samedi 24 avril 2010

Subventions pour enjeux contemporains

 

Aujourd’hui, le peintre travaille en sécurité et à son aise dans l’espace agrandi de son atelier.  Mais il est loin d’avoir oublié l’époque où mener plusieurs toiles de front l’obligeait à un exercice de rangement permanent qui dévorait son temps de peinture. L’époque où  la dangereuse exigüité  de son atelier, lorsqu'il souhaitait se consacrer à la gravure, lui imposait de prendre d’infinies précautions pour éviter des accidents avec les acides, au milieu d’un fatras qu’il tentait pourtant d’organiser à chaque instant. L’époque où engagé dans des nouvelles peintures aux formats importants, il ne disposait plus du recul nécessaire, sauf dans le jardin.

Un jour d’hiver, au bord de l’étouffement et du découragement, ayant eu une frayeur en allumant son vieux poêle au milieu des vapeurs de solvants, il décida qu’il agrandirait son atelier. Quelques temps plus tôt, il avait appris de la bouche d’un responsable de la Maison des artistes qu’il existait dans ce domaine une possibilité d’allocation, délivrée par la DRAC de chaque région. Fort de ces informations, le peintre dénicha les conditions et les formulaires. Entrant parfaitement dans les critères d’attributions de ces aides, il se lança dans la constitution d’un dossier : plans d’agrandissement, devis détaillés, projet de financement, raisons motivées de la demande, dossier artistique.

Pourquoi a-t-il eu dès le commencement cette sensation de doute quant au bien fondé de cette démarche ? Peut-être au vu des noms et surtout des travaux des artistes aidés les années précédentes… Peut-être sans illusion, connaissant bien la maigre considération pour la peinture qu’affichent la plupart des organismes officiels…  Après l’envoi, pensant que sa requête se devait d’être soutenue de vive voix, le peintre sollicita un entretien avec le fonctionnaire responsable de la DRAC, conseiller pour les arts plastiques. Il obtint laborieusement un rendez-vous,  au prix d’une grande insistance. Il fit une centaine de kilomètres pour s’y rendre, prenant le temps du voyage pour repasser sur les nombreux arguments complémentaires qui démontreraient la nécessité, afin que son travail puisse continuer,  d’agrandir et de sécuriser l’atelier. C’est lors de cet entretien qu’on lui fit comprendre, à mots à peine couverts, que sa demande ne passerait pas :

“Votre dossier est très complet, très bien monté. Les plans mettant en avant l’ergonomie et la sécurité sont très bons, mais je ne peux pas vous promettre que le jury retiendra votre demande. C’est sur le volet artistique qu’il risque de buter. En général, il attribue de préférence les aides à des artistes travaillant dans des disciplines émergentes, la photographie, la vidéo, les installations, les arts utilisant les nouvelles technologies”.

- Mais vous ne pensez pas que de temps en temps, un peintre pourrait aussi être aidé, si ses besoins sont réels ? Et puis rien de cela n’est dit clairement : ni dans les textes d’information, ni dans les critères décrits dans les formulaires on ne parle de préférences… On y parle des artistes en général…

- Je ne sais pas, vous savez, moi, je ne fais que vous informer sur ce qui risque de se passer, mais je ne peux préjuger de rien. De toute façon, votre dossier ira bien en commission, et nous vous tiendrons au courant.”

La date de réunion de la commission était passée depuis plus de quinze jours, et le peintre n’avait reçu aucune nouvelle. Il prit son téléphone, eut enfin en ligne le fonctionnaire, non sans avoir buté plusieurs fois contre la barrière très efficace de son secrétariat-filtre, et obtint cette réponse :

“Oui, non, euh, non, votre dossier n’a finalement pas été retenu. C’est bien ce que j’avais pressenti. Votre peinture n’est pas sans valeur, mais la peinture en général fait partie des disciplines historiques, non  pas des émergentes, et votre travail  n’est de fait pas assez ancré dans les enjeux contemporains… Je regrette.”

Le peintre eut ce jour-là  la confirmation officielle de ce dont il se doutait : dans le domaine des arts plastiques, les subventions, alimentées bien sûr par les contribuables, ne servent pas, comme on veut le faire croire, de soutien aux artistes dans leur diversité (individus, personnalités indépendantes aussi singulières que plurielles, travaillant dans des disciplines simplement adaptées à leur sensibilité et non aux courants dominants). Non, ces subventions sont utilisées pour financer la promotion d’une idéologie dont certains artistes, triés sur un volet tendancieux, ne sont que les vecteurs.

