FIAC, et rapporter sur leurs Vélosolex des œuvres de créateurs émergents qui alimenteront les collections publiques. (Pour Cena, je comprends moins, me demandant ce qui le retient encore).
Un petit tour sur le site du CNAP(1), qui détaille la liste des artistes choisis à la FIAC, donne une excellente idée de l’esprit des décideurs. On dirait qu'eux aussi jouent à une variante de notre petit jeu : réussir à placer coûte que coûte une ou deux peintures dans les achats, sans doute pour faire taire les chagrins qui se plaignent de la mauvaise place (quand il y en a une) attribuée à ce genre dans l’art contemporain. Mais surtout, ils semblent veiller (serait-ce dans les règles du jeu ?) à ce que cette peinture ne paraisse pas moins superficielle et vide que la plupart des œuvres choisies dans les autres disciplines. Et qui compte les points ?


1 Centre National des Arts Plastiques

vendredi 23 octobre 2009

les envahisseurs

Voici ce qu’on trouve ces jours-ci sur le blog de la Bibliothèque Universitaire d’Angers (c’est décidément une vraie mine d’énervements !) à l’adresse des étudiants :

« Pour que l’art contemporain reste vivant, il faut bien sûr qu’il envahisse notre quotidien (et donc votre ville et votre BU) et qu’il s’installe dans les nouveaux médias »

Au moins, cela a le mérite d’être clair.

Ce qui me réjouit, c’est que notre amie bloggeuse et responsable des expo de la BU, indiscutablement très en forme en ce moment, semble un peu inquiète de l’avenir de l’AC(1). Sentirait-elle le vent tourner ? Que tout cela n’est plus très crédible ?
Ce qui me désespère, c’est cet aplomb, cette candeur avec lesquels elle affirme que l’AC doit occuper tous les terrains, ce qu’il est bel et bien en train de faire, avançant comme une gangrène. Chaque musée local ou national ouvre ses espaces à des interventions ou installations d’artistes labellisés contemporains. Je fais un tour l’an dernier au British Museum de Londres, on m’y impose les impostures de Damien Hirst et d’autres du même tonneau. Je vais un jour au musée des Beaux Arts d’Angers pour visiter les collections permanentes, on m’y impose la revisite des œuvres par une artiste fraîchement sortie des Beaux-Arts (tiens ?...). Et tout à l’avenant. La manifestation Estuaire (Disneyland sur Loire…) imposait cet été (et ça continue) des énormes bidules aux promeneurs des bords de Loire, qui pour certains, n’en demandaient pas tant.
Etonnant comment tout cela ne va que dans un sens : a-t-on vu des œuvres « historiques » invitées au milieu des foires, salons, fonds et collections d’art contemporain ?

L’art contemporain cherche à envahir le quotidien, finalement, comme le fait la publicité, comme le font le foot et tous ces sports qui occupent les dimanches et les autres jours, comme la soupe musicale déversée au kilomètre dans tous les lieux publics (même les zoos !), comme le font les fabricants des sonneries de tous les appareils de ce monde de sonnés. Finalement, l’AC cadre parfaitement avec cet univers superficiel et consumériste.
Il y a là une volonté affichée de bourrer les crânes, d’imposer un art unique. A tous ces gens de l’AC, il leur faut des lapins et des homards géants, des installations démesurées, incroyablement coûteuses (voir les articles concernant Koons ou Veilhan à Versailles, qui parlent plus de chiffres que d’art…), des trucs en plastique aux couleurs acidulées, qui bougent, qui font du bruit, qui agressent et qui provoquent (qui sont en réalité tellement communs et déjà vus qu’ils ne provoquent même plus) et qu’on oublie aussitôt. Il leur faut du m’as-tu vu, du bling, du bling et du rebling. On installe toutes ces choses dans les villes, dans les campagnes, dans les écoles, les lycées (les professeurs d’arts plastiques vont souvent se servir dans les FRAC(2) pour monter des expositions dans les établissements), et maintenant dans les universités. Est-ce ainsi qu’on affûtera la curiosité, l’ouverture et l’esprit critique de nos enfants ? On veut les formater et les abrutir dès le plus jeune âge, et c’est bien cela qui m’inquiète.

Non, on ne force pas l’art, on ne l’impose pas. Il doit être vivant, c’est entendu, mais discret, simplement à disposition. Et pour le rencontrer, il faut faire quelques efforts.


(1) Art contemporain
(2) Fonds régionaux d’art contemporain

jeudi 22 octobre 2009

Cimaises et socles, le retour

Ne surtout pas se fier à l’affiche de « Triptyque », ensemble de 3 expositions sous titré « art contemporain Angers ». Affiche qui cadre parfaitement avec les codes du genre annoncé, couleurs acidulées pour une sorte d’installation sans aspérités, qui ressemble à un pot de peinture (ou de dentifrice ?) gonflable, renversé et perdant son contenu, peut-être gonflable aussi.. (Y voir un symbole ?) On s’attend à une exposition convenue, de ce qui se fait maintenant si communément dans ce domaine. Non, ne pas se fier à l’affiche, au moins en ce qui concerne la présentation de l’Hôtel de Ville.
J’ai eu l’heureuse surprise d’y trouver une présentation équilibrée de ce qui se crée réellement aujourd’hui, c’est à dire touchant à toutes les disciplines. Ainsi, on y trouve de la peinture, peinte sur des toiles, et pire encore, accrochée au mur ! C’est le retour des cimaises ! Des sculptures aussi, (avec des socles !) des œuvres en volumes, des installations, des photographies, des techniques murales, des vidéos. Donc, de quoi satisfaire chacun d’entre nous, mais aussi de quoi éveiller notre curiosité devant des propositions vers lesquelles nous n’irions pas d’emblée, que nous aurions, par ce que nous sommes individuellement, plus de mal à accepter et explorer. Ainsi, les fondus d’installations verront qu’il existe encore des peintres, et les amateurs de disciplines aussi archaïques que la peinture ou la sculpture verront que la photographie ou la vidéo ne sont pas moins créatives.
Et pour revenir à la peinture, y sont montrés plusieurs approches, qui vont de la peinture cinétique (Carlos Cruz Diez) à la celle teintée d’urbanité (Cherif et Geza) en passant par une peinture profondément contemplative (Abdallah Benanteur). On y rencontre autant de variétés d’approches pour les autres disciplines, photographie ou sculpture par exemple.

