jeudi 27 septembre 2012

journal d’exposition (2)


dimanche
Faut-il parler devant la peinture ? Ma présence dans la salle incite certains visiteurs à me confier leur ressenti, c’est naturel, et moi, beaucoup trop sensitif et susceptible, le reçois plus ou moins bien, c’est autant naturel. Deux exemples : d’un abord chaleureux, aperçu au vernissage, il revient aujourd’hui au pas de course, débordé par tout ce qu’il doit voir lors des journées du Patrimoine. Amusé par l’association, je n’ai pourtant pas eu la présence d’esprit de le remercier de m’avoir inclus dans son programme… Me débite (il est très pressé) ses vérités personnelles et définitives sur la peinture (voulant décrire une exposition vue la veille dans les parages : “ça fait moderne”), le dessin et la sculpture (“pas besoin de dessin pour sculpter”), péremptoire à voix haute. Regarde un court  moment mes toiles monochromes jaunes et rouges, les trouve chaudes et gaies (ah,  les lieux communs de la symbolique !), puis se tourne vers mes encres, évidemment en noir et blanc, et parle de déprime et de tristesse.  Comme je tente de lui glisser que c’est  peut-être un peu simpliste, il veut me clouer le bec en se posant là : “Ah ! mais, je suis psychiatre !”.  Il a donc évidemment raison sur l’interprétation des toiles, on ne discute même pas. Il connaît assurément mieux que personne les intentions et les sentiments de l’artiste au travail et en monstration. Pense sans doute alors que les peintres chinois  noient tous depuis des générations leur dépression chronique dans les tons de leurs encres.  S’étant installé pour sa retraite dans un statut de sculpteur, il fréquente apparemment les expositions autant pour évoquer sa propre production (jamais entendu un psychiatre parler autant de lui, un artiste, si) que pour se nourrir des autres.   Ex-psychiatre, artiste en ébauche (on frise le pléonasme), situation sans doute difficile à vivre… Il faudrait peut-être qu’il en parle à quelqu’un ? D’autre.
Autre visiteur, son contraire, attentif et précautionneux, qui prend le temps de lire les textes présentant l’exposition,  s’attarde sur les cartels et cherche manifestement à aller au-delà de la surface des toiles. Sachant mon questionnement sur la peinture seule (la peinture peut-elle se passer entièrement des évènements de la vie du peintre ?), et percevant l’importance des titres, il y voit une éventuelle contradiction, se demandant et me demandant si les toiles, pour être entièrement et réellement seules, ne devraient pas se débarrasser de leurs noms. De là une très riche conversation
Faut-il parler devant la peinture ? La parole au pied des œuvres ne devrait être, me semble-t-il, que suppositions, questions, échanges, confrontations, propositions, doutes. Faut-il se taire devant la peinture ? En tous cas étouffer les certitudes, les définitions, les c’est comme ça une fois pour toutes. Le silence au pied des œuvres ne devrait être, me semble-t-il, que  suppositions, etc.
Belle après-midi chaude et lumineuse, mes portes sont grandes ouvertes, serai-je associé par quelques autres au patrimoine visité par les foules ?