Le peintre, habitué à ne pas compter sur les autres, se remit à son dossier et recalcula son financement, en sachant qu’il lui faudrait  faire beaucoup de travaux par lui-même, et qu’il ne pourrait par conséquent pas peindre pendant presque une année.

Tout en se demandant en quoi, au fond, les enjeux de l’art contemporain se distinguent autant des enjeux de l’art tout court, il prit son courage à deux mains,  fit un emprunt à la banque, et alla déposer à la mairie sa demande de permis de construire.

samedi 10 avril 2010

Idées courtes

Mon dernier livre se terminait par quelques paroles brèves, glanées de-ci, ou bien de-là, dans mes carnets d’atelier. En voici d’autres, récoltées récemment :

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A trop se chercher, on risque de se trouver mal.

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Au dessus de la porte de l’atelier, écrit à l’encre, côté jardin, "Travailler, pas produire".

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Le juste milieu n’est surtout pas au beau milieu.

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Le comble, pour un dessinateur, serait d’être effacé.

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La peinture ne mourra jamais : on aura toujours besoin de parler à ceux qui sont partis.

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Le fleuve recommence autrement. J’apprends cela de lui.

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Résister aux lieux communs :

Bon nombre de peintres ont affirmé d’un air profond “entrer en peinture comme on entre en religion”.

Non, on ne peint pas par lâcheté.

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« Tiens-toi à carreaux ! », ai-je lancé l’autre jour à un faux-peintre.

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« Tu as pris des couleurs ! », me dit-elle.
Je venais de l’atelier.

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Ce gars s’écoute parler. Aujourd’hui, je ne vaux pas mieux, je me regarde peindre.

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Une toute petite table, une toute petite lampe, un tout petit pinceau, un tout petit papier, cela m’est égal, si j’ai une grande solitude.

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Ni produire, ni reproduire. Peindre.

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Début d’une lettre à un galeriste : « Monsieur, j’ai ici quelques toiles qui ne demandent qu’à sortir de l’atelier ».

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Depuis quelques temps, la Loire coule des jours heureux. Décidément, j ’ai tout à apprendre du fleuve.

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Enseigner ce que l’on pratique et pratiquer ce que l’on enseigne ? Ni l’autre.

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Je vais au jardin récolter quelques idées.

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Le tableau, c’est le souvenir de la peinture.

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A l’atelier : lorsque je ne comprends plus ce que je fais, alors je comprends qu’il y a peinture.

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Chaque matin, l’encre de Chine, de but en blanc.

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La couleur est grisante.

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Qui a dit que les peintres n’avaient pas les pieds sur terre ?

Je travaille au sol des grandes peintures chargées d’ocres.

vendredi 2 avril 2010

Harouel, ou la (très) grande falsification

Peut-on souhaiter la mort d’un livre ?

Le pilon, et le plus vite possible, c’est tout ce que je souhaite à “la grande falsification” de Jean-Louis Harouel. Un tel tissu de contre-vérités historiques (de l’art) et de positions autant primaires qu’extrémistes ne mérite pas mieux, à mes yeux.

Pourtant, j’apprécie en général les essais, analyses, pamphlets, charges, traitant de l’art contemporain, non pas pour entretenir une méfiance et une prudence vis à vis de ce qui se crée aujourd’hui, mais pour garder recul et discernement devant les courants, modes, idéologies, et impostures qui se mêlent à la foisonnante et passionnante création d’aujourd'hui. En découvrant un nouveau livre sur le sujet sur la table d’un libraire, je me suis pris à le feuilleter. Et fus frappé d’étonnement, puis de colère, puis de rage en y découvrant un acharnement délirant contre tout ce qui dans l’art d’aujourd’hui n’est pas non seulement de la peinture, mais aussi de la peinture réalisée (je cite) “à l’ancienne”, dans “le respect des traditions”. En résumé, la thèse de ce triste sire consiste à affirmer que l’invention de la photographie a été un désastre pour les peintres qui, ne pouvant plus réaliser de portraits ou des paysages de la même qualité descriptive que les photographes, ont dû, pour la plupart, renoncer à leur art. Ceux qui ne l’ont pas fait se sont mis, pour rebondir, à peindre, selon JLH, n’importe comment et n’importe quoi. Le premier peintre dégommé par cet incohérent est Manet, qui a (pauvre homme) perdu la troisième dimension tellement indispensable à la figuration. Suivent les impressionnistes, puis Cézanne, Gauguin, et tous les autres. Picasso évidemment est épinglé (“désastre artistique de son œuvre surabondante”, rien que ça…) ainsi que Kandinsky, Ernst, et j’en passe. Ceux qui trouvent grâce à ses yeux sont ceux qui poursuivent l’œuvre de peinture réaliste, fidèle à la tradition, en respectant “l’exactitude des lieux, des êtres et des choses” (même lorsqu’il s’agit de scènes ou de paysages imaginés). A condition tout de même que cette exactitude reflète la beauté de la réalité. Sinon, à l’index ! Lucian Freud avec son “entreprise négative” par exemple, est abject, hideux, monstrueux, etc. Le plus tordu est l’amalgame que l’indélicat crée sournoisement en insérant régulièrement dans son petit tour de l’histoire de l’art récent une énumération des pires dérives artistiques de l’art contemporain, “Merda d’Artista” de Manzoni ou les fumisteries dispendieuses de Koons par exemple.

