samedi 18 octobre 2014

L’avenir nous le dira (chapitre 1)

 

Il était une fois, il y a bien longtemps, au bord d’un fleuve, un petit village qui se cherchait une identité. Un jour, un artiste, puis un autre, puis plusieurs autres s’y installèrent, y trouvant sans doute le sol assez fertile pour y enfouir quelques racines plus ou moins nues, un air assez doux et venté pour y laisser filer des idées, parfois à contre-courant, ou des pierres assez blanches pour y inscrire quelques entailles. L’un de ces artistes avait déjà une certaine réputation, qu’il sut entretenir et cultiver auprès de ses confrères locaux, de la municipalité et de ses concitoyens. D’autres prirent des initiatives individuelles, exposant chez eux, invitant des amis artistes, créant des évènements ponctuels. Un autre encore fut sollicité pour prendre en charge l’organisation d’expositions collectives déjà existantes, ce qu’il  accepta sous certaines conditions : faire progressivement le tri entre l’artiste amateur et le professionnel, sélectionner les artistes et les œuvres  pour augmenter la qualité des présentations, réduire le nombre d’exposants pour gagner en clarté et lisibilité. Enfin, ne pas se limiter au fameux tandem peinture/sculpture, mais ouvrir à d’autres disciplines.

Intéressés  par ces nouveaux objectifs, de nombreux habitants du petit village, ainsi que des artistes des communes voisines,  s’associèrent pour s’impliquer dans l’organisation de ces expositions plus exigeantes. Pendant ce temps, au bord du fleuve, le village continuait de se forger une identité en s’orientant de plus en plus vers le tourisme et, de là, vers la culture.

La salle municipale dédiée jusqu’alors aux artistes étant désormais occupée par l’office du tourisme, deux solutions se présentèrent : arrêter définitivement les expositions ou bien chercher un autre lieu et fonder un projet plus ambitieux sous la forme d’une galerie associative. La municipalité mit alors une  belle maison du bourg à la disposition des artistes, la restaura, l’équipa, et avec tous les bénévoles enthousiastes, en fit une véritable galerie, modulable, souple, accueillante, en confiant à toute l’équipe le soin d’animer ce lieu, de le faire vivre  par l’art et pour les habitants autant que par les habitants et pour les artistes.

La galerie s’ouvrit dans une belle effervescence, programma des expositions individuelles ou en petits collectifs, prenant ses distances avec les vieux “salons de peinture” poussiéreux et confus, veillant à des choix artistiques  de qualité, éclectiques, mais aussi abordables pour les habitants des environs, un des buts de l’association étant de rendre accessibles la création et les artistes. Ainsi les écoles vinrent régulièrement visiter les lieux et les œuvres, certains enseignants travaillant parfois en amont avec leurs élèves pour préparer la rencontre. Les artistes jouèrent le jeu en n’hésitant pas à prêter des travaux pour constituer une artothèque et faire circuler des œuvres originales dans les familles  ou dans les collectivités locales. Tout doucement, mais régulièrement, la réputation du lieu s’étendit.

Après quelques années, l’artiste fondateur souhaita laisser ses fonctions, voulant démontrer que la pérennité du lieu ne dépendrait pas de ses responsables mais bien du projet lui-même, et  favoriser un renouvellement d’idées et d’énergies. Au moment de partir, il formula le souhait que la galerie continue de présenter une grande variété artistique, des démarches singulières, ne tombe pas dans le piège de la tendance contemporaine à tout prix, qu’elle évite les chapelles et les récupérations, garde son indépendance. D’autres personnes, dont des artistes, prirent le relais et continuèrent à animer l’espace avec enthousiasme et dynamisme, sans compter leur temps et leurs efforts.

Mais petit à petit, les moyens limités eurent raison de l’énergie collective, même si la municipalité encourageait toujours le projet. Les bonnes volontés s’essoufflèrent, et d’une quarantaine de bénévoles au début de l’aventure, l’équipe se réduisit à cinq ou six actifs après quelques années.

A deux doigts de fermer ses portes, au terme d’une année à la programmation presque vide, la galerie fut pourtant sauvée.

Sauvée ? Ou définitivement perdue ? L’avenir nous le dira.

(la suite demain)