Voilà donc une exposition qui s’affiche art contemporain, et qui n’est pas tendancieuse. (A voir jusqu’au 22 novembre). Il me semblait important de le souligner. Je préfère passer en revanche sur les deux autres volets du triptyque, (Levêque et les collections publiques, et la déclinaison thématique douteuse autour de Che Guevara) pour le coup marqués AC jusqu’à la caricature.

Enfin, en ce moment, à Angers, le conseil général met en avant un peintre, Lawand. Les cimaises sont bien de retour, n’en déplaise aux fossoyeurs de la peinture.

dimanche 18 octobre 2009

On mélange tout

On propose souvent aux artistes de s’associer à certaines manifestations ou évènements. Le mélange est tantôt surprenant, enrichissant, énervant, improbable ou décevant…
Après quelques expériences, voici mes prochains choix ou non choix d’expositions (liste non exhaustive, à compléter au fur et à mesure)

Livre & peinture : oui
Peinture & livre : oui
Peinture & vin : non, ça me saoûle
Peinture et restauration : non, trop indigeste
Peinture & médecine : ne sais pas, plutôt oui, avec une préférence pour l'hôpital.
Peinture & fleurs : non
Peinture & fruits : pas plus
Peinture & fête populaire
Des moules : non
Des châtaignes : non
Des escargots : trois fois non
(liste non exhaustive, on complètera selon les régions)
Foire à la peinture : non
Peinture & artisanat : non
Peinture & fausse peinture : non
Peinture & association humanitaire : j'hésite toujours, on demande tellement aux artistes...
Peinture & banque : ne sais pas, comme la médecine, je crois que ça me coûterait
Peinture & automobile : en suspens, ne crois pas. Repensé en recopiant, et décidé : c’est non
Peinture et église : surtout pas, encore moins si curés, évêques et compagnie donnent leur avis. Si désacralisée, et appartenant définitivement au domaine public, pourquoi pas.
Peinture & meubles : à voir, faut voir… si oui, les accusations de «décoratif» vont pleuvoir !
Peinture dehors : non, papiers marouflés pas heureux
Peinture & peinture : quelquefois, ça dépend de la peinture
Peinture & sculpture : voir ci-dessus
Peinture & installations, performances, vidéo, nouvelles expressions : bien sûr, si pied d'égalité. Voir aussi ci-dessus.
Peinture & dessin : très important
Peinture & tourisme : pas exclu
Peinture & plantes vertes : jamais de la vie
Peinture & maison particulière : je ne dis pas non.
Peinture & musique : oui
Peinture & danse : ça se peut
Peinture & cirque : non
Peinture & musique de cirque : non plus
Peinture & armée : comment peut-on ?
Peinture & sport : no sport
Peinture seule : le plus souvent possible
Peinture seul : dès que possible.

Saint Mathurin/Loire : une artothèque associative



Samedi 17 octobre : de retour de l’inauguration de l’exposition collective présentant la nouvelle collection de l’artothèque de la galerie A Vous de Voir, à Saint Mathurin, j’ai envie d’en toucher quelques mots ici. Je le fais d’autant plus librement que je n’ai plus de responsabilités dans cette association.

Visiter cette exposition en sachant qu’il s’agit d’une artothèque renouvelle peut-être l’approche que l’on a habituellement sur les expositions collectives («salons», dit-on souvent). Car on se dit alors que chacune des œuvres présentées est susceptible (à condition d’adhérer, évidemment) d’entrer dans le foyer familial. Le regard est enrichi — ou modifié, plus exactement — par l’idée d’une éventuelle acquisition provisoire.
On sait aussi que de son côté, chaque artiste a choisi de confier des œuvres à l’association en sachant qu’elles peuvent entrer chez quelqu’un. On imagine alors les questions qu’il a pu se poser, au moment du choix, sur l’accessibilité de l’œuvre (format, sujet, etc.)
Étrangement, tout cela donne une cohérence à un accrochage pourtant extrêmement diversifié, où se côtoient des techniques très différentes (sculpture, céramique, peinture, gravure, photographie, images numériques), des formats et des supports variés, des personnalités très singulières. Et là où on pourrait craindre une accumulation gratuite, comme dans tellement de «salons», on entre plutôt dans un lieu où règne une véritable unité. J’imagine que cela tient à cette réflexion commune (mais chacun isolément, sans concertation) qu’ont eu les artistes, qui ont pensé à l’autre, mais après avoir réalisé l’œuvre. Ceci est très différent que de penser au spectateur au moment du travail, ce qui fausse tout).
Cela tient aussi à de judicieuses associations manifestement voulues, ou senties, par les responsables de l’accrochage. Ce sont des réflexions que j’ai entendues fréquemment lors du vernissage.

Riche idée qu'une artothèque. Pour les artistes, qui imaginent leurs œuvres se promener de maison en maison, d’école en mairie, de cabinet médical en accueil d’entreprise, et qui espèrent qu’elles rencontreront des amis… Pour l’emprunteur, qui va vivre quelques temps avec une œuvre originale. Ce qui, dans ces temps étranges et inquiétants où des responsables, parachutés par le pouvoir, pensent qu'on améliorera l’enseignement artistique en facilitant l’accès virtuel aux œuvres (voir les calamiteuses propositions de Karmitz), me semble être un acte fort. Les artothèques se répandent un peu partout, à la ville et à la campagne, et c’est encourageant. Les fonctionnements diffèrent, mais peu importe. Ce qui compte, c’est que l’art circule, que son accès soit facilité, mais pas forcé. Celle de Saint Mathurin est modeste par les moyens (elle repose sur les prêts des artistes, alors que les artothèques municipales, par exemple, enrichissent progressivement leurs collections à l’aide de financements publics, sur le modèle des bibliothèques), mais ambitieuse par les implications des bénévoles et des artistes. C’est je crois par des initiatives locales de qualité, exigeantes mais accessibles, concrètes, et surtout pas élitistes, pas méprisantes, que la sensibilisation aux arts peut se développer.

