vendredi 28 août 2015

Un peu de silence

 

Deux mois sans article, le blog serait-il mort, ou alors son auteur ? Mais non (n’en déplaise à certains), celui-ci bouge encore. Il bouge tellement que son temps d’écriture s’est réduit à peau de chagrin. D’ailleurs il en pleure. Mais il fallait vivre dans l’atelier, à inachever des toiles qui seront montrées bientôt au regard le plus offrant. Autrement dit une exposition se préparait, et plus rien n’existait vraiment que ce travail. Passaient en pensée, pourtant, souvent, des idées de sujets d’articles, une remarque, une question, une colère, un enthousiasme. J’avais écrit par exemple quelques premières lignes à propos de la récente exposition des Cahiers Dessinés, à la halle St Pierre à Paris, pour un billet que j’aurais aimé publier avant la clôture de l’évènement. Car c’en était un :  une sorte de salon du dessin, ni contemporain, ni moderne, ni classique, mais tout à la fois, une sélection rigoureuse, copieuse et de grande qualité de l’art du dessin, plus exactement des formes d’art du dessin : le savant, le poétique, l’acharné, le décharné, le “sans formation fixe” (ah! les encres du clochard de Bourges !), le drôle, le décalé, le dépouillé, le surchargé, le profond, le désespéré, et j’en passe tellement. De mon point de vue, cette exposition définissait parfaitement le dessin authentique, celui qui fait corps autant avec l’artiste qu’avec le papier, le sincère, l’honnête, l’engagé. J’aurais aimé en parler longtemps, en profondeur, partager, inciter à la visite, mais il fallait peindre et repeindre et reprendre encore ces toiles qui ne voulaient pas venir vraiment et l’exposition de la halle Saint Pierre a fermé.

Au moment d’une vague de chaleur, la retrouvaille quotidienne de l’atelier a généré également quelques lignes sur le ressenti du lieu en pleine activité, laissé chaque soir après une journée étouffante sur une sensation de confusion, de désordre, d’incompréhension, de fatigue aussi, mêlée toujours de cette impatience de reprendre et de continuer le lendemain. Puis cette atmosphère de l’atelier du petit matin, apaisé, silencieux, rafraîchi, attendant, espérant, disponible. Il faudrait un jour l’exprimer mieux.

Une courte balade normande pour m’éloigner de force de l’atelier et prendre un peu de recul m’a permis de visiter au Havre une exposition remarquable des travaux graphiques de Feininger. Des dessins, des aquarelles, des estampes (bois, eaux fortes, pointes sèches, burins) un ensemble d’une sombre expression acérée, un univers poétique et déséquilibré, une découverte véritable, désormais un souvenir inscrit, gravé. C’est la force de l’artiste, et son talent : marquer autant sa planche ou sa plaque que la mémoire de celui qui regardera l’épreuve. Au  même endroit, au MuMa, une riche collection d’œuvres de Boudin, pleine de sa fine observation et de sa fraîcheur de touche. Mais quel effort faut-il fournir pour apprécier ces œuvres en oubliant le cadre doré et surchargé, toujours le même pour l’ensemble des peintures et dessins, comme si le musée avait bénéficié d’une promotion sur un lot de baguettes tombées du camion ! On se demande quel décideur a pu faire un choix si vulgaire. L’intention d’un texte à ce sujet avec une extension sur les choix d’acquisitions de certains musées de province m’a traversé l’esprit, et a filé, dépassée par l’obsession des toiles laissées à l’atelier, en cours et interminables.

Tout près, un saut de Seine pour une visite à Honfleur et une colère noire contre ces villes touristiques qui permettent à n’importe quel vulgaire couvreur de toiles d’ouvrir une boutique appelée galerie. Ici, c’est un sommet de vulgarité, une concurrence effrénée dans l’innommable, où les pires coups de pinceau sont permis. Le plus inquiétant est que de tels commerces existent parce qu’ils ont des clients. Et là, je bute sur un mystère total : qui peut acheter ces… choses,  que je ne parviens pas même à qualifier ?

Un seul refuge à Honfleur, le musée Boudin, un de ces petits lieux à part, où les responsables font un vrai travail local de préservation et de transmission de l’art et des artistes. Un lieu hors du temps ou plutôt dans lequel le temps prend une autre mesure, dans une muséographie sans esbroufe et très lisible. Une découverte, par exemple : une certaine Yvette Alde. Autre possible sujet de billet que ces musées locaux, peut être à l’occasion de la prochaine réouverture de celui de Pont-Aven ?

Maintenant les dés sont jetés, les toiles a priori terminées entassées me tournent le dos, ne présentant plus que châssis, entretoises et toile écrue portant titres et dates. Ma décision est prise de ne plus les regarder d’ici l’installation de l’exposition. Pour éviter toute tentation d’aller écouter le silence matutinal de l’atelier et reprendre une toile douteuse, suis parti dans mes coins d’océan perdus, là ou l’horizon, les ciels et les roches ne sont jamais tournés vers le mur et vivent sans titres. Là où reviendra le temps d’écrire un peu.