mardi 3 décembre 2013

idées courtes #8

 

Souvent peintre varie.

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L’artiste n’interroge pas le monde, il l’invente.

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Travail d’après nature : ne pas croire son modèle sur parole, et préférer sur mesure.

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Un rêveur ne se perd pas s’il s’oriente aux nuages.

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Discrétion ou indifférence ? Les silences se ressemblent.

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L’artiste n’interroge pas le monde, il l’éclaire.

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Artistes, ceux qui (ils sont légion),  sans que personne ne les y ait invités, justifient spontanément leur travail (à qui veut entendre, soit, mais aussi aux autres), exposent leurs projets, étalent leur condition?  Des bonimenteurs, plutôt. S’ils sont incapables de faire silence devant leurs propres œuvres, qui y parviendra ?

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La mort, voilà la véritable avant-garde.

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Le tableau nous doit la surprise, l’implicite,  la question, le mystère, un monde, un remuement, un reflet, un évènement.

Répondons par l’effort.

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Enfoncer le clou dans la plaie.

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Ou bien, parfois : l’artiste n’interroge pas le monde, il le fuit.

(Variante : il l’évite)

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Glissement régulier de l’esquisse vers la révélation du dessin,  frôlement permanent, affleurement, caresse : le crayon aime tant le papier qu’il est incapable de le quitter, ne serait-ce qu’une seconde.

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Plus tard, après lui, l’artiste définitivement immobile allongé silencieux absent, son œuvre sera prosopopée.

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L’idée diurne : un rêve éveillé.

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L’artiste versus le monde ? On s’interroge.

dimanche 10 novembre 2013

Des mutants dans les musées


La récente visite de plusieurs grandes expositions parisiennes m’a laissé perplexe. J’y ai croisé à de nombreuses reprises une espèce pourtant déjà rencontrée auparavant, mais dont le comportement ne m’avait jusqu’ici pas autant frappé. Apparemment elle se reproduit extrêmement vite et colonise les musées, galeries ou foires de manière endémique.  Il s’agit d’êtres à l’apparence globalement humaine, adultes (les sujets jeunes ont l’air épargnés), avec pourtant une étrange singularité : leurs deux bras  sont tendus devant eux, parallèlement, et sont soudés (s’agit-il d’une greffe ?) à leur extrémité par une sorte de boîtier rectangulaire, plus ou moins plat et plus ou moins lumineux, de taille variable selon les individus, qui produit régulièrement des déclics, des sons synthétiques et parfois même des éclairs aveuglants. Le plus étonnant est que les deux bras tendus sont toujours, quoiqu’il arrive, dirigés vers les œuvres exposées, et aussitôt après vers le cartel qui l’accompagne. Au travers de ce boîtier, on distingue la peinture visée, le corps entier alors se fige et… clic. Une toile, clic, un cartel, clic, la toile suivante, clic, un texte biographique, clic, etc., salle après salle.  C’est incompréhensible, les yeux ne quittent jamais l’axe de ces deux bras, le regard rivé sur l’appareil. Autre signe, il semblerait que ces êtres soient aveugles puisqu’ils bousculent bien souvent les autres visiteurs, et paraissent ne  pas s’en apercevoir, comme si rien ni personne n’existait autour d’eux. De même ils ne remarquent jamais l’icône représentant un appareil photo barré. Une toile, clic, le cartel (avec l’icône !), clic, la toile suivante, clic, etc. Alors, s’agit-il de malvoyants qui auraient subi un traitement révolutionnaire, leur permettant de passer par cet appareil pour voir tout de même les œuvres ? Sans doute les bras tendus renferment-ils une haute technologie de nouvelle génération qui relie le boîtier au cerveau et lui transmet ainsi les images. 
Je me suis demandé un moment s’il ne s’agissait pas de  robots, tant leur comportement est mécanique et répétitif. Il sont de plus très efficaces, leur équipement leur permet de rester très peu de temps devant chaque œuvre, deux ou trois secondes tout au plus, le temps de pousser les gêneurs qui regardent tranquillement le sujet, la palette, la composition (ceux qui s’attardent idiotement devant une toile ou une sculpture en rêvassant, se laissent porter par une émotion diffuse et unique) ; le temps aussi de faire la mise au point, et d’appuyer trois fois sur le déclencheur pour assurer la récolte.
Mais la science a ses limites, et ses revers : d’après moi, les opérations qui ont permis ces connexions au cerveau, tout en apportant de nouvelles fonctions visuelles à ces déficients, en ont endommagé d’autres. Car ils sont, me semble-t-il, atteints aussi de surdité, ne réagissant  absolument pas aux remarques des visiteurs non (encore) atteints du syndrome en question, qui pestent et grognent devant ce qu’ils prennent pour de l’incivilité alors qu’il s’agit peut-être de troubles pathologiques. Mais faut-il s’inquiéter  d’un éventuelle  contagiosité de cette affection ?
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Musée d’art moderne, exposition Poliakoff, peu médiatisée pour le moment,  magnifique accrochage, ensemble rare. Très peu de monde ce matin-là, du temps devant soi et de l’espace autour. Aucun mutant-aveugle-à-la-tablette-numérique, pas de greffé-de-l’appareil-photo-ou-du-portable à l’horizon, pas encore de bras tendus vers les toiles. Un beau silence pour des œuvres que l’artiste espérait silencieuses. Penché  à quelques centimètres de la peinture, je goûte toute la transparence et l’épaisseur de la matière, je déguste les couches successives, je me régale de la richesse des aplats, tout en me disant la chance que j’ai de pouvoir être , avec l’œuvre, aussi proche du peintre absent. Aucune image, aucune reproduction, aucun appareil, aucun écran ne peut traduire cette matière, il faut la vivre, la toucher des yeux au plus près et puis reculer et puis s’approcher encore.  Seule la mémoire des yeux qui ont vu. Je n’étais pas là depuis trente secondes qu’une méchante voix m’apostrophe sèchement : “vous ne pourriez pas reculer pour que l’on puisse voir le tableau !”
Fallait-il expliquer alors que je ne voyais pas le tableau, que je le regardais, que chacun avait du temps pour aller l’observer de près, que je céderai ma place bien volontiers, mais  après avoir pris le temps nécessaire de ce presque contact avec la toile et la peinture, que si l’exposition avait un intérêt, c’était bien celui de fréquenter les œuvres à les presque toucher, que la texture avait autant d’importance que  la composition générale, qu’un tableau permet plusieurs lectures, à plusieurs distances et que c’est ce qui fait sa richesse, etc. J’avoue que ma réaction, même si elle disait tout cela, fut moins courtoise, malgré le grand âge et le beau manteau de mon interlocutrice. J’ai continué ensuite sans vergogne jusqu’à la dernière salle à m’approcher des toiles pour sentir leur souffle, bien décidé à m’imprégner de la réalité de l’art de Poliakoff avant qu’une horde de bras-tendus ou  d’impatients chroniques n’envahisse le musée.

samedi 2 novembre 2013

Artistes recherchent idiots

 

Le visiteur des expositions d’art contemporain est un demeuré, un débile profond, un inculte, un attardé, en un mot un imbécile.

