lundi 20 janvier 2014

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Une belle exposition arrive à Paris prochainement, après une installation à la Piscine de Roubaix. Une exposition confidentielle qui n’est malheureusement pas annoncée dans les grandes sélections de la presse pour cette année. Il s’agit  de Wemaëre & Jorn, ou le parcours d’art et d’amitié de deux artistes à travers leurs œuvres individuelles et communes. L’un du Nord, l’autre du Danemark. Renonçant, au vu du catalogue, à visiter l’exposition sur l’âge d’or de la peinture danoise au XIXè,  plutôt étroite et repliée dans ses frontières, j’ai préféré flâner au même endroit (la Piscine, donc), mais dans le déambulatoire des cabines autour du grand bassin.  A ce propos,  l’allée de sculptures assez piètres qui compose ce bassin ne m’a pas empêché d’apprécier grandement la qualité de ce moment et de cet endroit, baignés ensemble de la lumière colorée des verrières en demi-cercle.
C’est donc là que se tient l’exposition Wemaëre & Jorn, et c’est là que les questions ont commencé… Car immédiatement, essentiellement à propos de Wemaëre, on pense à des artistes plus renommés : Ernst, Miró, Klee, mais aussi Tanguy, Kandinsky, et d’autres. A tel point que l’on pourrait parfois y voir des œuvres inconnues des artistes cités, s’il n’était la signature.  Œuvres de jeunesse, initiatiques, dont on ne sait si elles sont véritable vol ou hommage respectueux. Toute la question de l’influence est posée là. Et de celle-ci en découlent d’autres : les artistes copiés, inspirateurs, comme on voudra, s’ils ont eu vent de ces images, comment vivent-ils (ont-ils vécu) le fait de se voir ainsi suivis ? Indignation, colère, ou au contraire orgueil, fierté ? Un mélange de tout ça ? Et eux-mêmes, ces guides artistiques, d’où, plus exactement : de qui viennent-ils ? Et  l’auteur de ces peintures suivistes, comment pense-t-il que cela sera pris par le public ?  Ne risque-t-il pas un reproche ? A-t-il seulement conscience de ce qu’il fait ? Etrangement, ces interrogations (qui ne datent pas d’hier) reviennent au moment même où l’on me signale qu’il existerait quelques suiveurs de mon travail…

(Là, je marche sur des œufs en écrivant ces lignes. Car j’entends d’ici les “mais pour qui se prend-il à penser qu’on le copie ?” et les “il ne manque pas d’air  de se comparer à Miró et compagnie !” Loin de moi tout ça. Je prends note et observe simplement ce qu’on m’a rapporté. Cela se passe à l’échelle de ma petite province, mais il n’empêche. De toutes manières, pas de peinture sans prétention, et de plus, ce constat a le mérite de me renvoyer à mes propres origines…)

Sujet, forme, geste, technique,  procédé de composition, chromatisme, matières, codes, signes, il y a tellement de manières de suivre les autres !  Question sensible, car il est évident que chaque artiste se construit au long de sa vie d’une somme d’influences, conscientes ou non. C’est lorsque l’image a pris forme qu’il faut évaluer la netteté de cette influence, ou sa dilution dans sa propre personnalité.

Revenons à Wemaëre : ses influences sont visibles, mais connues et assumées. Celle de Léger, dont il a été l’élève, celle de Klee dont il suivra plus tard les pas en Tunisie, celle de Miró et Kandinsky, pour lesquels il a montré son admiration.  Progressivement, d’année en année, il digère tout cela et va explorer son propre chemin, nourri et adulte. Le parcours proposé dans l’exposition le montre bien. Il montre aussi, mais certainement pas intentionnellement, ce que j’ai pris pour un retournement de situation, le suiveur un jour devenant suivi : un papier sans titre de 1938 (gouache et encre) m’a furieusement évoqué la peinture de Fred Deux : des papiers tachés de couleurs sur lesquels courent en toute indépendance les fils serrés d’un dessin à l’encre. Fred Deux a-t-il connu ces travaux de Wamaëre ? En tous cas, on pourrait imaginer qu’il soit parti de ces œuvres pour s’ouvrir une voie personnelle, inlassablement creusée depuis. Mais peut-être s’agit-il aussi d’une coïncidence, des esprits très éloignés géographiquement ou  temporellement pouvant avoir des idées similaires sans jamais être entrés en contact. Et surtout, n’est-ce pas le spectateur (moi, en l’occurrence, mais qui y échappe ?) qui chercherait à tout prix une re-connaissance, à retrouver ici ou là ce qu’il connaît déjà pour se rassurer quelque peu en s’appuyant sur ses références personnelles ?

Affaire de conscience, finalement. A chacun de savoir si le suivisme dont il fait preuve est honnête ou non, assumé ou non, s’il est de l’ordre de la singerie, de la faiblesse créative, de l’hommage ou de l’apprentissage.