lundi 20 février 2012

Courrier en retard (1)

 

Cher organisateur de salons de peinture,

où que tu sois,

je sais bien que ta tâche est délicate, je me demande bien ce qui t’a poussé à te lancer dans pareille aventure. Un goût pour l’art, certainement, un goût pour les artistes aussi. Il faut bien les aimer pour supporter leurs humeurs, leurs exigences, leurs “moi-je”, leurs oublis, leurs retards. Fais-tu partie de ceux qui en plus de vouloir exposer les autres, veulent s’exposer eux-mêmes? Ta mission est encore plus difficile alors, car tu dois veiller à ne pas te mettre en avant, pas trop, et il faut être sûr que ta peinture est honorable au milieu des autres. Mais tu sais tout ça. 

Cher organisateur de salons de peinture, j’aimerais en savoir plus sur le but de ton engagement et sur la manière dont tu choisis tes exposants. Est-ce toi et tes amis qui les recherchent et les invitent à se montrer sur tes murs, ou bien réponds-tu favorablement aux candidatures spontanées et insistantes de ceux qui cherchent à tout prix une cimaise? Tu as remarqué comme moi, évidemment, tous ceux qui cherchent un mur pour lever la patte.  J’imagine combien il est difficile de choisir. Fais-tu partie des responsables qui acceptent et accrochent tout le monde, ou préfères-tu opérer une sélection? Que veux-tu proposer au public, entre valeurs dites sûres et découvertes risquées? Est-ce indiscret de vouloir savoir comment et qui tu sélectionnes, sur quels critères (goût, notoriété, montant des inscriptions, qualité artistique, recherche, originalité, discours, etc.), mais aussi comment et qui tu ne sélectionnes pas? Autrement dit, j’aimerais savoir pourquoi tu as choisi de montrer tel artiste ou tel autre, ce qui chez lui t’a paru assez intéressant pour que tu lui offres cette place, cet éclairage, cette promotion et pourquoi surtout, tu t’obstines à mettre en lumière toute cette médiocrité? N’y a-t-il pas assez de bons artistes pour que tu sois obligé d’entasser autour d’eux toutes ces insignifiances ? Cher organisateur de salons de peinture, je partage avec toi la facilité avec laquelle on se fait des ennemis. Entre les refusés, les même-pas-invités, les oubliés, les mal-accrochés, les mal-éclairés, et tous ceux qui trouvent un prétexte pour grogner, estimer qu’ils auraient une place sur tes murs plus légitimement que celui-ci ou celui-là, on s’habitue vite  aux reproches et aux invectives.
Mais ne l’aurais-tu pas cherché, tout ce tracas, cher organisateur de salons de peinture, en t’embarquant dans cette aventure?

Je sais ton dévouement. Les tâches en vue de l’exposition de l’an prochain commencent déjà, alors même que l’actuelle n’est pas terminée : il te faut noter les contacts des visiteurs-artistes qui profitent de l’aubaine pour venir prospecter et se  vendre, tu dois prendre connaissance de leur travaux, leur expliquer le fonctionnement de ton salon. Tu es en train de penser à l’accrochage que tu as sous les yeux (ton œuvre, finalement), en te demandant si tu as bien fait, bien marié ou bien opposé les toiles, s’il n’y en a pas trop, tu te dis en même temps qu’il était difficile de refuser unetelle ou untel (raison financière,  relationnelle, autre?), que tu es obligé d’organiser en partie l’espace selon les susceptibilités et les accointances, comme un plan de table… Parfois, un peu découragé, tu jetterais bien l’éponge, je le sais  bien, je te comprends. Tu es inquiet, cher organisateur, parce que sur la feuille de permanence les bâtonnets barrés par groupes de cinq sont moins nombreux que ce que tu espérais. Tu as eu à nouveau des ennuis avec l’invité d’honneur, comme chaque année, et tu te demandes qui pourra occuper la place l’an prochain. Il faut satisfaire ton petit monde, chacun son tour, ou alors on te fera, par la bande, encore des reproches. On t’a aussi fait observer que la Maison des Artistes veut lutter contre ce qui serait une concurrence déloyale des amateurs. Elle dénonce l’affichage de prix de vente pour cette catégorie, parle de cotisations sociales et voudrait bien, si tu prends des commissions sur les ventes ou si tu fais payer les artistes pour qu’ils exposent, que tu te déclares comme diffuseur. Tout cela ne simplifie pas ta charge, il faut bien le reconnaître.

Je te laisse, cher organisateur de salons, j’aurais encore des questions à partager avec toi sur tout ce que tu dois affronter, mais j’ai encore beaucoup de courrier en retard, après cette longue absence.  Je te remercie en tous cas pour ton dernier salon, sa visite m’a aidé à me remettre tout à fait. Reprendre la plume est signe de meilleure santé.

Je te souhaite d’autres beaux salons, de qualité,  de bons artistes à tes murs, vrais, qui ne mentent pas, qui risquent leur vérité.

Prends soin de toi et, surtout, prends soin de l’art.

L.

P-S.  Tu aimes bien toi, l’expression “salon de peinture”? Pour ma part, j’aimerais qu’on trouve autre chose : on y rencontre à mon avis beaucoup plus de toiles peintes et de papiers peints que de peinture. On y trouve même de la sculpture.