Ce constat fait, les services culturels de la ville d’Angers, s’attribuant le rôle d’éducateurs des masses,  ont voulu faire œuvre de charité intellectuelle en éditant un fascicule tout gris intitulé “aide à la visite”, concernant sa manifestation déjà évoquée dans ces pages (voir article) : l’Art d’ici.

L’art contemporain passe le plus clair de son temps à nous questionner, à interroger ceci ou cela par tout un tas de dispositifs que le discours ne fait que décrire en se noyant dans un vocabulaire pauvre et abscons à la fois, tout cela pour nous suggérer ce que nous devons absolument en penser. Ici, les médiateurs (car c’est ainsi qu’il est de bon ton de les nommer) vont plus loin, en nous énonçant clairement quelles questions nous devons nous poser.

Cette brochure, dont les auteurs, au passage, ne sont cités nulle part (on aurait aimé connaître leur formation, leur place dans cette histoire, leur légitimité…) a la forme des parcours pour enfants proposés maintenant dans tous les musées : “que penses-tu que l’artiste ait voulu dire ? Qu’est-ce que tu vois dans le bas du tableau ? Est-ce que tu trouves ça joli  ? Combien de couleurs l’artiste a-t-il utilisé ?, etc. Sauf que dans le cas qui nous occupe, on s’adresse en principe à des adultes.

Chaque page du cahier se divise en deux ou trois paragraphes titrés. Le premier, des questions pour aborder l’œuvre, demande par exemple “de quels éléments est composée l’œuvre ? Ou bien, “quels sont les sensations/réflexions générées par ce dispositif ? (sic)” (l’orthographe n’est pas dans la spécialité des propagandistes de l’AC), et encore “est-ce que cette installation évoque des sujets d’actualité ? (magnifique question fermée, si tu réponds non, tu es définitivement perdu à la cause). Et j’en passe.
Aussitôt après vient la rubrique quelques indices. Nous voilà déjà avec les solutions qui nous manquaient, incapables écervelés que nous sommes. On nous donne immédiatement LA réponse, on nous dit LE choix de l’artiste, on nous décrit par le menu ce que nous devons coûte que coûte voir et comprendre.  Car apparemment, en art contemporain, il faut comprendre.

Dans ces indices,  il est de plus intéressant de noter toute la portée du vocabulaire employé pour essayer de faire passer dans un public méfiant et sans doute distant cet art qui s’autoproclame contemporain.  Les artistes qui “appréhendent la notion de territoire”, celui qui évoque le “questionnement autour des images-médias”, un autre qui “se questionne sur qu’est-ce que l’animal” (on notera la légèreté de la syntaxe…), ceux qui “convoquent le factice”, celui qui “questionne le spectateur sur ce qu’il regarde” (bravo, voilà qui est très nouveau !), celle qui “déterritorialise des vues d’architecture pour révéler des formes combinatoires […], manière d’aborder le caractère hétérotopique du lieu carcéral” (la palme du jargon de l’artiste contemporain sociologue-dénonciateur), ceux qui annoncent des évidences en les faisant passer pour  des découvertes contemporaines, “[mettant] en avant le lien étroit qui existe entre installation et scénographie”, et ceux, sans doute à l’avant-garde de l’avant-garde qui “considèrent le réseau internet comme un espace résonnant”.  A ce propos, d’autres vont aussi chercher une résonnance, cette fois avec la tapisserie de l’Apocalypse (Item), ce qui est selon les points de vue approprié ou opportuniste dans notre bonne ville. L’important dans cette histoire est de résonner, tout en n’oubliant pas, bien sûr, de parler de monstration et de problématique.

J’ai fait l’immense effort d’aller voir deux des monstrations en question. Je défie quiconque de rester plus de deux minutes dans l’internet topography sans s’être fait prescrire auparavant des antidépresseurs à haute dose. Quant à l’item, dans les douves du château, il est déjà presque invisible, à trois semaines d’exposition,  enfoui dans une belle herbe verte nourrie copieusement des pluies et du soleil d’automne. Les artistes s’en tireront sans doute par une belle pirouette, convoquant l’éphéméréité, l’inexorabilité du temps, la revanche de la nature sur les matériaux industriels…

Maintenant épaulé par la riche  lecture de l’aide à la visite, je vais pouvoir me diriger vers les autres. Je sais maintenant quelles vraies questions me poser, je n’aurai jamais assez de reconnaissance envers la ville d’Angers et sa bienveillante politique culturelle pour m’avoir ouvert les yeux et l’esprit. Mais il y a toujours une petite voix qui continue à m’en chuchoter d’autres : où est l’art ? Où est l’artiste, quel est son rôle, sa place, qui est contemporain et qui ne l’est pas ? Qui est officiel, qui ne l’est pas ? Où est l’œuvre, qui suis-je face à l’œuvre ? etc. Et cette voix me murmure que ces publications sont peut être en fin de compte le reflet de la peur de ces défenseurs de l’art contemporain, la peur de voir se profiler dans un public à qui on ne la fait pas d’autres questions, plus inconfortables pour leur politique culturelle tellement académique et tellement banale, finalement.

Pour terminer sur l’idiotie congénitale du public : j’assistais l’autre jour à un débat animé par une plasticienne, dont le titre “l’art contemporain, ce n’est pas pour moi, je n’y comprends rien!” était alléchant pour un mauvais esprit comme le mien. Evidemment, les questions de fond de l’art contemporain (rapport avec les institutions, officialisation, marché, enseignement, académisme, réseaux) n’ont pas ou peu été abordées, et cela, du propre aveu de l’animatrice, “pour tenir compte du public présent”.  A ce niveau, le mépris et le sectarisme sont des arts à part entière.

vendredi 27 septembre 2013

Visite au père


Cela commençait bien, sous le soleil de l’arrière-saison niçoise, avec la première des huit expositions proposées autour de Matisse, en l’occurrence celle consacrée à Gustave Moreau, son maître quelques temps. Une démonstration limpide : Moreau a transmis, en bon pédagogue, non pas son savoir et sa technique, mais sa sensibilité, sa manière d’aborder les questions de la ligne et de la couleur.  Un mot retenu de cette visite : l’arabesque. Deux grands fusains sur calque (la débauche et Hélène aux remparts), renvoient immédiatement à Matisse dans le rythme de la ligne et le posé du trait, dans la représentation même du corps, le traitement stylisé des mains ou des pieds, alors qu’on sait que Moreau ne montrait pas ses travaux personnels à ses élèves…  Quant à la couleur, à elle seule la  petite ébauche à l’huile intitulée Intérieur suffirait à expliquer sa manière abstraite de la penser, indépendamment du sujet figuré. Merci, Maître.
Au même endroit  (le Musée des Beaux-Arts), comme un prolongement ou une parenthèse, comme un cadeau aussi, la découverte des œuvres folles, rigoureuses, tordues et maladives de Gustave Adolphe Mossa.