On relèvera pourtant une différence notable entre ces initiatives indépendantes (des associations, des regroupements d’artistes) et de nombreuses artothèques municipales, différence résidant dans la ligne conduisant au choix des œuvres à porter aux catalogues.
On peut regretter en effet que bon nombre d’artothèques «officielles» ne fonctionnent pas assez, dans leurs politiques d’acquisitions, sur le modèle des bibliothèques, qui je crois, ne choisissent pas les livres en fonction de courants artistiques «tendance» mais plutôt en cherchant à satisfaire un large éventail de demandes. On serait en droit d’espérer que tous les courants et disciplines artistiques d’aujourd’hui soient représentés dans de tels lieux.

Au niveau de cette petite commune, c’est seulement l’envie authentique de faire partager l’art tout court qui fait courir bénévoles et artistes. Et si l’initiative de cette artothèque locale, en milieu rural, fonctionnant maintenant depuis 4 ans, est suivie aujourd’hui d’autres initiatives dans le même esprit (la commune de Rablay sur Layon vient d’en créer une), c’est tant mieux !
Cette exposition est visible très peu de temps. Jusqu’au début novembre, et seulement les week-ends.
A bon lecteur, salut !


lundi 12 octobre 2009

A l’intention de mes invités au vernissage du 19 septembre 2009

exposition personnelle de la Grange Dîmière, à Angers-Beaucouzé : «par correspondance(s) peinture en compagnie de Ponge »

"Bonjour à tous,

Tout d’abord, je tiens à vous remercier de m’avoir fait l’amitié de venir ce soir, de suivre mon parcours, d’exposition en exposition, et pour certains d’entre vous, depuis fort longtemps !
Je vis toujours le vernissage comme un exercice difficile, un moment contradictoire, où je me sens tiraillé entre la crainte de dévoiler mes toiles à de nouveaux regards et celle de ne pouvoir recevoir correctement chacun de vous, par manque de disponibilité. La crainte aussi de proposer un vernissage superficiel, qui dériverait loin de l’exposition présentée, comme c’est souvent le cas. Et c’est le moment où l’on est envahi par le doute, on se dit que tous ces gens (vous tous) se sont dérangés pour soi, et que ce qui est là n’est peut-être pas à la hauteur… Je demande donc toute votre indulgence envers mon état émotionnel de ce soir !...
J’aimerais profiter de votre présence, et de votre écoute, pour vous parler de choses et d’autres à propos de cet ensemble, de Francis Ponge, et de la peinture en général. Ensuite je vous inviterai à prendre un apéritif, et nous pourrons bien sûr continuer à bavarder.


Ce soir, donc, et ce pendant une vingtaine de jours, j’expose avec un ami.
Il ne m’a jamais connu, il n’a jamais su qui j’étais, mais il peut toujours compter sur moi. J’ai découvert les textes de Francis Ponge il y a 4 ou 5 ans, tout à fait par hasard, parce que j’ai aperçu un jour chez un libraire un livre intitulé « l’atelier contemporain». Le titre m’a frappé : le mot atelier a toujours été très important pour moi, c’est un des lieux dans lesquels je me sens le plus faire partie du monde, du temps. Le mot contemporain est lui aussi très sensible, parce qu’il est pour moi un sujet de grande méfiance, et de réflexion également. On peine à le définir clairement, c’est un fourre-tout, une étiquette qui ne désigne finalement rien de précis quand il est attaché à l’art. Alors que tout le monde l’emploie, à tort et à travers, il peut s’appliquer à d’immenses artistes, à des artistes inspirés, créatifs, libres, tout autant qu’à des moutons, des suiveurs, des copieurs, des fumistes, des créateurs de vide ou d’esbroufe. Donc, finalement, rien de bien différent de l’art tout court…
Bref, les deux mots réunis dans le même titre m’ont fait acheter ce livre sans savoir ni qui l’avait écrit, ni quand. Et là, dès les premières lignes, je me suis attaché à lui. J’ai eu aussitôt cette impression de coïncidence, d’«atomes crochus», sur d’innombrables points. J’ai d’abord aimé sa façon de parler de la peinture et des peintres, Francis Ponge se reconnaissait dans le travail de certains artistes, ses contemporains. Braque, Fautrier, Picasso, Giacometti, Dubuffet, pour les plus connus. Nous avions donc des amis en communs. (Presque tous, sauf Hélion, trop prétentieux pour être mon ami).
J’ai par exemple immédiatement aimé sa façon de modeler comme un sculpteur la matière des mots, et de retoucher comme un peintre. Pour écrire, il allait à l’atelier.

Alors, après ce livre, que je relis toujours, et souvent, j’en ai cherché d’autres. Et j’ai continué de me reconnaître dans ses textes, dans lesquels il n’hésite pas à retoucher ses lignes encore et encore, jusqu’à faire de la recherche, des tentatives, sa matière même. En lisant par exemple les notes après coup sur un ciel de Provence dans «la rage de l’expression», le voyant sans cesse changer les mots de place, essayer des arrangements, utiliser l’insatisfaction permanente, les recommencements, et laisser tout cela dans le texte, parce c’est cela qui fait le texte, je me suis reconnu en train de déposer mes touches de couleurs en émulsion, les changer de place, en essayer d’autres mais en laissant visibles celles d’avant, en train de coller des pages de carnets dans les toiles, ce qui les faisait passer de l’état de brouillon à celui d’élément plus noble et montrable, pour en faire la matière même de ma peinture. Et il y avait coïncidence, parce que travaillais déjà ainsi depuis longtemps. Je voudrais vous dire une phrase de Ponge qui exprime parfaitement ceci :

« (...) il y a une espèce de consensus (...) qui fait qu’il se trouve que chaque homme, exprimant son plus particulier, ce qu’il peut considérer comme sa différence, comme quelque chose qui est absolument unique, particulier, subjectif, s’il l’exprime à la fois sans vergogne et rigoureusement, il y a à l’intérieur de lecteurs, de spectateurs, enfin des autres hommes, et souvent à des siècles de distance, quelque chose qui fait qu’ils s’y reconnaissent."


