mardi 13 septembre 2016

Soi-disant



Le petit musée de Pont-Aven a repris connaissance en début d’été, après plusieurs années d’évanouissement pour cause de travaux. Modernisé, agrandi, réorganisé, il propose pour l’occasion une exposition consacrée à la dynastie des Rouart, assortie d’une campagne promotionnelle importante, avec encarts dans la plupart des publications artistiques, affiche accrocheuse, entre Nabis et ligne claire, aux aplats jaune et bleus soigneusement associés. Il s’agit de montrer trois personnages de la même famille, sur trois générations, le père, un fils et un petit-fils, grands bourgeois et intellectuels argentés, collectionneurs avertis, dont on vante pour l’occasion les grands mérites artistiques et l’unicité de cette transmission du talent au travers d’une lignée. Mais enfin, qui prétend qu’ils sont des artistes ?
Ce que j’ai vu (car la belle affiche m’a séduit et poussé au déplacement), ce sont effectivement beaucoup de tableaux, mais bien peu de peinture. Un amusement oui, un délassement, un passe-temps de nantis qui, proches d’artistes (Degas, Manet, Morisot), ont pratiqué gentiment et fort honnêtement un amateurisme d’influences, aux sujets banals, usés, bourgeois, et à la facture assez plate, sans réel tempérament, impersonnelle, mais le tout sans prétention autre que celle de se faire plaisir. Quelques « jolis » dessins d’Augustin, peut-être le plus peintre des trois, mais rien qui ne justifie une telle retape, une telle tribune, le titre ronflant de l’exposition qui évoque un « réalisme magique », rien qui ne démontre le prétendu talent de ces soi-disant artistes. 
Mais au fait : qui a donc décidé que ces Rouart, père, fils et petit-fils, étaient peintres, dans le sens profond du terme ? Eux-mêmes ? Leur famille, leurs descendants ? Le public ? Les commissaires d’exposition ?
Malgré la piètre qualité des œuvres, au demeurant fort bien accrochées, cette présentation a le mérite de poser — sans le vouloir — la question de la légitimité des artistes, du bien-fondé de certains actes et évènements attachés à l’art et aux créateurs.

Question réveillée hasardeusement par le récent courrier reçu d’une autre soi-disant, qui s’annonce artiste, journaliste et historienne d’art. Tout cela à la fois. Qui me demande, non sans un certain culot, puisqu’elle connaît bien ma double activité plus que trentenaire de peintre (mais qui affirme que je suis peintre ?) et d’enseignant, de transmettre son projet à mes connaissances et par conséquent, entre autres,  à mes chers élèves.
Une soi-disant artiste donc, qui propose par chez moi des cours de dessin et peinture. S’étant depuis toujours présentée comme « petite-fille de » (d’un peintre de la région à la facture fort honorable, au très bon dessin, aux compositions irréprochables, mais aux sujets et au traitement installés, bien-pensants, de salon, sans accroc et n’engageant à pas grand-chose, très apprécié de la bourgeoisie et de la notabilité locale, ce qui lui vaut encore aujourd’hui, alors qu’il ne fréquente plus ce monde, quelques faveurs rétrospectives qui permettent d’en apprécier l’imagerie un peu datée), elle vit sur cette notoriété grand-paternelle en n’hésitant pas à l’exploiter pour en faire une légitimité personnelle. Et aujourd’hui, pour ouvrir un cours de peinture, elle devient sans vergogne elle-même artiste-peintre, mais oui,  sur les traces de son illustre grand-père.
Moi, bec et ongles acérés, lui écris en retour mon étonnement, n’ayant jamais vu aucun de ses travaux d’art, et lui demande sur un ton innocent où l’on peut admirer ses œuvres, sachant que l’Internet n’en laisse rien entrevoir, à moins d’un pseudonyme que je ne connais pas. A ce jour, pas de réponse, même après relance. Me voilà donc bien embarrassé pour la recommander, ne sachant rien de sa production…
Je ne redirai pas ce que j’écrivais dans un précédent article, intitulé « vrai du faux » (ICI). Mais, au-delà de l’anecdote personnelle, constatant qu’après trente-cinq ans de confrontation et de conversation avec la peinture, moi qui ai définitivement du mal à me qualifier d’artiste, qui tente de transmettre le plus sincèrement possible le malaise, la poisse de la peinture et ses contradictions, mais aussi tout ce qu’elle apporte, ce qu’elle élève en celui qui la pratique ou qui la regarde, tout en me demandant, en prononçant chaque mot et en avançant chaque idée, si j’en ai le droit, relativement à mon travail personnel, je suis une fois encore stupéfié par l’aplomb de certains de mes co-humains, qui toute honte avalée cul-sec, se proclament haut et fort et du jour au lendemain artiste-peintre dès lors qu’ils touchent un pinceau et se targuent aussitôt d’enseigner. J’ose espérer que ceux à qui ces soi-disant s’adressent auront l’exigence de chercher à savoir à qui ils ont réellement affaire, quelle est la pratique et le parcours de l’enseignant (dessin, peinture, histoire de l’art ?) et ne se contenteront pas du statut de « petite-fille de », d’artiste autoproclamé ou de carte de visite tapageuse pour lui confier leur ignorance, leur soif d’apprendre et la charge de l’étancher. 

Les Rouart ont eu l’élégance de ne pas enseigner.