Un peu plus loin, dans la galerie des Ponchettes,  inaugurée en 1950 par Matisse  lui-même (qui avait participé à la création du lieu et à son aménagement), un passionnant parcours dans les affiches de et autour du peintre. L’art de la composition et celui de l’imprimerie réunis dans une scénographie simple, claire et instructive.

Mais voilà que les choses se gâtent : le Théâtre de la Photographie et de l’Image, quelques rues plus haut, annonce “Femmes, muses et modèles” avec en sous-titre “rencontres entre la collection Turello et l’œuvre de Matisse”. Cela est prometteur, on imagine trouver là peintures ou sculptures de Matisse évoquant ses modèles, celles dont il voulait, pour les dessiner, être assez près  pour que leurs genoux touchent les siens. On pouvait s’attendre à une évocation de ses rapports avec la photographie,  et retrouver les femmes qui l’ont rencontré, inspiré, aidé, nourri. On pouvait espérer une véritable confrontation entre le peintre et les photographes au travers de ce que leurs modèles leur ont offert. Rien de tout ça : quelques malheureux bronzes empruntés au Musée Matisse tout proche servent de prétexte à montrer un ensemble de photographies qui, aussi riche et beau soit-il (il faut le reconnaître) n’a selon moi strictement aucun rapport avec le peintre.  Si, peut-être ce Nude de Weston, comparable dans la pose à un nu bleu découpé bien connu. Mais rien ne l’indique dans l’exposition, et si bien souvent les coïncidences apparaissent, c’est parce qu’on le veut bien…  Ce lieu, sans doute assez confidentiel, aura vu, le temps de “l’été avec Matisse”, sa fréquentation augmenter, mais qu’on se dise bien que c’aura été parfaitement artificiel.

Le lendemain, ascension vers  Cimiez, au Musée Matisse, pour une grande leçon de peinture, de composition, de musique, d’art, de vie. La thématique de la musique dans l’œuvre tombe sous le sens, et en cela me rappelait la magnifique exposition “Polyphonies” autour de Klee à la Cité de la Musique en 2011. Il n’est pas inutile de rappeler à quiconque s’installant au chevalet qu’il va composer un morceau (d’espace). Et là aussi un cadeau : cette “Piscine” monumentale, céramique réalisée d’après les papiers découpés de Matisse, mais qu’il n’aura jamais vu concrétisée.

L’étape suivante se passe, qu’on le veuille ou non (le fléchage est tellement insistant!) au Musée d’archéologie tout proche avec, toujours dans le cadre de l’été avec Matisse, l’exposition “à propos de piscines”. Hélas ! S’engouffrant dans le créneau ouvert par la toute récente installation de la fameuse “Piscine” dans le musée Matisse, les décideurs de l’art contemporain ont réussi à placer là leurs protégés, qui (et revoilà le vocabulaire convenu des discoureurs patentés) “convoquent d’autres procédés que ceux de Matisse pour souligner ces différents rapport à l’image du corps dans l’eau”, qui “interrogent le corps conçu comme un espace à découvrir,” qui utilisent l’eau pour “repenser les notions d’espace et de temps”, bref, qui se noient dans les poncifs de l’AC pour faire passer la pilule d’une monstration aux dispositifs éculés, totalement artificielle elle aussi,  autant qu’inutile au sein de la thématique estivale niçoise.

De là, plutôt échaudé,  j’abordais le volet proposé au Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain plein de suspicion : la revisite des thèmes ou des œuvres de Matisse par des artistes contemporains, exposition intitulée “Bonjour Monsieur Matisse! Rencontre(s)”. Relectures, réinterprétations, jeux, explorations, déclinaisons, hommages, des approches inégales mais souvent sensibles et inventives, respectueuses en tous cas pour la plupart, et surtout, gardant le peintre au cœur. Au bout du compte, un bon moment presque familial, avec le père Matisse au milieu. 

Un peu plus tard,  l'enchantement de revoir les planches de “Jazz”, cette fois dans ce curieux Palais Lascaris, “Jazz” et ses pochoirs extraordinaires de simplification et de poésie d’un coloriste magistral. Une surprise à chaque page, un étonnement permanent.

Enfin les “palmiers, palmes et palmettes” du Musée Massena, vaste escroquerie de commissaire en mal de sujet (Aillagon), qui a érigé le palmier en symbole de la Côte d’Azur,  a dérivé vers les palmes (académiques, lauriers des vainqueurs de l’histoire ou de la mythologie, etc.),  pour en faire un  innommable fourre–tout entre exotisme kitsch, peinture religieuse ou d’histoire des musées poussiéreux, art contemporain opportuniste et  art moderne prétexte. Tout fait ventre, dès lors qu’on y aperçoit un  bout de palmier ou de palme. La qualité des œuvres n’a aucune importance, l’exposition sent le remplissage à plein nez. Le commissaire bienveillant  a même réussi à placer une œuvre de la collection de son ami Pinault, d’Yto Barrada, un palmier métallique enguirlandé d’ampoules de couleur, allumées pour l’occasion, évidemment.
Aucun intérêt, même si on aperçoit un Picasso et un ou deux Matisse au détour d’une salle. Cela ne suffit pas à justifier l’ensemble.

Mais peu importent finalement ces trois propositions thématiques fallacieuses au milieu de cette belle idée. L’esprit de Matisse était bien là partout, flottant dans les rues de Nice, un peu comme l’air du large. Il était bon de le respirer.

samedi 7 septembre 2013

Ma foi, non

 

“Un chrétien qui serait en même temps un artiste n’existe pas”. (Nietzsche, flâneries inactuelles)

“Comment ? Vous n’êtes pas allé voir Art et Chapelles ?”, m’a t-on demandé ces temps-ci à plusieurs reprises et avec insistance. Il y avait dans la question presque un reproche, comme si ce circuit d’expositions montées à l’intérieur de chapelles éparpillées dans la campagne angevine  faisaient évènement incontournable.