Cette phrase est placée à l’entrée de l’exposition, peut-être justifie-t-elle à elle seule mon parti pris pour Ponge.

Mais certains parmi vous ne connaissent peut-être pas Francis Ponge. Vous aurez déjà remarqué, si vous avez visité l’exposition, que cela n’a aucune importance vis-à-vis de la perception des toiles. Autrement dit, je n’aurais pas cité Ponge, ni développé ouvertement mes idées et la présentation de cette exposition autour de Ponge, les toiles auraient tout de même eu leur vie propre, autonome. Enfin, je l’espère. Elles ne tiennent pas sur Ponge, ni grâce à lui, elle ne l’illustrent pas (il n’aurait pas du tout apprécié !). Les textes calligraphiés ne sont pas ceux de Ponge. Je n’ai pas voulu qu’elles existent prioritairement par le discours que l’on pourrait faire sur l’écrivain. J’ai travaillé pour que ces toiles existent par elles-mêmes ; que leur présence, leur matière, l’image qu’elles donnent suffisent. J’ai seulement pensé que le poète pouvait être un des facteurs d’unité de l’ensemble de ce travail, qu’il était en tout cas une solution thématique possible que j’ai souhaité mettre en avant. Peut-être pour montrer de quoi peut se nourrir et s’enrichir la peinture.


Cela dit, si vous n’avez jamais lu Ponge, et si cette exposition vous en donne l’envie (j’en serais très heureux), je vous recommande «l’atelier contemporain», et «la rage de l’expression». Je recommande tout, mais ces deux ouvrages, ainsi que « le parti–pris des choses », plus connu, sont des excellentes entrées en matière.
Si en revanche, vous avez lu des textes de Ponge, vous découvrirez sans doute de-ci de-là un certain nombre de références.

J’ai aimé aussi la simplicité de Ponge, ses thèmes «objectifs», prétextes à mettre la main et l’esprit ensemble dans la matière des mots. Qu’il insiste sur le côté ouvrier, artisan de l’artiste.

J’ai aimé l’indépendance de Ponge. Encore aujourd’hui, on ne peut pas le classer vraiment. Il se refusait lui même à le faire. Ne se disait pas poète. S’interrogeait sur ce qui fait l’artiste, sur sa pratique, sa méthode.

J’ai aimé son entêtement au travail, son exigence envers lui-même et la construction de son œuvre
Sa faculté de revenir sur des textes plus anciens, et de ne pas hésiter à les remanier, mettant en évidence l’inachèvement perpétuel de l’œuvre. Il dit : «une rectification continuelle de mon expression»

J’ai vraiment beaucoup aimé l’idée qu’il n’écrivait pas pour, mais bien qu’il écrivait contre. J’ai trouvé dans ses propos, et c’est peut-être ce qui m’a attiré dans ses écrits, une formulation claire de ce que je ressentais confusément dans mon travail.

« Il faut d’abord se décider en faveur de son propre esprit, et de son propre goût ».
C’est sa définition de la véritable originalité. Et ceci me semble valable autant pour le spectateur que pour l’artiste.

« L’écrivain doit écrire contre tout ce qui a été écrit jusqu’à lui, contre toutes les règles existantes notamment. Je parle des gens à tempérament »
Je ne sais pas pourquoi, je n’ai pas pu m’empêcher en lisant cela de remplacer écrivain par peintre, et écrire par peindre…

J’espère que ces quelques mots vous aideront à comprendre notre amitié, et ces fameuses correspondances entre nous.


J’ai maintenant quelques remerciements à formuler:

C’est heureux qu’il y ait encore, pour les artistes (j’allais ajouter : à «tempérament» !), des lieux comme celui-ci qui permettent, dans de très bonnes conditions, de montrer des initiatives indépendantes. Car (l’avez-vous remarqué ?) dès que l’on affiche un peu trop cette indépendance (qui est peut-être aussi comme une forme de résistance à une pensée artistique unique), beaucoup de portes de lieux d’expositions se ferment.
Je dois ouvrir une parenthèse, à ce propos : je vous conseille de lire le texte de présentation de la programmation de la galerie de la bibliothèque universitaire d’Angers : passons sur le copinage, même s’il est parfaitement éhonté, entre les responsables et quelques artistes, c’est devenu tellement commun. Non, c’est une petite phrase qui a retenu mon attention à propos du travail d’un artiste, dont seront exposées des peintures. Je cite : «ce thème (je précise qu’il s’agit du paysage urbain) si contemporain, est paradoxalement traité par un médium qui tombe en désuétude : la peinture à l’huile» (Fin de citation…).
Ce serait donc ce paradoxe le plus intéressant dans l’exposition annoncée, beaucoup plus que la peinture elle-même, qui elle est désuète, dépassée, historique, enterrée…
Donc, amis peintres, peu importe comment vous peignez, si vous voulez exposer dans des lieux consacrés à l’art contemporain (les lieux « autoproclamés » d’art contemporain), pensez bien surtout à proposer un thème contemporain. Vous devriez trouver une liste quelque part sur internet. Je peux vous proposer quelques mots clés : enjeux contemporains, questionnements contemporains, problématique, dispositifs contemporains, etc.

