mardi 7 avril 2015

idées courtes #12



Une des premières règles de l’art consiste à se méfier des règles de l’art.

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L’artiste se vide pour nous remplir.

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C’est si fréquent : l’inquiétude tend à la panique (sueurs et frissons, tremblements, palpitations, bourdonnements d’oreilles) tant que l’idée qui m’a traversé n’est pas consignée noir sur blanc dans l’un de mes carnets.  Si je n’ai rien sous la main, cela peut devenir dangereux, tourner à la crise, aux convulsions. Dans une situation où je sais par avance ne pas pouvoir  noter (douche, conduite de la voiture, sommeil), je me surprends à redouter la venue d’une idée et espère provisoirement ce que je reproche à tant d’exécutants : la stérilité.

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J’envisage d’inscrire le montant de mes achats de disques compacts à la ligne 30 de la déclaration fiscale 2035-AK pour les revenus de l’année dernière. La musique est en effet aussi indispensable à mon travail que les pinceaux Isabey en putois de Sibérie n°18 de la série 6176 ou que le liant méthyl-cellulose.

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“Je ne mettrais pas ça chez moi”, dit-il devant une peinture noire, morbide, violente et sanglante.
Trop tard, sa mémoire l’a cueillie.
(La mémoire, c’est chez soi.)

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Longue (dans l’espace et dans le temps) file d’attente avant l’ouverture d’une grande exposition. Les portes s’ouvrent enfin. Un couple bien mis parvient à grappiller une place, puis deux, puis plusieurs mètres à force de bousculade et de culot, semblant ne pas entendre les reproches fuser derrière lui.
A l’entrée, galamment, Monsieur s’efface pour laisser entrer Madame.

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Peindre puis exposer
écrire puis publier
composer puis jouer, etc.
comme s’il fallait partager la solitude.

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Le téléphone portable est maintenant entré dans le public adulte des cours de dessin et de peinture, empêchant quelques élèves  surconnectés de se concentrer, dérangés qu’ils sont par les alertes permanentes de textos, mails, appels, applications, etc. La position silencieuse ne change rien, puisqu’ils attendent impatiemment et à n’importe quel moment des éventuels messages et vont par conséquent interrompre régulièrement leur travail pour vérifier si on ne les aurait pas contactés. Ils ne sont donc ni vraiment ici, ni réellement là.
Mais la maladie touche aussi les modèles : récemment, celle-ci correspondait par textos tout  en posant (ou le contraire), ce qui donnait un désagréable et répétitif penchant à sa tête, et une désagréable impression qu’elle n’était ni ici, ni là.
A l’atelier, lors des cours, j’envisage donc d’exiger que les possesseurs de téléphone portables connectés  me fournissent un mot d’absence.

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Enlever, dépouiller, épurer, simplifier, etc., jusqu'à un simple trait, jusqu’à l’os.
Oui, mais un trait qui a tout recueilli, et qui le dit.

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A force d’introspection, et devant l’attitude des institutions à l’égard de mon travail, je conclus que je suis finalement un grand peintre refoulé.

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“Passes (sic) une journée dans ma tête et demain tu restes au lit”, phrase en gros script tatouée enroulée sur le bras du modèle. La faute définitive.

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Agueusique, définitivement. Le constat est amer.

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Changement d’heure cette nuit, on doit avancer sa montre. Pour certains, une heure de cauchemars en moins.

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Loi du contraste simultané : le sperme du peintre, si blanc déposé sur le ventre ocre d’or des filles et si jaune répandu sur l’émail de la douche.

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Dessin d’après modèle vivant : il n’a que la peau sur les oves.

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Contemporain vs classique, abstrait vs figuratif, etc. Loin de ces querelles stériles, je m’annonce  sans étiquette, mais pas sans convictions.

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L’hypocrisie de certains romanciers : parler d’eux en se cachant derrière un semblant  d’imaginaire.
L’indécence de certains autres :  parler de moi sans mon autorisation.

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Jusqu’alors je ne dormais que d’un œil. Désormais je ne me réveille que de l’autre.

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Le mensonge de la peinture : parler de soi sous couvert de couleurs, de formes et d’harmonie. Rien d’autre que de la souffrance embellie.
L’artiste n’est finalement qu’un récupérateur, qui recycle une douleur, la rend acceptable aux autres.
L’art est un deuil et le deuil un mensonge.
Le mensonge de la peinture, etc.

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Qu’est-ce que l’âme, sinon l’art de chacun dans son domaine ?

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J’aime les œuvres de V.  et aussi celle de T., deux artistes qui ne  supportent pas leurs peintures respectives. Mon regard pourrait-il les réconcilier ?

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Le clair (de la peinture)-obscur (du peintre)