Non, bien sûr, je ne suis allé en visiter aucune, de ces foutues chapelles, occupées le temps de l’été par des artistes sans vergogne qui, sous prétexte d’art contemporain, perpétuent la soumission artistique séculaire à un clergé qui ne sait plus à quel saint se vouer pour faire parler de lui.  Il tente l’art, il y a peut-être là un créneau. Les artistes conviés, très honorés, trop heureux de bénéficier d’une promotion à l’œil, n’hésitent pas à se fourvoyer dans des lieux douteux, où l’on vénère (ou vénérait), courbé et en rampant une idée responsable de bon nombre des atrocités de l’histoire. Mais le plus inquiétant est le discours de certains d’entre eux, à genoux devant le sacré, pliés par le poids du respect, soumis, petits communiants : “J’ai réalisé les papiers pendant la semaine sainte, porté par la programmation religieuse de France Musique, le travail s’est imposé sans effort comme si je n’étais que le canal du créateur”, annonce plein de sérieux l’un d’eux. Le même qui place sa croix devant l’hôtel (sic), ce qui est beaucoup plus drôle.

“Quelques toiles forment un ensemble dynamique nous invitant à nous diriger vers le haut de l'église : - vers le retour à la lumière – thème choisi pour ce projet…”, explique un autre. Rien de neuf dans la propagande, aucune évolution finalement dans la peinture religieuse depuis des siècles : art de commande, codifié, imposé pour aider les âmes perdues à trouver le chemin. Art contemporain, dites-vous ?

“…la réalisation de cette grande croix par un assemblage de toiles d'un format de 3 m par 3 m, par laquelle j'ai voulu représenter en apothéose l'élévation vers la lumière éternelle...”, poursuit-il.

Ensemble, prions.

“Thème choisi”, dit-il. Y a-t-il eu un contrat passé entre l’association religieuse organisatrice et les artistes retenus, avec  cahier des charges ? Y a-t-il eu une prescription, une orientation conseillée, comme jadis, dans le but de provoquer une sorte de dévotion chez le visiteur ? Les a-t-on priés de ? On peut le supposer, mais rien ne l’indique vraiment. Leur élan est peut-être simplement naturel, leur choix thématique purement individuel.

Celle-ci encore, transportée,  qui s’extasie devant “cette  capacité [des enfants] d'accepter, comme une évidence, le Divin et son mystère” et souhaite à tous la “capacité d’émerveillement et d’acceptation des enfants”. Tout en oubliant (naïvement?) de s’interroger sur ces adultes qui profitent de cette capacité pour enfoncer des chevilles profondes, dangereuses et douloureuses au fond des jeunes crânes dociles et confiants.

Aucune envie d’aller voir des œuvres qui “[tenteraient] de donner une forme au cheminement personnel d’une rencontre intérieure, d’un Dieu qui nous aime, comme un passage de l’ombre vers la lumière”, comme le déclame une autre des artistes.

Je veux bien admettre que certains soient nourris d’une forme de foi qui les aideraient à créer,  mais à la condition qu’elle soit silencieuse et invisible. Je refuse les discours associés  aux œuvres qui ressemblent là à un vague catéchisme de circonstance.

(Matisse a beau être une de mes grandes références, une de mes influences les plus marquantes,  je ne m’explique pas ses interventions dans les chapelles de Vence ou du plateau d’Assy.)

Il existe en Bretagne un événement du même type (“l’art dans les chapelles”, la nuance est d’importance), mais dans ce cas, même si les artistes sont invités à “dialoguer avec le patrimoine religieux”, ils ne sont apparemment pas poussés à se soumettre à une quelconque idéologie, cela se sent clairement dans le travail présenté. D’ailleurs l’association organisatrice regroupe des membres d’une communauté de communes, apparemment fort laïque. Dans ce cas, plutôt acceptable, c’est davantage  l’espace des lieux que les artistes prendront en compte, plus que l’esprit (saint, ou malsain ?) qui y règne.

Au-delà de la provocation dont je suis victime  quand on m’interroge sur ma possible visite de ces lieux de culte angevins (et puisque je suis rancunier, il me faut bien y répondre) subsiste un mystère plus large : comment l’artiste peut-il se soumettre à ce point ? Comment peut-il, sans être terriblement tiraillé, se mesurer dans l’acte artistique avec son Dieu/Créateur qui l’aime, mais qui le fait plier, se courber ? Il y a de mon point de vue une antinomie profonde entre l’art et la croyance. L’artiste  peut-il être superstitieux (les religions n’étant jusqu’à preuve du contraire que tissu de  superstitions), et risquer alors de faire reposer son travail sur autre chose que lui-même, le hasard ou l’accident ? Et surtout, comment peut-il supporter qu’un dieu mette la main dans sa pâte ? 

mardi 20 août 2013

Toute ressemblance


Bien sûr, il te faut connaître les proportions, les mesures types, la situation des sources lumineuses qui t’aideront à déterminer les plans du visage, donc les tons, donc les couleurs. Evidemment, il te faut connaître l’anatomie, la structure et la place des masses musculaires et osseuses, étudier la mécanique des mouvements de la tête pour comprendre la délicate distribution entre zones présentes et effacées réparties entre proche et lointain. Bien sûr, tu demandes à ton modèle de ne pas bouger, afin de retrouver la même orientation à chaque regard que tu portes. Bien sûr, tu as besoin des bases techniques, tu veux les recettes, les références, et tu les obtiendras un jour ou l’autre, d’une façon ou d’une autre, dans les livres, articles, cours. Tu appliqueras toutes ces données consciencieusement. Mais est-ce que tu tiendras ton portrait pour autant ?  Bien sûr tu sais qu’il te faut  traduire autre chose, disons l’expression, penser aux relations des éléments au moment où elle se dessine,  aux rythmes des lignes, des plans, des couleurs, des formes, etc.  Bien sûr. Admettons que tu aies tout suivi, à la lettre. Scrupuleusement, attentivement. L’as-tu, ce portrait?  Tu le tiens ?
Non, si tu en restes à la seule description. Non, si tu ne saisis pas ce que le sujet garde au fond de lui qu’il ne dit pas, non si tu ne peins pas tout ce qu’il ne montre pas, ses peurs, ses questions, ses manques. Il est fait de cela, ton modèle, il est  de cette chair accidentée et réactive, de cette structure endommagée, irrégulière, de cette peau chagrinée et usée du temps à cacher et porter son drame. Car il y en a un. Forcément. Comme dans chacun de nous.  Peu importe sa nature, un drame suffisant pour qu’il ait remué nos lignes. Ton sujet a un fond, sourd, lointain, sur lequel il s’est construit, avec lequel il lui a fallu s’arranger pendant sa vie depuis et qui, si tu fais bien attention, à marqué ses traits, ses teintes, ses contours autant que son esprit. Il est fait d’un terreau noir, d’un substrat caché qui le nourrit tout en le nuançant, qui le teinte et l’oblige à se tordre pour avancer malgré tout, comme un arbre qui pousse entre les pierres. Peins le bruit qu’il fait à l’intérieur, peins ses mots étouffés que tu entendras si tu regardes loin et longtemps. Peins ses zones d’ombres profondes afin d’en faire un portrait lumineux. Pour cela, il faut être devant lui, avec lui, vivre le temps du travail dans le même espace, respirer le même air que lui.
Et s’il n’est plus là, ton modèle ? S’il ne revenait jamais plus, retenu par la mort ou d’autres raisons tout aussi valables ? Ne t’inquiète pas : si tu as vécu cet espace avec lui un moment, un moment de regards lents et longs échangés,  alors la mémoire de sa présence colorera ton travail et cette couleur lui ressemblera.
De la même façon que le paysagiste, afin de créer une profondeur, doit représenter l’espace existant entre lui et son sujet, le portraitiste ne doit pas se contenter de la surface du visage devant lui, de la peau/carapace offerte à tous : il lui faut aller chercher dessous ce qui existe entre cette peau et le fond de son être. Un espace plus incertain, plus vibrant, plus nuancé, plus sensible, plus trouble, aussi.
Peins la fracture, la béance, le déséquilibre, c’est cela le beau de ton modèle, la beauté de ce qu’il cherche à préserver et qui vient malgré lui à la surface. Aussi la beauté de la façon qu’il a de se taire.  Mais pour cela il te faut être à l’écoute, au regard, plutôt, à la compréhension de la faiblesse, de la fragilité. Chaque peinture est pleine de la faille de son sujet, que tu peignes un arbre, un fruit, un visage, un corps, ou plus généralement une surface, fût-elle parfaitement abstraite. C’est cet équilibre instable qui paradoxalement fera la force de ta peinture et lui donnera un mouvement vital.
Tu l’as, ton modèle ? Oui, si tu peins sa tragédie, aussi sa solitude.