Pour tout dire, cela m’interroge sur la légitimité des responsables dans ce domaine de l’art officiel. Que ces idées et ces formes d’art existent ne me gêne pas, elles sont sans doute une part de la richesse et de la diversité de la création d’aujourd’hui. Mais que des (ir)responsables décident (au nom de quoi ?) de ce qui est tombé en désuétude, ce qui est d’avant-garde, ou innovant, ou émergent, et qu’à partir de leurs choix sectaires, refusent de montrer la multiplicité des pratiques artistiques, en faisant barrage aux initiatives personnelles des artistes qui n’entrent pas dans ces formats, c’est cela qui me gêne réellement. Si on prend le mot contemporain dans son sens premier, i.e. de son temps, cela signifie que ces gens seraient donc les gardiens du temps, les garants du temps que l’on se doit de suivre, pour être avec eux et faire un art vivant. Et tout ce qui n’entre pas dans ce temps-là ne serait donc pas contemporain. Mais avons-nous tous la même notion du temps, et donc la même notion de ce qui est contemporain ?
Être innovant ou émergent n’est pas mon but. Mon but est de progresser, d’apprendre en creusant dans mon domaine, et de préserver mon indépendance, ma nature. Vous m’excuserez, j’espère, pour cela d’utiliser quelquefois de la peinture… à l’huile !
Le véritable rôle des institutions ne serait-il pas d’aider l’artiste à préserver son originalité, son tempérament, comme dit Ponge, plutôt que de le pousser, le forcer à rentrer dans le rang de l’académisme, sous peine d’exclusion ? Il y a peut-être là une définition de l’art contemporain : c’est l’académisme d’aujourd’hui.

C’est une des forces du titre de Ponge. L’atelier contemporain. L’atelier de son temps. Je vous disais que dans mon atelier, je me sentais faire vraiment partie du monde, du temps. Je m’y sens effectivement totalement contemporain.


Une autre réflexion de Ponge, à ce propos et qui fait suite à la citation du début :

« il n’y a d’une part aucun progrès, il n’y a d’autre part aucune différence, aucune supériorité d’une époque sur une autre. Tout cela d’ailleurs est sûrement un lieu commun.»

Pour vraiment tout dire, mais vous l’avez sans doute compris, cette exposition n’a pas été acceptée par la Bibliothèque Universitaire. Je pense que maintenant, aucun de mes projets ne le sera jamais !


Donc, après cette digression, et pour revenir aux remerciements, je tiens à en adresser un particulier à la commune de Beaucouzé pour avoir ouvert un lieu comme celui-ci. Ce genre d’initiative est salutaire.

Je dois aussi remercier Madame Armande Ponge, qui m’a très aimablement autorisé à utiliser des textes de son père, dans l’exposition et dans les documents d’information. Je la remercie aussi pour les encouragements qu’elle m’a adressés.

Je remercie également une galerie rennaise qui croit en mon travail depuis plusieurs années, qui respecte absolument mon indépendance, et qui a exposé récemment, en mars dernier, une partie de ce que vous voyez aujourd’hui, comme une sorte d’avant-première. Il s’agit de la galerie Un autre regard. Je vous recommande une visite si vous passez par Rennes.

J’aimerais revenir par un mot sur l’angoisse de l’artiste au moment du vernissage : j’ai toujours pensé que l’exposition était un moment très important dans le travail artistique, pour trois raisons majeures : La première, la plus essentielle, c’est qu’on le confronte, ce travail, à des yeux nouveaux, à des points de vues inconnus, et que tout cela donne à l’artiste un recul incroyablement dérangeant et stimulant. Dont il doit en partie tenir compte par la suite. La deuxième, c’est que c’est aussi un moment (quand on n’est pas un artiste officiel subventionné, évidemment) où l’on doit souvent se séparer de quelques œuvres. Une vente d’œuvre met en évidence une rencontre entre deux sensibilités, une coïncidence. C’est aussi un acte professionnel qui permet à l’artiste indépendant de préserver sa liberté de travailler, son statut, sa place dans la société.
Cela démontre également la souplesse de l’artiste, qui peut avoir à la fois les pieds sur terre, en même temps que les mains dans la peinture, et encore en même temps la tête ailleurs… Ouvrier, penseur, marchand, quel métier !
La dernière raison, c’est l’obligation, sous peine d’une dépression post partum, d’être déjà sur un autre projet, et donc d’avancer…

Les derniers remerciements seront à nouveau pour vous, je vous les renouvelle, c’est votre présence fidèle et attentive qui me semble être le meilleur encouragement.
Vous êtes, après ma famille, les premiers yeux portés sur mes nouvelles toiles. Je suis curieux de les voir regarder. Et avant d’aller vers l’apéritif, je vous propose de répondre à des éventuelles questions, pourquoi pas avec le micro, si certains échanges peuvent intéresser tous les gens présent ici. Sinon, j’essaierai d’être le mieux possible à votre disposition. Merci de m’avoir écouté."

