mercredi 2 juin 2010

Le temps de l’art, c’est de l’argent

Quand des économistes s’intéressent à la culture, j’arrête de rire, et je me crispe. J’ai lu dernièrement cet article (voir ici) évoquant une étude de deux suisses qui proposent de nouvelles formules de tarifications d’entrées aux musées, basées sur le temps passé à l’intérieur : en résumé, moins on resterait, plus le prix baisserait, comme au parking.

Tout pour la rentabilité. Nous sommes bien dans une logique de fast-culture, de malculture : il faut décidément apprendre au public à ne pas s’attarder, à ne plus contempler, à ne pas se laisser faire par ses émotions, à ne pas se détendre. Il faut au contraire lui apprendre à se goinfrer d’images, qu’il en consomme, qu’il en surconsomme, qu’il s’en étouffe en un temps record, et qu’il paye, qu’il dépense, et puis qu’il délaisse. Il aura très vite oublié les œuvres, mais il se rappellera longtemps de la bonne affaire qu’il aura réalisée. Apprenons-lui à se mettre au rythme des bataillons de touristes qui traversent le Louvre en courant et qui ne regardent attentivement que le fanion de leur chef de meute. Apprenons-lui à regarder une œuvre en la frôlant, évitons qu’il la fixe droit dans les yeux. Soyons assez habiles pour qu’il ne soupçonne pas, surtout, que l’artiste, par son œuvre (travail), lui demande un effort en retour, et que la rencontre se fera au prix du temps de ces efforts partagés. Faisons en sorte qu’il consomme plus de produits, et plus vite, laissons-le croire qu’il aura vu de l’art, et surtout, surtout, qu’il réfléchisse toujours moins. Nous aurons ainsi vulgarisé l’art, et l’aurons de plus rendu rentable. Nous pourrons être fiers, alors, d’en avoir fini avec les visiteurs et d’avoir ouvert la voie aux clients. Nous pourrons nous réjouir d’avoir créé des regards vulgaires, indisponibles à l’émotion artistique, car encombrés d’arrière-pensées vénales. Nous pourrons nous vanter d’avoir totalement détourné la fonction des musées, qui n’étaient jusqu’alors que des lieux de conservation, de préservation et de présentation du patrimoine artistique, à disposition du public. Il seront devenus des lieux de profits, avec une clientèle ciblée.

Récemment, le président de certains Français a magnifiquement donné l’exemple lors de l’inauguration du Centre Pompidou de Metz : d’une part son discours ne parlait pas d’art (à y réfléchir, cela vaut peut-être mieux…), mais d’économie, de politique ou d’infrastructures, et d’autre part sa visite de l’exposition “Chefs d’œuvre ?” a duré tout au plus une vingtaine de minutes. Pay as you go… Cela ne lui aura pas coûté trop cher.