mercredi 12 juin 2013

idées courtes # 7

 

Contre tous et forcé.

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De l’intensité : peindre comme si c’était la dernière fois ou peindre comme si c’était la première fois ?

Il faudrait savoir.

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Faire ton portrait, c’est garder du temps pour toi.

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Comme un compliment, un visiteur lance au peintre, devant un de ses tableaux : “on dirait une photo !”

L’artiste avait pourtant essayé, de longues heures durant, de faire une peinture.

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Aller à l’atelier : se retirer dans ses apparentements.

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La peinture c’est sérieux, comme une première nature : je la mets au centre de ma gravité.

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Amateur éteint

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Ne pouvant faire mieux, vais tenter de faire autrement.

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Du peintre : homme (femme) à toutes mains, soit, mais ne travaillant pas à façon. Certainement pas.

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Depuis quelques mois, ma peinture est rouge de confusion.

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De l’influence : y mettre du leur, mais surtout du sien.

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Je peins sous la menace.

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Spectateur devant la peinture, j’ai mon exigence : j’aimerais en avoir pour mon regard.

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Travail d’après nature : le chevalet debout devant l’absence étendue.

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De la nécessité du titre : cartel en tête.

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Même pas pleur.

mardi 4 juin 2013

trois fois rien, ou le dessin de bas étage

 

 Notes écrites  l’été dernier, oubliées, retrouvées, livrées aujourd’hui en l’état :

La touffeur n’empêche pas les énervements…

Un  : ce matin, petit déjeuner au soleil avec lecture du Monde. Mais pourquoi diable ce journal continue-t-il à publier les dessins de Plantu ? Je l’avais déjà évoqué dans un précédent billet à propos de Forain mais aujourd’hui,  son regard du jour sur l’actualité (édition du 14 août 2012) est encore plus calamiteux que d’habitude : incapable de caricaturer Fillon, il est obligé de lui faire porter une valise avec son nom grassement écrit  dessus. Qui peut bien rire, ou sourire, ou être touché par les dessins quotidiens de Plantu ?

Deux : promenade estivale sur la Toile. Je tombe sur les pages d’une artiste qui professait dans la région il y a des années. Curieux de connaître son évolution, j’avance dans son site, et y découvre une magnifique phrase d’Ingres : “Le dessin est l'honnêteté du peintre”. Tout irait bien si l’œuvre qui accompagne cette phrase n’était pas celle-ci. Je n’aurai pas l’indélicatesse d’ajouter un  commentaire.

Trois : une salle d’attente avec quelques exemplaires d’un magazine traitant de la pratique des arts. Dans un vieux numéro, une page sur la composition des Ménines de Velasquez signée d’un ancien animateur d’atelier de par chez moi, mais comme il y en a tant partout. Il recommande très sérieusement de lire l’organisation de la toile plan par plan… Evidemment je bondis, je relis, je cherche, tourne la page, reviens, espère, mais non, rien, aucune proposition de compréhension de la structure du tableau par, au contraire, l’oubli des plans successifs, par l’aplatissement de ces plans en un seul, celui de l’image. C’est pourtant là que la composition se révèle, bien au delà de la figuration. Il suffit par exemple de tirer la ligne qui joint les deux rosaces sombres gouttant du plafond et de la poursuivre vers le bas pour rencontrer le bras oblique d’un personnage, de prolonger les fuyantes (vers le lointain, donc) de la perspective pour atteindre paradoxalement les autres personnages situés au  premier plan et concorder avec leurs attitudes, de chercher à découvrir les lignes concourantes à celle du pied du chevalet  ou au contraire à la ligne directrice de la jeune fille agenouillée, d’en déduire les rythmes, d’y ajouter les correspondances entre le dos du châssis sur lequel travaille le peintre et les nombreuses surfaces rectangulaires de l’extrême fond de l’atelier. Et j’en passe. Une telle lecture structurelle illustre l’éternelle ambigüité  de la peinture : cette circulation incertaine, souvent troublante, du regard et de l’esprit  entre le plan de l’objet-tableau et la profondeur de l’espace représenté, comme une proposition de l’artiste au spectateur de dépasser la simple image pour aller vers la peinture, et comprendre que le dessin du tableau n’est pas qu’affaire de forme, de contour ou de sujet, mais aussi d’architecture d’une seule surface plane. Sans doute la vulgarisation recommande-t-elle de taire ce qui va un peu plus à l’intérieur de l’œuvre. D’un article de salle d’attente, fallait-il en espérer plus ?

samedi 18 mai 2013

Réflexions printanières sur les Hivernales

 

“Nous nous sommes déjà rencontrés, non  ? Aux Hivernales je crois, c’est bien ça ?”