La Cuisine, exposition à la Bibliothèque Universitaire d’Angers,

à la Galerie 5, jusqu’au 31 octobre 2009

Selon la presse, un «collectif» (groupe en langage AC(1)) s’est réuni dans une cuisine (laquelle ?) pour élaborer cette exposition. Un thème a été lancé (par qui ?) pour réunir tout ce beau monde de l’art contemporain, afin de justifier le regroupement : le langage. Je reste sans voix devant l’originalité, l’avant-gardisme de ce thème. Je me demande en effet si un seul artiste de l’histoire n’a pas, consciemment ou non, rattaché ses œuvres à la notion de langage.
Je lis dans la presse (2) : «leur point commun : avoir fait les Beaux-Arts à Angers entre 1970 et 2003». Donc, si on avait déniché un artiste génial, ayant su traiter ce thème passe-partout de manière inédite, on ne l’aurait pas accepté ou invité dans ce groupe, pardon, collectif, pour défaut d’études aux Beaux-Arts ? Terrible aveu de l’évolution en vase clos de ce milieu… On fabrique des artistes en les formatant Beaux-Arts, et ils sont ensuite « exposables » dans tous les lieux estampillés AC. Autrement, point de salut. Mais il est possible que je me trompe, ce passage aux Beaux-Arts n’est peut-être qu’une coïncidence…
(Il y a plusieurs années, j’ai sollicité et obtenu non sans mal un entretien avec l’adjoint au Maire chargé des affaires culturelles, à Angers, pour présenter un travail que j’aurais souhaité exposer au grand Théâtre. Refus (à peine) poli, et aveu décomplexé : pour prétendre à un tel honneur (on ne parle jamais du contenu du travail) il fallait soit être passé par les Beaux-Arts en tant qu’étudiant ou professeur, soit être présenté par une galerie qui travaillait déjà avec la ville. Dans mon cas, les trois malheureux mois passé aux Beaux-Arts d’Angers en 1979, avant de prendre la fuite devant l’idéologie enseignée, ne comptaient évidemment pas.)
Mais revenons à notre collectif. Dans quelle cuisine s’est-il retrouvé ? Je suppose que c’est dans celle de la nouvelle responsable de la programmation de la Galerie 5 (le lieu d’AC(1)de la bibliothèque universitaire), qui fut il y a quelques années propriétaire de la galerie Courant d’art, installée dans la belle campagne vallonnée de Saint Remy la Varenne. (Galerie fermée en 2007, sauf erreur). Si c’est le cas, Anne Auguste et Guy Camut n’auront pas eu de mal à trouver le chemin de la cuisine en question, puisqu’il font partie de la liste des artistes de l’ex-galerie (il reste une trace de cette initiative sur un site Internet inerte). Tony Baker souvent impliqué dans la vie musicale locale de Saint Remy la Varenne et des environs, a du, pour sa part, venir en voisin. Quoi de plus normal, d’ailleurs, que de prendre son carnet d’adresses pour inviter ses amis dans sa cuisine ? Il y a vraiment des gens qui voient le mal partout !
Je ne serais pas surpris de trouver dans la programmation de l’an prochain quelques autres noms figurant dans cette liste «privée». Mais je ne demande qu’à être étonné, ce serait bon signe !


Allez, j’avoue : l’exposition que je viens de présenter à la Grange Dîmière de Beaucouzé a été écarté par les hauts responsables culturels de la BU. Oui, j’avoue, je suis animé par le ressentiment, la colère, la déception. Oui, je suis un artiste raté qui ne parvient pas à montrer ses œuvres dans les lieux d’art publics officiels. Pardonnez-moi, Grands Dieux des Beaux Arts, la jalousie m’anime, c’est ma faute, ma très grande faute, je ne fais que de la pauvre peinture. A l’huile, en plus. Je n’ai que ce que je mérite.

Mais j’avoue aussi : je savais en envoyant un dossier à la BU(3) qu’il serait refusé. Pour preuve : je me suis engagé au même moment auprès de la municipalité de Beaucouzé pour occuper la grange Dîmière.
Ma demande était un acte expérimental, quasi-performance, geste artistique, sans aucun doute très contemporain, comme celui qui a consisté à adresser une demande de subvention (sur les conseils de la Maison des Artistes) pour agrandir mon atelier (cela fera peut-être l’objet d’un autre article). Par ces actions, j’espérais entendre de la bouche même des responsables , ou lire de leur plume, le pourquoi des refus et de là me conforter dans l’idée que la peinture n’est pas … ne peut plus… que c’est mal, quoi.

Enervé par le style autosatisfait et creux de la programmation et des articles du blog de la BU :
On y comprend vite que la galerie 5 fait maintenant partie intégrante de ce réseau officiel. A part Nini Geslin, qui mène depuis longtemps un travail de fond et de sens, tout le reste, pour ce que j’en sais aujourd’hui (mais attendons de voir, je ne connais pas les 2 photographes Suédois), me semble être une caricature de ce que l’on se doit de faire pour « investir » un lieu d’AC. Tout est une question de discours accompagnant l’œuvre, affaire de critique descriptive, la seule acceptée par le milieu.
Décryptage rapide de la présentation de la saison :
Expo de novembre (Engström et Petersen) : sans préjuger du contenu de l’exposition, on discerne nettement dans le dossier de presse les liens étroits entre région (commande et édition d’un ouvrage) et ville (expo montée en partenariat avec l’artothèque d’Angers, liée aux Beaux-Arts).
Expo de janvier : Nini Geslin. J’irai voir cette exposition avec curiosité et intérêt. Une question à laquelle je n’ai pas de réponse : cette artiste est-elle passée par les Beaux-Arts ?
Expo de mars (Jeremy Liron): se reporter à ce que j’en dis dans l’article discours du vernissage, à propos de le peinture à l’huile, médium «tombé en désuétude»… A noter dans texte de la plaquette : «la force des toiles ne peut pas laisser indifférent». C’est absolument interdit, vous n’avez pas le choix. A noter aussi que l’artiste est sorti des Beaux-Arts de Paris.
Expo d’avril : (Sammy Stein). L’artiste est forcément digne d’intérêt, puisqu’il est sur Facebook, qu’il se montre sur un blog, il est donc parfaitement de son époque. Et devinez quoi ? Il vient aussi des Beaux Arts de Paris !


