samedi 7 septembre 2013

Ma foi, non

 

“Un chrétien qui serait en même temps un artiste n’existe pas”. (Nietzsche, flâneries inactuelles)

“Comment ? Vous n’êtes pas allé voir Art et Chapelles ?”, m’a t-on demandé ces temps-ci à plusieurs reprises et avec insistance. Il y avait dans la question presque un reproche, comme si ce circuit d’expositions montées à l’intérieur de chapelles éparpillées dans la campagne angevine  faisaient évènement incontournable.

Non, bien sûr, je ne suis allé en visiter aucune, de ces foutues chapelles, occupées le temps de l’été par des artistes sans vergogne qui, sous prétexte d’art contemporain, perpétuent la soumission artistique séculaire à un clergé qui ne sait plus à quel saint se vouer pour faire parler de lui.  Il tente l’art, il y a peut-être là un créneau. Les artistes conviés, très honorés, trop heureux de bénéficier d’une promotion à l’œil, n’hésitent pas à se fourvoyer dans des lieux douteux, où l’on vénère (ou vénérait), courbé et en rampant une idée responsable de bon nombre des atrocités de l’histoire. Mais le plus inquiétant est le discours de certains d’entre eux, à genoux devant le sacré, pliés par le poids du respect, soumis, petits communiants : “J’ai réalisé les papiers pendant la semaine sainte, porté par la programmation religieuse de France Musique, le travail s’est imposé sans effort comme si je n’étais que le canal du créateur”, annonce plein de sérieux l’un d’eux. Le même qui place sa croix devant l’hôtel (sic), ce qui est beaucoup plus drôle.

“Quelques toiles forment un ensemble dynamique nous invitant à nous diriger vers le haut de l'église : - vers le retour à la lumière – thème choisi pour ce projet…”, explique un autre. Rien de neuf dans la propagande, aucune évolution finalement dans la peinture religieuse depuis des siècles : art de commande, codifié, imposé pour aider les âmes perdues à trouver le chemin. Art contemporain, dites-vous ?

“…la réalisation de cette grande croix par un assemblage de toiles d'un format de 3 m par 3 m, par laquelle j'ai voulu représenter en apothéose l'élévation vers la lumière éternelle...”, poursuit-il.

Ensemble, prions.

“Thème choisi”, dit-il. Y a-t-il eu un contrat passé entre l’association religieuse organisatrice et les artistes retenus, avec  cahier des charges ? Y a-t-il eu une prescription, une orientation conseillée, comme jadis, dans le but de provoquer une sorte de dévotion chez le visiteur ? Les a-t-on priés de ? On peut le supposer, mais rien ne l’indique vraiment. Leur élan est peut-être simplement naturel, leur choix thématique purement individuel.

Celle-ci encore, transportée,  qui s’extasie devant “cette  capacité [des enfants] d'accepter, comme une évidence, le Divin et son mystère” et souhaite à tous la “capacité d’émerveillement et d’acceptation des enfants”. Tout en oubliant (naïvement?) de s’interroger sur ces adultes qui profitent de cette capacité pour enfoncer des chevilles profondes, dangereuses et douloureuses au fond des jeunes crânes dociles et confiants.

Aucune envie d’aller voir des œuvres qui “[tenteraient] de donner une forme au cheminement personnel d’une rencontre intérieure, d’un Dieu qui nous aime, comme un passage de l’ombre vers la lumière”, comme le déclame une autre des artistes.

Je veux bien admettre que certains soient nourris d’une forme de foi qui les aideraient à créer,  mais à la condition qu’elle soit silencieuse et invisible. Je refuse les discours associés  aux œuvres qui ressemblent là à un vague catéchisme de circonstance.

(Matisse a beau être une de mes grandes références, une de mes influences les plus marquantes,  je ne m’explique pas ses interventions dans les chapelles de Vence ou du plateau d’Assy.)

Il existe en Bretagne un événement du même type (“l’art dans les chapelles”, la nuance est d’importance), mais dans ce cas, même si les artistes sont invités à “dialoguer avec le patrimoine religieux”, ils ne sont apparemment pas poussés à se soumettre à une quelconque idéologie, cela se sent clairement dans le travail présenté. D’ailleurs l’association organisatrice regroupe des membres d’une communauté de communes, apparemment fort laïque. Dans ce cas, plutôt acceptable, c’est davantage  l’espace des lieux que les artistes prendront en compte, plus que l’esprit (saint, ou malsain ?) qui y règne.

Au-delà de la provocation dont je suis victime  quand on m’interroge sur ma possible visite de ces lieux de culte angevins (et puisque je suis rancunier, il me faut bien y répondre) subsiste un mystère plus large : comment l’artiste peut-il se soumettre à ce point ? Comment peut-il, sans être terriblement tiraillé, se mesurer dans l’acte artistique avec son Dieu/Créateur qui l’aime, mais qui le fait plier, se courber ? Il y a de mon point de vue une antinomie profonde entre l’art et la croyance. L’artiste  peut-il être superstitieux (les religions n’étant jusqu’à preuve du contraire que tissu de  superstitions), et risquer alors de faire reposer son travail sur autre chose que lui-même, le hasard ou l’accident ? Et surtout, comment peut-il supporter qu’un dieu mette la main dans sa pâte ?