C’est la question que me lance l’autre jour un faux galeriste et véritable imposteur lors d’un rendez-vous qu’il m’avait proposé, tout “intéressé par mon travail” qu’il était. Je ne me reconnais pas, je suis d’habitude plus méfiant : je ne l’avais évidemment rencontré nulle part. Il ne cherchait qu’à me vendre des prestations ronflantes, expositions partout en France et à l’étranger, avec retombées assurées, disait-il. Nos chemins ne se croiseront pas deux fois.  L’intéressant pourtant dans cette histoire, c’est qu’il a donc, par sa question, implicitement avoué démarcher (chercher des artistes susceptibles de tomber dans son panneau) dans diverses expositions de groupes  et en particulier lors de ces fameuses Hivernales.

Nous ne tenons pas là, cette fois encore, le salon idéal. La “Maison des Artistes” a eu l’opportunité de contribuer à organiser et promouvoir  en décembre dernier cette nouvelle manifestation artistique, qui s’est tenue au Palais des Congrès de Paris-Est de Montreuil (Seine St Denis),  grâce à un riche homme d’affaire qui a proposé la mise à disposition gratuite de l’espace pour quelques jours. De là, l’idée a germé  qu’un salon pourrait s’y tenir,

“dans un lieu véritablement adapté, parfaitement accessible et pour un coût imbattable, [où] les plasticiens de toutes sensibilités pourront présenter leurs œuvres, échanger, dialoguer, débattre et manifester leur solidarité. En partenariat avec la Maison des Artistes, cette nouvelle manifestation internationale dressera le panorama des expressions plastiques contemporaines : peinture, sculpture, gravure, dessin, photographie, art mural, architecture, céramique, arts du feu, livre d’artiste, illustration, art numérique, design, bande dessinée, street art, vidéo-art, et installations… seront de la fête ! Une rencontre inédite qui témoignera de la diversité, du dynamisme, de la tonicité des créateurs venus de tous horizons.”

Parfait dans l’intention. Passons aux faits : la Maison des Artistes est  ce qui se fait de mieux actuellement pour défendre les créateurs dans leur diversité et dans leur statut social. Mais cette diversité  est telle qu’elle touche parfois au contraire même de ce qui me semble relever de la création. Dans la réalité, assujettissement et affiliation n’exigent pas nécessairement force et engagements créatifs véritables et profonds, pas plus qu’un certain niveau de qualité du travail artistique, autant de notions  évidemment non mesurables. Seul compte le revenu, que certains tirent d’un travail à la manivelle ou en peignant le dimanche seulement.

Malgré  l’article satisfait de Nicole Esterolle dans son blog (article ici, que la MdA ne se prive pas de relayer pour la promotion de la prochaine édition) à propos de ce salon, la  “reconstruction de vrais  critères d’évaluation esthétique” ne devrait pas aboutir à  ce mélange improbable de croûtes et de créations authentiques, résultat d’une offre tentante : chaque artiste doit débourser 110 euros par œuvre, jusqu’à concurrence de dix, pour un  grand week-end d’exposition, 900 exposants ayant été retenus. La sélection est faite par les artistes eux-mêmes, en tous cas ceux inscrits à la maison des artistes, dans une sorte d’agora participative par le biais du site internet…

Une remarque : N. Esterolle, entre autres contentements devant les Hivernales, se réjouit dans son article d’avoir senti dans cette manifestation un nouveau mouvement  émerger,  le “happy art”, dont elle dresse le portrait : “enjoué, coloré, positif, qui se démarque de l’esthétique dominante [qui] fait plutôt dans la questionnite pathos, déprimante, l’angoisse, le morbide et le catastrophisme spectaculaires”.  Sont-ils visés les Bosch, le  Gréco, Rembrandt et ses enfants artistiques (Soutine, etc.) ? Sont-elles visées ces  peintures religieuses dont le catastrophisme, la morbidité et la violence spectaculaires ne sont pas à démontrer ? Et les expressionnistes,  les romantiques, et Morandi, Freud,  Bacon, Fautrier, et leurs descendants neurasthéniques, désespérés ou seulement inquiets ? Cette bloggeuse réjouie est-elle allée visiter la récente exposition “l’art et la guerre” du Musée d’art moderne de la Ville de Paris ? Elle regarderait peut-être alors ses Lou Ravi d’artistes d’un œil différent… Le fait même de créer est positif, quels que soient les circonstances et les sujets.

Mais revenons à nos Hivernales : il existe bel et bien aujourd'hui un amateurisme professionnel. Et c’est bien à cause d’un système qui tient compte, pour définir le statut (administratif) d’artiste, uniquement du chiffre d’affaire et/ou d’un  très vague curriculum vitae qui, le sait-on ?, est totalement invérifiable et gonflable à volonté. Les galeries “immobilières” y contribuent largement, mais aussi les milliers de salons locaux et  régionaux qui se passent de toute réflexion sur l’art et ne savent pas (ou ne veulent pas) s’entourer de conseils avisés.

La question est pourtant bien posée, elle concerne effectivement les critères d’évaluation esthétique. Mais qui accepterait de les établir et de les faire valoir ? Qui constituerait le collège qui statuerait sur ces critères ? Il y aurait évidemment trop de mécontentement parmi les artistes sans art, qui ont pourtant le mérite d’apporter les devises nécessaires à l’organisation de tels salons.

Le problème est immense, définitivement irrésolu, puisqu’il se nourrit de la subjectivité, des influences,  intérêts, conflits idéologiques, notions philosophiques instables liées aux époques et aux mouvements de l’art, donc évidemment discutables, mais aussi de l’ignorance, de l’étroitesse, paresse, auto-satisfaction et facilité.

Le salut est peut-être chez le spectateur, s’il accepte de se forger sa propre définition de l’art et de l’artiste, en toute honnêteté et en toute exigence. Mais pour nourrir sa réflexion, quelles expositions lui propose-t-on ?