Je n’ai pas acheté ce livre, je me serais reproché d’avoir donné le moindre centime à ce personnage. J’ai attendu de le trouver dans une bibliothèque pour le lire attentivement. Cela n’a pas été bon pour ma santé : énervement, coups de colère, accès de violence rentrée… Je me suis demandé s’il fallait en parler ici, sans risquer de lui faire une publicité qu’il ne mérite pas. Mon seuil de tolérance est atteint. Mais j’ai considéré que de telles positions montrent bien le manichéisme des positions générales sur l’art contemporain, que les amalgames simplistes qui en découlent sont dangereux et qu’il serait bon de clarifier quelques points : par exemple, le sinistre auteur dénonce quelque part dans ses éructations malsaines la main-mise de l’art officiel institutionnalisé sur les lieux d’art, et sur certains artistes, cela au détriment de bien d’autres qui n’arrivent pas à se montrer. Il a raison, a priori, mais pour lui, ces pauvres artistes délaissés et méprisés par les institutions sont uniquement et exclusivement ceux qu’il aimerait voir glorifiés, ceux-là mêmes qui font un art passéiste, traditionnaliste, quasi intégriste, nourri de lieux communs, de clichés, de bons sentiments régionalistes ou nationalistes, une peinture dégoulinante de niaiserie religieuse ou historique, de supposées grandes valeurs que je ne partage pas. Dans la forme, j’exprime souvent ce fait avéré : les institutions font des choix artistiques tendancieux, discutables, discriminatoires, sous prétexte d’avant-gardisme et d’”émergence”. Mais dire cela ne me rapproche pas pour autant de ce personnage infréquentable et ne fait pas de moi un réactionnaire extrémiste. Notre fâcheux est resté coincé, (c’en est atterrant) à David et aux “pompiers” qui ont suivi, il encourage ceux qui continuent à sévir, et il est finalement aussi tendancieux que ceux qu’il dénonce. Je pensais qu’un agrégé de droit (mais apparemment désagrégé en histoire de l’art) et diplômé de Sciences Po (c’est sur la 4è de couverture) était suffisamment intelligent pour comprendre et admettre que la naissance de la photographie a été au contraire un formidable tremplin à la liberté de la peinture et des artistes, qui pouvaient enfin se débarrasser des codes traditionnels de représentation, pour faire parler leur propre raison, et leur véritable sensibilité. Qu’ils pouvaient désormais ne plus mettre leur art au service d’une cause, ou d’une pensée collective, mais bien à celui de leur humanité individuelle. C’est sans doute cela que le malsain appelle la décadence de l’art. Il ne supporte pas l’importance prise pas la personnalité des artistes. Leur indépendance d’esprit, finalement. Monsieur ne se prive pas aujourd’hui de faire conférence sur conférence à propos de cette décadence, dans des milieux aussi peu recommandables que le Club de l’horloge ou Radio-Courtoisie… Son livre a même reçu le prix Renaissance, qui est bien autre chose qu’un gage de qualité littéraire, me semble-t-il…

Discuter de tout, mais pas avec tout le monde : resté sans voix en lisant le chapitre sur les régimes totalitaires qui seraient “responsables” de l’expansion de l’art moderne aux Etats-Unis, le raccourci illégitime qui fait de la peinture le seul art digne de ce nom, ou la conclusion abrupte et obtuse, je ne veux pas entrer dans une contre-argumentation de toutes les stupidités énoncées. Inutile, et vain. Me vient plutôt, pour revenir au postulat introduisant le livre, une phrase de Brassaï :

“La photographie, c'est la conscience même de la peinture. Elle lui rappelle sans cesse ce qu'elle ne doit pas faire. Que la peinture prenne donc ses responsabilités.”

Je vais de ce pas rendre (vomir) ce livre à la bibliothèque, en espérant qu’il se perdra à jamais dans les rayonnages.