Maintenant, allons voir l’exposition actuelle, la fameuse "cuisine" exposée jusqu’à fin octobre : plaquette en main, sens critique en éveil, affûté par tant d’énervement…

Alex Guillet, dont les gravats plâtreux nous accueillent dès l’entrée : «Plus qu’une sculpture», me disait le dossier de presse… Je me surprends à penser : «moins qu’une sculpture» … Fait partie de la mouvance sans socle, c’est sans doute beaucoup plus fort, tendance et contemporain de déposer sa pièce au sol, sur un tas de sable, de cailloux ou de déchets divers. De cette masse blanche émergent quelques membres humains, symbole plutôt facile, me semble-t-il. Plus loin dans le dossier de presse : le travail présenté «participe de cette interrogation». On ne voit pas bien laquelle (le corps ?) Il interroge aussi et surtout sur les limites artistiques de l’auteur…
Trois des artistes me semblent employer des moyens disproportionnés par rapport à leur propos : Agnès Hardy, avec ses livres percés qu’elle nous propose de placer sur notre visage à la manière d’un masque, miroir à l’appui, Guy Camut et sa grande surface noire en écriture braille géante, interrompue par une empreinte digitale blanche (géante aussi, bien sûr), et Michel Gourichon, avec des blocs de pierre d’où émergent des téléphones portables fossilisés, ou une suite numérique gravée. Tout cela aurait pu être traité aussi bien (mieux, sans doute) par un petit dessin humoristique ou poétique, avec la même portée (plutôt anecdotique ou d'une symbolique assez primaire). Mais non, il faut du spectaculaire, du tape à l’œil, comme si cela allait donner du poids aux idées. Là, je pense qu’elles n’en valent vraiment pas la peine. Une des difficultés de l’artiste est de servir son propos avec des moyens et des formats adaptés. Zao Wou-Ki a dit : «une bonne peinture doit être accordée à sa dimension». Cela ne vaut-il pas pour toutes les disciplines de l'art ? N’apprend-on donc pas cela aux Beaux-Arts d’Angers ? Il est vrai qu’on y oublie un peu les peintres, à ce qu’on m’a dit.
Il y a encore Agnès Guidon, et ses installations déprimantes, non pas par le thème, mais par l’impression de «déjà-vu-partout-dans-tous-les-lieux-d’art-contemporain».
Anne Auguste, qui s’épuise dans une idée initialement assez intéressante d’assemblage de surfaces suspendues, mais aux accords de couleurs douteux (tape-à-l'œil, aussi ?), et aux matières picturales pauvres, tellement pauvres, larges coups de brosse sans respiration, et vagues graffitis au stylet qui tentent vainement d’animer les aplats.
Katerina Kudelova, totalement en panne d’inspiration, est au bord du vide. Ce que j’avais vu à Saint Mathurin, l’an passé, à la galerie à vous de voir, m’inquiétait déjà un peu, travail tellement influencé par Christian Jaccard et l’utilisation du feu, que c’en était gênant (et je ne parle pas de l’installation..) Rien n’a changé. Jaccard enflammait ses œuvres dans les années 70. Ici, on parle d’avant-garde et d’artistes émergents…
Gwenael le Berre est la preuve du mauvais goût assumé de l’AC.
Il reste Pierre Cyprien, dont les grands dessins de fils électriques terminés par des ampoules allumées sont vraiment très plaisants, chargés de poésie, sans aucun doute, même si on a l’impression d’un croisement entre les dessins de Cocteau (ou plus récemment de Daniel Tremblay) et de La Linea, vieux dessin d’animation de la télévision des années 70 également.
Quant aux sons de Tony Baker, j’avoue ne pas avoir eu envie de me balader dans l’exposition avec un casque sur la tête. Je ne les ai donc pas entendus.


Il me reste une impression de gaspillage, de déjà vu, d’encore vu, de toujours vu, d’une terrible banalité.
Comment tous ces gens ne se rendent-ils pas compte de ce qui leur arrive ?


(1) Art contemporain
(2) Vivre à Angers, septembre 2009
(3) Bibliothèque Universitaire

dimanche 11 octobre 2009

ARTICLE PREMIER

Tout m’énerve
Le titre de Georges Picard (Ed. Corti), était bien prometteur. J’achète souvent des livres sur un coup de titre. Là, aussitôt commencé, aussitôt déçu. Ce livre m’a énervé, précisément parce qu’il ne l’était peut-être pas assez, et que l’excellent titre me semblait gâché. Je me suis alors promis d’écrire mon propre « tout m’énerve », sans savoir précisément sous quelle forme. Depuis, j’accumule les notes, tellement l’air ambiant est irritant.

Ma dernière expérience d’exposition, avec sa fabrique, son histoire, ses rebondissements, a fait déborder le vase de mes énervements, et m’a décidé à exprimer mes humeurs, en resserrant mes sujets sur le monde de l’art.
La légitimité : mot important, notion importante. Cela m’énerve que l’on ne s’interroge pas davantage sur la légitimité de certains à intervenir ou décider ou agir, ou occuper certains postes dans tel ou tel domaine.
Sans doute en m’attribuant une certaine légitimité (mais chacun jugera de son bien-fondé) à parler de ce domaine, familiarisé (expérimenté?) par trente ans de fréquentation et de pratique, je ne parlerai donc que du monde dans lequel j’évolue. Plus exactement : auquel j’ai affaire. Car en vérité, je ne me sens pas faire véritablement partie de ce milieu.

(Je ne fais d’ailleurs partie d’aucun milieu, solitaire sur les bords.)

J’arrête immédiatement ceux qui voudraient réagir à certains de mes articles futurs édités dans ce blog en me qualifiant d’aigri, ou de peintre raté, de jaloux, de frustré ou de prétentieux, en me diagnostiquant un complexe de persécution, ou je ne sais quoi d’autre.
(Les critiques sont-ils des artistes ratés ? A ce compte-là, un artiste ne peut plus formuler une quelconque critique sans risquer de mettre en péril sa fonction même, et c’est d’ailleurs bien ce sur quoi comptent les militants de l’ « art contemporain » : instiller chez les auteurs la peur d’être trop critique et de se voir aussitôt exclu du réseau. Mais j’y reviendrai plus tard)
Tous ceux qui me connaissent savent que la ligne de mon parcours est tracée entre travail et tentative de rester sincère et intègre. Donc, ça n’est pas à moi de m’autoproclamer artiste. C’est un fait, je peins, grave, écris, enseigne, expose, publie, mais tout cela fait-il un artiste ? A d’autres de répondre. A chacun de répondre, à sa manière, avec ce qu’il est. Il se trouve que je vis de mon travail (de mon art ?), fort correctement, dans un bel atelier, et que tout ce que j’ai construit, je le dois exclusivement à la peinture et à mon travail. Pas aux subventions. J’en tire d’ailleurs une certaine fierté. Il se trouve que la peinture et ses dérivés occupent mon esprit totalement, l’encombrent souvent, et que je ne peux pas lutter contre ça. Suis-je un artiste ?
Il se trouve aussi que ma dernière exposition, qui a déclenché l’expression de mes humeurs, a fort bien marché. Pourquoi s’en cacher ? Elle n’est pas, par conséquent, la cause d’une amertume, d’une animosité, d’un ressentiment que l’on pourrait déceler en me lisant. Elle a simplement cristallisé un certain nombre de questions que j’ai déjà soulevées, dans mes livres et dans quelques articles de presse.
Alors, vous trouvez ce blog discutable ? Tant mieux, il est destiné à faire discuter.

