lundi 20 avril 2015

Au diable la peinture de cour


Après la visite de l’exposition d’Amsterdam, l’œuvre de Rembrandt n’en a pas fini d’influencer ma façon de voir et recevoir la peinture. A peine entré dans celle consacrée à Velázquez au Grand Palais, je découvre une peinture terriblement datée.  D’évidence, les deux artistes pourtant si contemporains l’un de l’autre n’ont pas approché l’art sous le même angle, loin s’en faut. Sans doute chez Velázquez un défaut d’humanité, un carriérisme, une certaine courtisanerie. Les sujets religieux extrêmement codés, les portraits officiels figés, découpés sur leur fond, devant leur décor, un artifice de tous les plans. Bien sûr, un formidable métier, indéniable, mais au service de bien autre chose que la peinture. Pas d’introspection sensible de l’artiste, trop de servilité. Peut-être une ambition trop sociale et pas assez artistique. J’ai bien conscience que ceci est le ressenti d’aujourd’hui sur une œuvre d’une autre époque, réalisée dans un contexte culturel et politique bien particulier, mais alors, pourquoi cette intemporalité chez d’autres artistes ?

Deux ou trois portraits magnifiques ne rachètent pas cette pesanteur  de l’exposition du Grand Palais, dont la mauvaise impression laissée n’est pas seulement le fait de l’artiste. Les cartels regorgent de conditionnels spécialisés, de peut-être, suppositions, possibilités, d’incertitudes quant à l’attribution de la toile à Velázquez seul ou à son entourage, ou à son collaborateur,  ou à son atelier, ou à ses suiveurs. Sur la centaine d’œuvres exposées, combien réellement de sa main ? Et le mal que se donne le commissaire pour vendre son accrochage dans les gazettes ne cache pas la misère. La campagne de communication est tellement bien menée qu’elle en est suspecte (hors-séries de magazines à tire-larigot, émissions de télévision, etc.). Et même si j’avoue mon a priori avant cette visite (sur les sujets, essentiellement), j’entrai confiant dans ma capacité à y chercher autre chose, comme j’ai pu le faire par exemple lors d’une grande exposition Rubens à Madrid en 2010, dans laquelle, lassé de ses religieuses représentations, j’ai entrepris de regarder son traitement des bords, des passages entre personnages et fonds, entre les couleurs, d’une masse à l’autre. Finalement, j’en suis sorti enchanté et nourri par ce que j’y ai découvert de véritablement peint. Froid devant les sujets de Velázquez, j’ai tenté là aussi d’en regarder sa manière, espérant y trouver quelque chose, éveiller un intérêt. Hélas ! Les bords sont aussi secs et artificiels que les poses de ses sujets, qui tous ont la même façon de se tenir face au peintre, de le regarder, de mettre une main ici et l’autre là. Une découpe sèche n’installant aucune relation avec le fond. A ce titre, la phrase d’Elie Faure mise en exergue en fin de parcours et évoquant le travail de ces fameux fonds m’a parue déplacée. Tellement juste sur la notion même du fond dans la peinture, et si peu adaptée à ce que je venais de voir.

Dans cet espace immense du Grand Palais, un étouffement noir, l’odeur de renfermé d’un passé étroit. Sans doute un témoignage historique de valeur sur la cour d’Espagne à cette époque, mais ce n’est pas ce que j’espérais y trouver. Aussitôt dehors, une furieuse envie de revoir et de respirer Rembrandt, lumineux peintre d’aujourd’hui et de toujours.