dimanche 31 mars 2013

Au quotidien


Ne compte plus les jours passés dans l’atelier à tourner autour de l’idée. Des notes d’origine ai pu tirer un grand papier à l'échelle un de la toile pré-vue. Autrement dit un brouillon de 2.20 x 1.50 m qui augmente tellement les surfaces initiales de ma pauvre page de carnet d’études que suis perdu. Complètement dérouté égaré devant cette grande aile géométrique épinglée. Des larges zones ébauchées coulent des teintes au pied du mur. Rien ne vient d’autre qu’un immense inconnu rectangle vertical qui m’échappe. De dépit, morne, retourne aux encres en tentant d’établir les bons rapports.  Désorienté, davantage encore devant ces feuilles couchées qui ne font rien comme j’aimerais, qui font fuser les tons qu’il faudrait retenir et qui bloquent ceux qui devraient filer s’étendre avancer dans les autres.
Ne compte plus les jours où monte le niveau sonore de la musique pour ne plus penser : seulement s’enfermer voir et sentir. Acheté grand rouleau de papier fort pour espérer d’autres réactions. Stérile, sec, pauvre mec, te prends pour un artiste ? Découpe des bandes déchire des morceaux, arrache des lanières de toiles essaie d’assembler autrement puis monte sur le vieil escabeau de bois branlant pour reculer en l’air, faisant tenir les feuilles au sol avec des presses de l’île (chaque page tirée à quatre galets) ou au mur en jouant le couturier qui retouche d’épingles prises au bras ou entre les dents. Une fois piquée la lèvre et sang coulé longtemps. Les règles de l’art.
Ne compte plus les jours où je pense ne pas aller à l’atelier me sachant incapable ; ceux où une fois entré veux fuir à toutes jambes devant tout ce qui ne vient pas. A chaque fois, à chaque jour, reste insiste recommence gueule seul devant le panneau face aux rouges aux papiers aux encres aux signes au silence dans un bain de confusion.
Un jour qui compte celui où la toile cède et se tient presque — pourquoi maintenant ?— reçoit chaque élément à sa place, où l’articulation commence à fonctionner sans grincer, où poids et contrepoids s’entendent, s’écoutent, où les couleurs font attention, partagent, où de loin comme de près le rectangle vicieux et fuyant se plie à mes conditions, se soumet à mon idée pourtant bien mal fixée. Je sais qu’il ruse, mais me glisse dans la brèche.
S’il fallait un prétexte pour revenir demain.

lundi 4 février 2013

Lettre ouverte à Madame l’Adjointe au Maire d’Angers en charge de l’Art d’Ici

 

Madame l’Adjointe au Maire d’Angers Déléguée à la Culture Collective,

je viens de prendre connaissance de l’appel à projets* pour la manifestation “Art d’ici” en 2013, et souhaite vous faire part de mes réflexions à ce sujet. Réflexions que j’avais par ailleurs  déjà confiées à une représentante de la Municipalité venue visiter en votre nom ma dernière exposition personnelle angevine, en septembre dernier. Je lui disais à l’époque mon étonnement et ma déception de voir privilégiés, pour la manifestation de 2012, exclusivement  des projets collectifs, essentiellement associatifs, censés, selon la communication abondante liée à la  dite manifestation, représenter l’art d’ici, c’est à dire du territoire d’Angers. J'avais tenté d'expliquer que pour certains artistes, et de tous temps, le travail de création ne pouvait être envisagé autrement que solitaire, individuel, isolé, et qu’il était étrange de vouloir faire croire au public que la meilleure représentation de l’art passait nécessairement par l’association, le regroupement, le mélange ou l’accouplement des artistes. Cette personne, fort à l’écoute, semblait m’entendre et comprendre toutes les difficultés que les artistes véritablement indépendants rencontrent, mais admettait que les choix politiques n’allaient effectivement pas dans ce sens... Elle promettait cependant de vous rapporter la teneur de notre conversation.

Je vous avoue donc que la première lecture de l’appel de cette année m’a laissé espérer un changement : car on y parle bien de ces artistes indépendants. Oui, on y a pensé, c’est donc une catégorie  bien réelle, identifiée (mais alors il y aurait, par conséquent, des artistes dépendants ?…). La déception n’a pas tardé : aussitôt après les avoir reconnus, on leur demande d’inviter d’autres artistes pour monter un projet finalement collectif. Nous y revoilà : il faut faire rentrer dans le rang ces brebis déviantes et marginales en leur promettant si elles se parlent, s’invitent, s’acoquinent, projettent, se draguent, se fréquentent,  s’hypocrisent pour l’occasion,  de considérer leur effort et de les peut-être exposer, en leur donnant des moyens municipaux…  Au prix seulement de ces rapprochements elles représenteront l’art d’ici. Ce qui contredit me semble-t-il un des objectifs annoncés de votre manifestation qui est de “favoriser la diversité de formes et de modes d’expression artistique”.

Bien sûr, je pourrais adhérer à une association, me mettre en cheville avec quelques artistes et imaginer avec eux un vague projet qui pourrait entrer dans un lieu de la ville. Mais, voyez-vous, je n’y arrive pas. Je ne sais pas faire, je ne suis pas comme ça. Je travaille seul,  projette seul, et préfère concentrer mes efforts dans cette autonomie et sur les projets individuels qu’elle fait naître qui, eux aussi, ont besoin d’être montrés. Et croyez bien que je ne parle pas en mon nom particulier : nous sommes nombreux dans cette indépendance. Ceci dit, je n'aurais aucune raison de refuser de m'associer à un projet s'il était proche de ma sensibilité. Etudierai toute proposition. Aujourd'hui pourtant, la question reste entière : pourquoi ne pas ouvrir "l'art d'ici" à des projets individuels ?

Madame l’Adjointe au Maire d’Angers Déléguée aux Evènements Culturels Collectifs, pouvez-vous comprendre qu’ici, dans votre territoire, vivent et travaillent depuis de longues années des artistes qui ne peuvent trouver leur essence, leur salut, le sens de leur création que dans une attitude libre de tout conditionnement, de tout mariage d’intérêt, que seule la solitude leur permet d’avancer, que de leur intraitable indépendance  dépend la sincérité de leur œuvre ? Pouvez-vous imaginer que pour certains le travail artistique ne puisse pas se réaliser autrement que dans cet inconditionnement absolu ? Cela enlève-t-il une quelconque valeur à ce travail ? Cela le rend-il moins montrable, moins intéressant, et surtout moins d’“ici”? Cela mérite-t-il donc d’être moins encouragé ? Voire d’être méprisé ?  C’est ce que je comprends dans votre appel (mais je ne demande qu’à être contredit, rassuré) et dans la communication associée et j’en suis parfaitement désolé.  Alors je vous le demande : que proposez-vous à ces artistes-là, aux solitaires indécrottables et incapables de faire mieux ?

(Autre question soulevée par cette initiative : plusieurs membres des associations intéressées sont artistes amateurs, ce qui augmente encore la confusion dans le public à ce sujet, sans parler des quelques problèmes administratifs que cela pourrait poser. Loin de moi l’idée de dénigrer le travail amateur, j’ai tendance au contraire à l’encourager, mais faut-il le diffuser en même temps  ? D’autant que d’autres manifestations municipales comme “Mon voisin l’artiste” s’en chargent déjà, et à la même période…).

Je m’aperçois aussi qu’en 2013, cette manifestation d’art collectif officiel occupera cette fois l’actualité artistique locale du 25 septembre au 11 novembre, soit une semaine de plus encore qu’en 2012, soit quelques jours à peine après le festival de rue  non moins officiel qui envahit les colonnes des journaux, les vitrines et les médias dès la rentrée et soit juste après les incontournables journées du patrimoine.  La presse “d’ici,” toujours très réactive quand ils s’agit de relayer les évènements officiels, ainsi que tous les supports de communication seront donc monopolisés un peu plus par le pouvoir culturel municipal, au détriment bien sûr des éventuelles initiatives créatives indépendantes, de plus en plus noyées dans le flot des manifestations culturelles prépayées ou subventionnées (Municipales, Régionales, Générales ou Nationales).