La périodicité de parution de ces articles sera très aléatoire. On n’a pas de coup de gueule ou de cœur sur commande. Les premiers articles seront très rapprochés. Ensuite, une quinzaine de jours entre chaque serait un bon rythme, mais je préfère ne rien fixer. Installez ce blog soit dans vos favoris, soit dans vos détestés, et revenez pourquoi pas de temps en temps, histoire de vous énerver un peu…

Il ne sera pas participatif. Non pas pour me protéger ou pour ne pas assumer ce que j’y dis. Je ne me cache pas, on peut toujours m’écrire. Il s’agit plutôt d’éviter des réactions à chaud dans lesquelles la liberté affichée des espaces de commentaires n’amène bien souvent que des dérives, inutiles à mes yeux. Mes articles seront, je le souhaite, plus interrogatifs que polémiques. Dérangeants, j’espère ; on pourra les qualifier de provocateurs, parfois, d’offensifs. Je me propose ainsi de parler des « dessous » de l’art, au niveau local, souvent, plus largement quelquefois, de formuler quelques comptes-rendus critiques d’expositions, celles que j’aurais eu ou pris le temps de voir, sans que cela gêne mon travail, de parler de mes confrères, consœurs, fonctionnement des lieux d’exposition, des responsabilités, etc. Bref, naviguer à l’humeur, au coup de cœur, et ne pas me priver de louer ou de tirer à vue. Pourquoi les artistes se taisent-ils autant ?
Certains penseront peut-être : « il se tire une balle dans le pied ». Non, ça, c’est fait depuis longtemps. Je veux juste marquer mon territoire, qui doit rester indépendant, mais surtout pas neutre. La neutralité me semble terriblement dangereuse.
La provocation est un des sujets favoris des sectateurs de l’art contemporain (locution que je raccourcirai dorénavant par l’acronyme AC, car elle reviendra souvent). Si certains de ses acteurs locaux se sentaient touchés par mes provocations, ce retour d’ascenseur m’amuserait assez.
D’autres diront peut-être que je suis dans la plainte, que je me pose comme victime, ou comme justicier. On pensera ce qu’on veut. Le lecteur avisé comprendra vite que je cherche simplement à mettre au jour quelques inégalités de traitement, des absurdités, des dysfonctionnements d’un système bureaucratique, fonctionnarisé, mais mené par une idéologie, qui pénètre profondément le tissu local et que le public de l’art ne connait pas nécessairement. En résumé, il s’agit de montrer que le (supposé) monde de l’art est tenu et géré par un réseau serré, qui verrouille les lieux d’expositions, mais aussi, plus en amont qui s’infiltre pernicieusement dans le système éducatif. A l’opposé, un monde plus associatif, un monde d’amateurs, de travailleurs au noir, de « salons de peinture », comme on dit encore, de lieux communs, où le meilleur côtoie le pire, dont les acteurs n’arrangent pas l’image de la peinture et de l’art en général. Pour cela, il suffit de prendre des exemples de proximité, vérifiables facilement. Que faire au milieu de tout ça ? RESISTER. Comment ? En continuant à creuser son travail, bien sûr, sans dévier, sans concession. Mais aussi avec les moyens du bord, les mots par exemple, et leur diffusion, facilitée peut-être aujourd’hui par internet et les blogs (quoique l’on puisse facilement se perdre dans cette confusion indescriptible). J’aimerais dire ce qui ne se dit pas toujours clairement, poser des questions que j'espère pertinentes aux quelques lecteurs qui suivraient ce blog, évoquer la condition de l’artiste (mais en suis-je un ?), sa position. C’est vrai, je trouve la plupart des artistes trop silencieux. Est-ce par peur de voir des portes se fermer, ou de ne pas les voir s’ouvrir ? Les artistes ne se mouillent pas (les aquarellistes encore moins !) Mais je sais pour avoir conversé souvent, que beaucoup ressentent des formes d’injustice en ce qui concerne la reconnaissance de leur travail. Je n’ai pas dit APPRÉCIATION de leur travail, notion trop subjective, chargée d’affects, je dis bien RECONNAISSANCE. Les responsables de la culture devraient bien apprendre à (ou accepter de) définir la légitimité artistique de tel ou tel travail, et jeter aux ordures la grille imposée par les théoriciens officiels.

Interroger est le verbe favori des acteurs de l’AC. Lisez bien tous les commentaires consacrés aux artistes contemporains, tous interrogent quelque chose (le monde, la société, la place de ceci ou de cela, la cité, l’urbanité, l’argent, la mort, la violence, le corps, l’image, etc.).
A mon tour d’interroger. Quand je vous dis que je suis un contemporain refoulé ! Je provoque, et interroge. Ce blog ne serait-il pas tous comptes faits un acte artistique qui me hisserait vraiment à la hauteur des enjeux contemporains ? Je reconnais que mon médium, toutefois, est peut-être un peu désuet, historique : ce sont des mots, sortes d’éléments sonores ou graphiques chargés de sens que l’homme utilise depuis des millénaires pour exprimer des idées. Un peu dépassé, non ?

Je vous souhaite bonne lecture, et bon énervement.