mardi 12 avril 2011

L’aquarelle, ça fait de l’effet

Salon de la peinture à l’eau, exposition nationale de la société française  d’aquarelle (excusez du peu, j’aurais peut-être dû majusculer), le temps est à l’humidité, dans la région, en  ce moment.
Il y a comme un courant, un flot grandissant de peintres aquarellistes, certains “de renom”, voire de “renom international”, ce qui impressionne beaucoup le public. Ils se regroupent, se sociétisent, s’invitent, s’accrochent, s’encadrent, s’exposent, salonnent, s’éditent, s’affichent, se vernissagent, se congratulent, s’accoladent. Ils enseignent, s’enseignent,  s’entourent de disciples, se stagent, se montrent, ils démontrent, ils démonstrationnent. Ils s’articlent, se magazinent, se récompensent, s’adorent. Ils s’acoquinent et se reproduisent. Ils ne tarissent pas (ce serait un comble) de louanges pour l’eau et ses bienfaits, c’est naturel et ça va bien aux teintes.  Ils sont coulants, filants, quasi-liquides, apprécient que leurs formes et compositions insuffisantes ou approximatives soient englouties dans leurs éclatantes projections et dans leurs flaques pigmentées. Ils sont pleins de douceur et de gentils sentiments, ils peignent beaucoup de coquelicots, de vélos contre les vieilles fenêtres fleuries des villages classés, des sous-bois ombragés, des jardins tout droit sortis des catalogues de Jardiland, de jolis portraits figés par une photographie préalable, des animaux mignons tout  plein, chevaux ou chats décoratifs sans odeur et petit chiens toilettés auxquels ils ont évidemment demandé de poser sagement devant leur papier tendu, pardon, devant leur appareil photo. Mais ils se disent novateurs… Ils prétendent, ils savent, ils techniquent, ils professent, ils connaissent leur métier, leur spécialité. Ils célèbrent limpidité, sensibilité et élégance de l’aquarelle, et font des images niaises, usées, impersonnelles et creuses. Ils se recueillent, s’inclinent devant la majesté de leur art, ils ont leurs rites, leurs offices (devant leur papier, ils paraissent très absorbés…). Ils manient l’injonction paradoxale (“sois spontané, l’aquarelle se charge de tout !”). Ils noient leur manque d’idées dans le trop-plein de couleurs, et dissolvent la faiblesse du dessin dans une eau hasardeuse autant que providentielle. L’absence de sens des images se retranche derrière la cérémonie.  Ils déclament des formules laissant entendre que l’aquarelle est l’acmé de l’art pictural, qu’on y atteint des sommets dont on ne redescend plus. Les plus abstraits éclaboussent, crachent, aspergent, diffusent, détrempent, épongent, inondent, absorbent, tachent, auréolent —quelle audace— espérant que les effets du hasard leur donneront raison.  Ils utilisent des superbes pinceaux, souvent chinois — c’est très tendance — parfois traceurs, (c’est le pinceau qui trace, pas la main, c’est bien connu).
Où est l’art, dans ces mondanités et ces singeries ? Que l’on me dise ce qui est créatif, surprenant, original, personnel, intéressant dans ces images répétitives qui dégoulinent pour la parade.
On reproche souvent aux agriculteurs de gaspiller l’eau, a-t-on pensé aux aquarellistes  ?
Les meilleurs utilisateurs de l’aquarelle, dignes d’un réel intérêt, sont ceux qui n’en font pas une spécialité, car alors elle est nourrie des autres approches picturales,  graphiques, esthétiques ou réflexives. Une technique n’est pas une fin en soi, elle est au service de la fin. La fin, c’est la peinture, celle qui ne ment pas sur ses intentions.
L’aquarelle seule, à force d’être vulgarisée, en devient vulgaire.