Madame l’Adjointe au Maire d’Angers Chargée du Regroupement Artistique, je sollicite par la présente (tout en vous priant de prendre cette démarche non pas comme une revendication amère, mais plutôt comme un véritable geste artistique contemporain) le droit d’exister tout seul aux yeux des responsables culturels de mon territoire, mais d’exister tout de même, et je souhaite porter à votre connaissance une nouvelle fois mon travail et  mon projet artistique.  J’imagine en effet que votre prédécesseur, que j’avais rencontré avec un dossier préparé à l’époque pour le hall du Grand Théâtre, lieu souvent dédié aux expositions, a dû le glisser assez vite à la poubelle, mon parcours ne m’ayant pas (ou si peu que c’en est négligeable) conduit vers les Beaux-Arts d’Angers, ce qui à l’époque de ma demande était de son propre aveu rédhibitoire pour y exposer : lieu réservé, comme tant d’autres, aux étudiants ou anciens étudiants ou enseignants ou anciens enseignants de la prestigieuse école. Mon projet artistique, voyez-vous, n’est rien d’autre que de poursuivre honnêtement mon chemin pictural, il n’est pas pour l’occasion d’en inventer un autre bien artificiel avec des (faux) amis artistes de passage pour espérer obtenir l’octroi d’une salle locale et une grosse  promotion associée. J’osais espérer qu’une véritable politique culturelle aurait davantage pris en compte les sensibilités individuelles de la région. En toute indépendance.

Il se peut qu’en réponse, vous avanciez l’argument de la salle municipale (la vieille tour près du Musée) mise à la disposition des artistes pour des expositions personnelles. Je vous répondrais, pour l’avoir occupée par deux fois il y a 25 ans, qu’elle est minuscule et sombre, et que la prise en charge des modalités d’exposition et de communication n’a rien à voir avec les lieux de “l’art d’ici”.

Car voyez-vous, ce n’est pas parce que l’on travaille seul que l’on est indifférent aux aides publiques existantes, surtout lorsque l’on est un  peu attentif à la façon dont elles sont octroyées.

Les budgets culturels étant partout en baisse, il faut trouver des parades : on peut imaginer et comprendre que se reporter sur les associations et les collectifs permette d’alléger substantiellement les charges et les coûts d’organisation. Peut-être est-ce une des raisons de l'orientation choisie ?

N'aurait-il pas été finalement préférable d'adresser cet appel aux artistes plastiques plutôt qu'aux plasticiens (mais à peu de choses près…). Car il faut faire preuve d'une vraie malléabilité pour, tout à coup, lorsqu’on besogne depuis toujours dans son coin d’atelier silencieux, se mettre à fréquenter, à batifoler collectivement pour monter un projet. Vous ne nous demandez là rien d’autre que de sortir de l’état sauvage.

Pour qu’on ne morde plus ?

*lien vers l’appel à projets

samedi 26 janvier 2013

esquisse perdue

 

Fusain putain n'embrasse pas, ne reste pas, magnifique sur le coup

du plaisir

suit fusain suie sale

crisse baguette et casse et tombe

poussière s'accroche tant bien que mal

au vergé

pâlit sous le souffle doigts n’y font rien

brumeux sous la chiffe tout fusain de suite.

Sortie des réserves : molle matière grise voudrait éclairer

les oublis

mais des heures sourdes et longues à la joue du carton

passent ensuite laissant seul souvenir d’éclat.

Cela suffit, il faudra s'y faire

Noir (ivre) de tout bois.

jeudi 17 janvier 2013

Les bons comptes, ou la minorité visible

 

 Photo0085 Au dernier étage du centre Pompidou, quelques mètres avant de pénétrer dans les salles consacrées à Dalí, la file d’attente devait passer sous deux écrans qui comptabilisaient en temps réel les entrées des expositions du moment, celle de Dalí donc, et celle de Bertrand Lavier, un des plus grands artistes français, nous dit-on, “légitime héritier de Marcel Duchamp” (dixit Dagen, Le Monde, 27/9/2102), d’une haute réputation, à la mesure de celle de Messager et Boltanski, c’est dire. Lancé en 69 par Catherine Millet, c’est re-dire… Le centre Pompidou fait son boulot de lieu d’art contemporain en consacrant des salles pour que le public se “déprenne de ses certitudes sur l’identité de la peinture, de la sculpture, de la photographie ou de la représentation” (dit un article sur le site de Beaubourg) en se confrontant à la “non-rétrospective” (dit encore Dagen) de Lavier.
Avant d’entrer dans l’exposition de Dalí, on pouvait apercevoir sur la droite quelques œuvres de ce fameux artiste plasticien français qui “interroge les rapports de l'art et du quotidien” (Wikipédia), mais surtout, et c’est frappant, le désert humain qui les entourait. Car personne ou presque ne s’y égarait ce matin-là, malgré les ronflants et nombreux articles de la presse, l’importante promotion et la magnifique situation : vingt minutes après l’ouverture du centre, les compteurs affichaient déjà pour Dalí plus de 300 âmes et pour Lavier… 4. Beaubourg ne manquera pas de communiquer bientôt sur les milliers d’entrées de l’exposition du Catalan, mais oubliera peut-être de le faire pour le Français.

Au bout du couloir, juste après les salles du grand artiste contemporain, et juste avant celles de Dalí, j’ai compté au même moment 6  personnes sortant des toilettes. Un succès pour Duchamp.

samedi 5 janvier 2013

le contre et le contre

 

“Une seule issue : parler contre les paroles… Il n’y a point d’autre raison d’écrire”  (Francis Ponge)

 

 

Peindre contre l’ombre seule

l’oubli, évidemment

le froid des yeux

la peur du blanc puis celle du plein

la paresse et la foule

les feux mal éteints et la cendre froide

Peindre contre l’habitude insoutenable

contre les questions qui reviennent et pourquoi peindre et quoi peindre et pour qui peindre

 

peindre contre

les lieux communs, les déjà-vus

les vertiges, malaises, relâchements

père et mère et vents et marées

le bruit de la satisfaction

soi

les regard fuyants, glissants, sans arrêt pour contempler

contre la pose, la posture, l’imposture

la forme seule et le mépris

l’embonpoint

l’achèvement, la fin

le soir même

le vague et le vaguement, les désengagements ou les peut-être

peindre contre le sacré

les prêcheurs et les sermons

peindre comme vivre

contre tous les vents conjugués

et les temps contraires

peindre sur l’envers et contre tout

peindre et vivre contre : rien ne s’y oppose.